Publié le 6 juin 2017 à 22h48 - Dernière mise à jour le 28 octobre 2022 à 16h54
Accompagné de Loïc Dury, le musicien de son film Cédric Klapisch est venu au Cézanne d’Aix-en-Provence pour présenter en avant-première «Ce qui nous lie» long métrage autour des vins et de la famille.
Ça devait s’appeler d’abord sobrement « Le Vin« , puis « 30 printemps » et « Le Vin et le vent« . Lorsque Cédric Klapisch a fini le montage, il s’est ensuite dit en blaguant que ce serait drôle d’appeler le film « Ce qui nous nous« , en référence à « Ce qui me meut« , le court métrage qu’il avait réalisé en 1989. Mais StudioCanal n’aimait pas ce titre (du fait de son côté comique via « nous noue »). Klapisch se souvient : «On avait aussi évoqué « Ce qui nous lie », j’ai réfléchi et je me suis dit qu’ils avaient raison, « Ce qui nous lie » était plus intéressant. D’une part, il y a le jeu de mot avec la lie du vin, et puis disons que le nœud familial et lien familial, ce n’est pas la même chose. C’est un film sur le lien, pas sur le nœud…» Dont acte… voilà « Ce qui nous lie » qui débarque sur les écrans et que le réalisateur accompagné du musicien du film Loïc Dury est venu présenter en avant-première au cinéma aixois «Le Cézanne». Comme c’est souvent le cas dans les grands récits, leur intrigue tient dans le creux d’une main et, tout alors, est question de développements narratifs, d’affinements de détails, de digressions enrichissant le propos de l’artiste. Ici, ce principe ne déroge pas à la règle. « Ce qui nous lie » brille par la clarté de son socle romanesque. Jean (Pio Marmai) a quitté sa famille et sa Bourgogne natale, il y a dix ans, pour faire le tour du monde. En apprenant la mort imminente de son père, il revient dans la terre de son enfance. Il retrouve sa sœur, Juliette, (Ana Girardot) et son frère, Jérémie (François Civil). Leur père meurt juste avant le début des vendanges. En l’espace d’un an, au rythme des saisons qui s’enchaînent, ces 3 jeunes adultes vont retrouver ou réinventer leur fraternité, s’épanouissant et mûrissant en même temps que le vin qu’ils fabriquent. Dis ainsi tout semble clair, et la force du film vient de sa complexification des situations et de la richesse psychologique des personnages évoqués. Au centre on trouve Juliette, femme de courage et de cœur qui va se battre pour s’approprier le domaine en tant que patronne, et qui se démènera aidée par ses frères pour en conserver la possession face aux banquiers, au notaire réclamant l’argent des droits de succession, face aux voisins encombrants qui lorgnent du côté de la propriété afin de se l’offrir à bon prix, et face au beau-père de Jérémie qui aimerait également racheter quelques arpents de vigne. Par sa détermination et son courage Juliette est une sorte de Scarlett O’Hara version centre de la France. Par certains aspects «Ce qui nous lie» c’est un «Autant en emporte le vent» made in Bourgogne, et la propriété des trois membres de la famille c’est un Tara à la française. Si bien que Klapisch signe ici un « Autant en emporte…le vin » qui réjouira (j’en fais partie) même ceux qui ne goûtent pas les grands et les moyens crus. On peut, bien sûr, s’interroger pourquoi le réalisateur parlant des vignobles a choisi ceux de Bourgogne plutôt que les grandes terres bordelaises? Il s’en est expliqué: «Dans cette région, les exploitations sont en général plus familiales qu’ailleurs. De plus, dans le Bordelais les surfaces sont beaucoup plus grandes et la plupart du temps les domaines se sont industrialisés au point d’être gérés parfois par de grands groupes financiers, ce qui ne va pas dans le sens de la problématique du film». Quant à l’amour du vin, il lui fut transmis par son père, il rend au final un hommage assez émouvant à ce qu’il lui a transmis. «J’ai connu le vin par mon père qui ne boit pratiquement que du Bourgogne» explique-t-il. Quand j’ai commencé à boire (vers 17-18 ans) il me faisait goûter ses vins… C’est grâce à lui que j’ai eu cet apprentissage. Il y a peu de temps encore, il nous emmenait en Bourgogne mes sœurs et moi faire des dégustations dans des caves. C’était une sorte de rituel, une fois tous les deux ans à peu près… (…) Je sentais intuitivement que si je voulais faire un film sur le vin c’était parce que j’avais envie de parler de la famille. Ce que l’on hérite de ses parents, ce que l’on transmet à ses enfants.» On comprend donc mieux ainsi en quoi la notion d’héritage revêt dans le film une place prépondérante. Le tout tenu par des acteurs admirables jouant de façon choral, aucun ne prenant le dessus sur l’autre, avec des seconds rôles intéressants tels que tous les saisonniers engagés dans les vignes par Juliette. Le trio Giradot, Marmai, Civil contribue à rendre poignants les instants les plus ordinaires. Le temps qui passe, les mois qui filent, la vie qui se déploie, autant de thèmes traités de manière autant romanesque que cinématographique, ce qui n’est pas étonnant quand on sait que l’écrivain Santiago Amigorena a participé à l’écriture du scénario. S’impose un esprit de résistance dans le cœur des trois héros comme une force vive dans chaque mouvement de caméra, Klapisch ayant insisté sur la volonté de donner de la force à leurs actions et de la grandeur à leurs songes.
Musique sublime
Et puis, il y a le travail musical absolument superbe signé en partie par Loïc Dury présent aux côtés de son pote réalisateur. «Lui qui a fait des films urbains, verticaux», indique le compositeur, voilà que « Ce qui nous lie » est un film horizontal. Tout le contraire donc…et la partition devait trouver la manière adéquate de célébrer la force de la terre ». On l’aura compris « Ce qui nous lie » est un long métrage nourri de mille choses différentes, ouvrant des perspectives sociologiques collectives et individuelles, où l’on parle avec beaucoup d’intensité du particulier pour aller vers le général. Avec, oui répétons-le, beaucoup d’intensité traversant chaque plan, chaque dialogue, chaque mouvement des corps ou inflexions des voix. Beaucoup d’intensité pour un grand film ! Du «Romanée conti» sur pellicule en quelque sorte !
Jean-Rémi BARLAND