Chronique littéraire de Jean-Rémi Barland. Six romans demeurent en lice pour le Prix Méduse 2024 qui sera décerné le 12 août

Le prix Méduse ouvre par tradition la rentrée littéraire. Il met en lumière une découverte, destinée à marquer la saison d’automne. Remis pour la première fois à Blandine Rinkel le 27 Août 2022 à Saint-Tropez, le prix Méduse récompense un roman, ou un récit de langue Française. Il est doté de 5 000€ et d’une œuvre de l’artiste Nicolas Lefebvre.

Destimed Meduse

Présidé par David Freche, le jury permanent se compose de Anne Berest, Raphaël Haroche, Lilia Hassaine, Marc Lambron, Simon Liberati, Thibault de Montaigu, Maria Pourchet, Vanessa Schneider, Bruno de Stabenrath, Gaël Tchakaloff. Pour sa troisème édition les membres du jury ont l’honneur d’accueillir à nouveau, en leur sein, Charlotte Gainsbourg.

Secrétaire général du Prix Méduse, Thibault de Montaigu publie en août prochain « Coeur » aux éditions Albin Michel. Une merveille d’émotion qui creuse une histoire de famille avec présence d’un ancêtre, capitaine de hussards fauché en 1914 dans une charge de cavalerie. Une enquête bouleversante où se succèdent personnages proustiens, et veuves de guerre, amants flamboyants et épouses délaissées. Une épopée de l’intime racontant une lignée hantée par la gloire l’honneur, l’amour et le courage.

Secrétaire du prix : Clara Benador 

Les membres du jury qui se sont réunis ont sélectionné 6 livres :

Shane Haddad, Aimez Gil (P.O.L.)

C’est le roman d’une idylle tragique. Le soir où Gil a rencontré Mathias, elle était ivre morte devant un club, à vomir sur le trottoir. Elle avait perdu Mathieu, s’était noyée dans un mélange d’alcools forts. Elle ne se souvient d’ailleurs plus si elle était sortie d’elle-même ou si elle avait été pressée par les videurs de la boîte. Mathias, qui passait par là, l’avait raccompagnée chez elle, malgré ses premières résistances. De là Mathias, Gil et Mathieu vont constituer un trio inséparable et fusionnel. Départ dans le Sud, road trip sur fond d’alcool et de fêtes, désir de voir l’existence prendre un nouvel envol, le roman évoque plus les ressentis des personnages tous âgés de 25 ans que leurs actions.  Avec au centre Gil, vendeuse en boutique, fumeuse invétérée, décrite en touches impressionnistes dans une histoire d’amour et d’amitié tournant par moments au drame. C’est beau et poignant.

Clémentine Mélois, Alors c’est bien, (L’arbalète Gallimard)

« Il faut que je raconte cette histoire tant qu’il me reste de la peinture bleue sur les mains. Elle finira par disparaître, et j’ai peur que les souvenirs s’en aillent avec elle, comme un rêve qui s’échappe au réveil et qu’on ne peut retenir. Avec ce bleu, j’ai peint le cercueil de Papa. » On est happés d’emblée par ces quelques lignes fixant le départ d’un roman centré sur la personne de Bernard Mélois, sculpteur qui a consacré son existence à souder des figures spectaculaires dans le capharnaüm de son atelier, en chantant sous une pluie d’étincelles. Alors qu’il vit ses derniers jours, ses filles reviennent dans leur maison d’enfance. En compagnie de leur mère, des amis, des voisins, elles vont faire de sa mort une fête, et de son enterrement une œuvre d’art. Périple en Bretagne pour faire émailler la croix, customisation du cercueil, préparatifs d’une cérémonie digne d’un concert au Stade de France : l’autrice raconte cette période irréelle et l’histoire de ce père hors du commun dont la voix éclaire le récit. D’une fantaisie irrésistible, Alors c’est bien offre un regard sensible et inattendu sur la perte et la filiation. C’est aussi l’hommage de l’artiste Clémentine Mélois à son père, ce bricoleur de génie qui lui a transmis son humour inquiet, son amour des mots et son vital élan de création.

Xabi Molia, La vie ou presque (Seuil)

Voilà un grand roman où nous découvrons trois adolescents, Paul, Simon et Idoya nouant sur la côte basque dans les années 1990 une amitié indéfectible autour d’une même passion pour l’écriture. Idoya à la voix hachée, qui ne dit presque rien de sa vie sinon qu’elle a relu récemment Madame Bovary de Flaubert qui lui a paru plus émouvant que dans son souvenir.  «Flaubert est un salopard»,  affirme Simon . « Un médecin légiste », ajoute Paul. Cette vocation partagée va les conduire vers des destins aux antipodes. Les aventures de la création, les désillusions et les amours contrariées composent une fresque vertigineuse qui voit trois vies d’écrivains se déployer jusqu’au milieu du XXIe siècle.  Xabi Molia, cinéaste et écrivain né à Bayonne, exceptionnel prosateur et conteur généreux célèbre le souffle de la création, et la recherche du bonheur. Magnifique !

