Publié le 3 décembre 2017 à 13h35 - Dernière mise à jour le 28 octobre 2022 à 17h48
Si le titre n’avait pas déjà été pris, le film «La Villa» de Robert Guédiguian -dont c’est aujourd’hui, 3 décembre, l’anniversaire- pourrait très bien s’appeler «Inutile de tuer son père le monde s’en charge». Histoire de famille donc, avec ici l’ascendance sociale habituelle, chère au cinéaste, le père de famille, victime d’un accident cérébro-vasculaire, s’étant retrouvé broyé avant par la mondialisation et la rudesse des plans sociaux. Un homme détérioré par le monde qui se retrouve au début du récit sur une chaise roulante, ses trois enfants Angèle (Ariane Ascaride), Joseph (Jean-Pierre Darroussin), Armand (Gérard Meylan), venus autant par compassion que pour régler des comptes. «Les familles heureuses se ressemblent toutes. Les familles malheureuses sont malheureuses chacune à leur façon», écrivait Tolstoï au début d’Anna Karénine. Disons que celle présentée, avec la pudeur habituelle de Guédiguian, s’est déchirée par silences, incompréhensions et détestation de soi. Par jalousie parfois, Angèle actrice ayant réussi est, aux yeux de ses frères, celle qui les a trahis en s’enfuyant tandis que Joseph souffre de se sentir un écrivain raté. A cette dureté du monde, Robert Guédiguian oppose la douceur d’un lieu : La Villa située dans une calanque près de Marseille. Portrait de groupe avec dames, le film met en scène les uns et les autres, y ajoutant Bérangère (Anaïs Demoustier) la compagne de Joseph qui ne l’aime plus, le pêcheur Joseph (Robinson Stévenin) très épris d’Angèle, qui lui a donné le goût du théâtre, le couple formé par Martin et Suzanne (Jacques Boudet et Geneviève Mnich) au destin tragique, tous saisis en mouvement dans une unité de lieu, la villa, avec une narration théâtrale qui n’est pas sans rappeler «La mouette» de Tchekhov.
La calanque de Méjean comme théâtre de la vie
Et Robert Guédiguian venu au cinéma Le Renoir d’Aix-en-Provence présenter son film avec son équipe de s’en expliquer : «Dans ce huis clos à ciel ouvert, quelques frères et sœurs, pères et mères, amis et amants échangent des tonnes d’amours anciennes et d’amours à venir… Tous ces hommes et toutes ces femmes ont un sentiment commun. Ils sont à un moment de leur vie où ils ont une conscience aiguë du temps qui passe, du monde qui change(…) Les chemins qu’ils avaient ouverts se referment peu à peu. Il faut sans cesse les entretenir… ou bien en ouvrir de nouveaux. Ils savent que leur monde disparaîtra avec eux… Ils savent aussi que le monde continuera sans eux… Sera-t-il meilleur, pire ? Grâce à eux, à cause d’eux ? Quelle trace vont-ils laisser ? Et dans cette situation, soudain, arrive quelque chose, qui peut-être, va bouleverser toutes ces réflexions, une révolution copernicienne : des enfants rescapés d’un bateau échoué se cachent dans les collines. Ce sont deux frères et une sœur, comme un écho à Joseph, Armand et Angèle, et ça remet la fratrie en marche, puisqu’ils décident de garder ces petits avec eux.» Et le cinéaste d’ajouter : «Cette calanque de Méjean offrait toutes les conditions nécessaires au récit. Les petites maisons colorées, encastrées dans les collines semblent n’être que des façades… elles sont surplombées par un viaduc où les trains ont l’air de jouets d’enfant, l’ouverture sur la mer transforme l’horizon en fond de scène… autant de toiles peintes… surtout dans les lumières de l’hiver, quand tout le monde est parti. Un décor abandonné, mélancolique et beau.» Et effectivement c’est très beau, puissant, inventif, propice au rêve et à la suggestion.
Comme un film de Claude Sautet
Force des acteurs, jeu exceptionnel de chacun d’entre eux, mélange des générations avec la présence des enfants, accident de la vie dont nous parlions au début, arrivée de la pluie qui raconte elle aussi une histoire, «La Villa» fait songer par moment à un film de Claude Sautet -le cinéaste qui admirait beaucoup Guédiguian avait d’ailleurs déclaré lors de la remise de son 2e prix Louis Delluc « Robert Guédiguian l’aurait mérité plus que moi »- où Ariane Ascaride, sur qui se fixe tous les regards, possède la puissance physique et mentale ; le charme et la beauté de Romy Schneider.
A propos des migrants
Mais que serait un film de Robert Guédiguian sans une dénonciation politique des grands sujets de société ? Nourri de Victor Hugo tout autant que de Michelet ou Vallès le film «La villa» aborde la question des migrants de la manière la plus narrative qui soit. A hauteur d’Homme. D’enfants devrait-on dire, sans discourir, ne démontrant pas, mais montrant, mettant en scène trois petits réfugiés venus de la mer (un autre personnage central du film) qui seront accueillis par les gens de la villa, dans des conditions que nous en raconterons pas… Tout cela mis bout à bout, si l’on ajoute des dialogues admirables de justesse, et la scène des vieux amants décidant de s’en aller ensemble, on pourra dire de qu’avec « La villa » Robert Guédiguian signe un chef d’œuvre. Un de plus me direz-vous !
Jean-Rémi BARLAND