Publié le 21 octobre 2020 à 14h59 - Dernière mise à jour le 31 octobre 2022 à 12h15
«Les apparences» de Marc Fitoussi, un thriller très Claude Chabrol tenu par une Karin Viard rappelant Diane Keaton dans le film de Richard Brooks, et un Benjamin Biolay excellemment vénéneux…
Connaît-on forcément la personne avec qui l’on vit ? Doit-on, à ce sujet, se fier aux apparences qui comme on le sait demeurent souvent trompeuses. Vaste sujet dont s’empare avec une réussite exemplaire le réalisateur Marc Fitoussi dont le thriller intitulé «Les apparences» doit beaucoup au travail des comédiens. Nous sommes à Vienne, avec ses palais impériaux, et… sa microscopique communauté française. Vienne le pays du Danube bleu revu par Strauss, là où s’est installé Henri Monlibert, (Benjamin Biolay) le chef d’orchestre français de l’Opéra. Avec sa femme Eve (Karin Viard), et leur fils Malo, il mène en Autriche une vie professionnelle et privée des plus harmonieuses. Une vie apparemment sans fausse note, ce qui va de soi pour un musicien, jusqu’au jour où Henri succombe au charme de l’institutrice de leur fils. Pour mener avec elle une relation torride des plus débridées. Dans ce genre de situation le scénariste s’emploie à ce que l’épouse trompée ne découvre la vérité que très tardivement. Marc Fitoussi agit de façon contraire, Eve sera assez vite au courant de la situation et c’est elle que nous suivons dans sa peine et son désir de vengeance. Nous sommes comme dans les films de Chabrol (ceux où Stéphane Audran excellait) avec vue sur couple bourgeois, durant lequel les cris ont fait place à des chuchotements emplis de ressentiments et durant lesquels chacun aiguise ses couteaux. Karin Viard possède la même aura que la comédienne fétiche du réalisateur de «Folies bourgeoises» mais, dans «Les apparences» sa rencontre avec Jonas Kzarez -un jeune homme mystérieux et romantique interprété par Lucas Englander- fait songer plutôt au film «A la recherche de mister Goodbar » réalisé par Richard Brooks en 1977. En raison d’une scène notamment où l’on voit Karin Viard parler de nuit dans un bar avec Lucas Englander, le plan semblant presque un hommage à Diane Keaton face à Richard Gere, les deux acteurs du long métrage américain. Même travail sur la lumière, manière identique de cadrer les personnages, de les installer dans une discussion basée sur le désir en marche, Marc Fitoussi soigne l’image, la narration et fait glisser l’histoire de mœurs du côté du thriller. Karin Viard sublime, -mais c’est presque un pléonasme-, rend son personnage bouleversant, et Benjamin Biolay en mari trompeur-trompé montre qu’il est réellement un comédien capable de finesse et d’intériorité. Insistant sur les regards, évoquant des non-dits paradoxalement assez bruyants, Marc Fitoussi ne lâche jamais son histoire d’adultère mais l’enrichit d’une réflexion sur l’hypocrisie, la désir de reconnaissance sociale, la peur de vieillir. A ce jeu de poker menteur où chacun des deux éléments du couple avance ses pions avec la détermination d’un chef de guerre, on sera surpris par l’épilogue là encore très Claude Chabrol, et on retiendra de ce thriller, librement adapté du roman Trahie de Karin Alvtegen, qu’il s’impose comme une œuvre forte dans la lignée des œuvres marquantes de la Nouvelle Vague qui opposaient à « la qualité à la française » des années 1940-1950, un cinéma inventif ne négligeant toutefois jamais dialogues réalistes et subtils mouvements de caméra.
Jean-Rémi BARLAND