Guillaume Perilhou, La Couronne du serpent (L’observatoire)

C’est l’histoire d’un malentendu. Celui qui a vu à Stockholm un garçon de quinze ans devenir sans l’avoir provoqué ni voulu une icône mondiale. Hiver 1970. Björn Andersen, adolescent né le 26 janvier 1955 dont Visconti dira qu’il est le plus bel homme du monde est choisi par le réalisateur pour incarner l’ange blond prénommé Tadzio, du film « Mort à Venise ». Orphelin, élevé par sa grand-mère qui l’inscrit dans de multiples activités extra-scolaires dont le théâtre, c’est pour elle qu’il accepte ce rôle, car elle a toujours voulu qu’un de ses petits fils soit connu, sans savoir vraiment de quoi il retourne. Visconti étant à la recherche depuis plusieurs mois d’un adolescent incarnant la beauté spirituelle idéale et non charnelle, un « ange de la mort », il entourera Björn de beaucoup d’égards, et si l’acteur sera protégé durant le tournage, il deviendra contre son gré un icône gay une fois le film sorti. Son dégoût de l’homosexualité exprimé encore aujourd’hui à presque 70 ans, sa réaction de quasi violence contre ce film le seul dans lequel il ait joué, Guillaume Perilhou le raconte avec beaucoup de pudeur, d’intelligence de faste aussi, dépeignant, l’écrin doré des palais vénitiens, ou le théâtre funeste du monde ancien. Il le fait de manière aussi lyrique que humble, en appuyant son récit sur de la correspondance de Visconti ou d’un journal intime apocryphe de Björn, devenu Tadzio. Bouleversante et crépusculaire histoire d’un orphelin et de sa traversée du miroir aux alouettes, « La couronne du serpent » s’impose comme un des chocs littéraires dee l’automne.

Clément Ribes, Mille images de Jérémie, (Verticales)

Directeur de la collection « Scribes » aux éditions Gallimard, label de littérature française et étrangère accueillant des « gestes d’écriture singuliers » et qui vient de publier « 22h » de Nathan Valmy et « Tirer » d’Alexandre Valassidis (deux chocs littéraires) Clément Ribes, né en 1989, signe avec « Mille images de Jérémie » un premier roman troublant et très émouvant. Dans ce texte que l’on pressent d’inspiration autobiographique l’auteur donne la parole à un narrateur à la sensibilité bouleversée qui, en se remémorant les moments vécus avec un ancien amant, tente de percer le mystère de ce Jérémie qu’il croyait connaître. Écrit en paragraphes numérotés de 1 à 100, et qui débute par « le nom d’une personne peut être déjà une image » le roman se veut à la fois une introspection et un hymne à la parole en général et à la chanson en particulier. Sont évoquées «Éblouie par la nuit » interprétée par Zaz sur des paroles de Raphaël Haroche et la phrase de Guitry citée par Jérémie : « Je devine le passé d’une femme à la façon dont elle tient ses cigarettes, et l’avenir d’un homme à la façon dont il tient la boisson » . « Il faut savoir endurer les plaisirs », peut-on lire en paragraphe 18. Un beau résumé à lui tout seul de l’ambiance de ce livre libre, libertin et au final assez libertaire. Avec lequel Clément Ribes éditeur inventif fait une entrée remarquable et remarquée dans le monde romanesque.

Nagui Zinet, Une trajectoire exemplaire, (Joëlle Losfeld)

Cela pourrait s’appeler « le roman d’un raté ». Le portrait en mouvements d’un de ces personnages dans la lignée de ceux créés par Charles Bukowski et  Jim Thompson. Un anti-héros très « conjuration des imbéciles » qui amuse, et touche au cœur. N. est un minable. Après tout ce sont des choses qui arrivent. « Il menait jusque-là une vie sans objet, entre son studio et le bistrot, sans amis, sans une thune, sans ambition, rien à part ses livres et la boisson pour habiller le néant. Dans le fond, N. n’était pas si malheureux. Il avait la chance de ne pas bosser et tout le loisir d’attendre, comme le premier con venu, la rencontre amoureuse qui le sauverait. Et, justement, la rencontre amoureuse a eu lieu, apportant à N. l’espoir d’en finir avec la solitude. Mais le bonheur est rarement du côté des pauvres types. Il suffit d’un mensonge, d’un moment de panique et c’est l’engrenage, celui de la violence et de la folie. » Résumé ainsi le roman ne donne qu’une idée imprécise de la force du style, la pertinence de la psychologie des personnages et du mouvement narratif lumineux avec lequel Nagui Zinet qui signe un premier roman burlesque et ambitieux nous saisit à la gorge et nous emporte dans une saga très «Risibles amours » de Kundera. Derrière l’humour… les larmes en fait. Et on adore !

On le voit la sélection 2024 du Prix Méduse est véritablement de belle facture et de haute tenue. Résultat le 12 août.

Jean-Rémi BARLAND

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