Cinéma & littérature. Rencontre avec Lucien Burckel de Tell, écrivain et réalisateur 

Lucien Burckel de Tell, présent sur le dernier festival de Pâques d’Aix, auteur d’un roman, et dont « Lukas M. » concourt, comme finaliste, à la maison du film pour obtenir le Label Film qui sera octroyé le 25 juin.

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Lucien Burckel de Tell, cinéaste et romancier, peintre des sentiments, construit une œuvre forte, rigoureuse, inventive, essentielle. (Photo Jean-Rémi Barland)

Quand on lui demande quel est son film préféré Lucien Burckel de Tell répond sans hésiter : « Hiroshima mon amour » d’Alain Resnais qui est pour lui « une œuvre totale, indépassable». Côté cinéastes il cite parmi ses réalisateurs de chevet, Jean-Pierre Melville, Louis Malle et Douglas Sirk pour leur sensibilité, leur justesse. Et Hitchcock, « évidemment ». Les écrivains inscrits dans son panthéon littéraire s’appellent Eric Jourdan pour « Les mauvais anges » « un livre malade que j’aime profondément pour sa beauté, son aspect désuet et brut à la fois », dit-il et Marguerite Duras -celle-là même qui écrivit « Hiroshima mon amour » dont est tiré le film- qui demeure au sommet « autant pour ses textes que pour sa sincérité et tout ce qu’elle était humainement. » Il faut dire que la littérature et le cinéma accompagnent la vie de ce jeune artiste qui, né le 19 novembre 1991, est tombé très jeune dans la marmite de l’image et de l’écrit. Avec depuis quatre ans une halte au Festival de Pâques d’Aix-en-Provence où Lucien Burckel de Tell y travaille en tant que monteur audiovisuel avec un grand professionnalisme et un enthousiasme constant. Montage des reportages produits par Libelo Production pour le festival, et par la suite de certaines captations diffusées en général sur Arte Concerts. « Pour le festival, j’ai entre autres monté des captations d’Isabelle Soulard ou d’Olivier Simonnet », indique-t-il. « J’aime cette manifestation qu’est le Festival de Pâques, pour l’excellence de son programme et où toutes les équipes travaillent dans un esprit de solidarité».

Des films et un roman d’une grande force

Généreux lui-même, Lucien Burckel de Tell, aime le contact, l’échange culturel, ce que lui a enseigné en fait ses études de cinéma poursuivies à Madrid, et ce après deux années de classes préparatoires couronnées de succès. Entré à l’ECAM dans le département « Mise en scène » il a réalisé d’abord quatre courts-métrages dont « Le bruit des rails » qui raconte le rêve éveillé d’un homme qui ne peut pas oublier son premier amour, et « Réplica » où l’on voit un couple qui, en rentrant de soirée laisse un passé douloureux reprendre ses droits.

De retour à Paris, où il se forme au montage à l’École Supérieure d’Études Cinématographiques il réalise deux films coups de poing : « Une nuit » où l’on suit Sara, jeune étudiante qui fait dans la capitale de multiples rencontres dans une quête compulsive du désir, puis « Lukas M. »  datant de 2022 dont le scénario s’inspire librement de la cavale de Luka Rocco Magnotta surnommé « Le dépeceur de Montréal». On notera ici l’interprétation hors du commun de Thibault Servière dans le rôle titre qui a beaucoup impressionné et ému le réalisateur lui-même et comme dans « Une nuit » un traitement de l’image rappelant les tableaux du peintre espagnol Joaquín Sorolla y Bastida, qui, né le 27 février 1863 à Valence et mort le 10 août 1923 à Cercedilla, «aime , selon Lucien Burckel de Tell, poser sur les êtres humains un regard englobant.» Une œuvre radicale qui suit également des critères esthétiques rigoureux où le traitement de l’image suggère plus qu’elle ne montre. Comme c’est le cas, raconte-t-il, dans « Nymphomaniac » de Lars von Trier où l’importance est donnée à tout ce qui n’est pas dit. « Quand j’écris un scénario, j’invente un espace cinématographique propre à ce que je veux raconter. Dans « Une nuit » toutes les lignes de métro de Paris que l’on voit n’ont pas été choisies au hasard. La ligne 6 par exemple… car elle est aérienne. La ligne 4 Porte d’Orléans offre à voir des colonnes qui défilent, et met en scène l’héroïne qui court. Juste avant, celle-ci courait sur un pont où là aussi il y avait des colonnes. Les lignes de métro ne sont pas de simples décors, elles participent à un mouvement. Quand je filme je pense en images qui toutes partent d’une obsession née dans la tête du personnage central. Je me suis intéressé dans « Lukas M. » à un personnage symptomatique de son époque. Notamment dans le narcissisme décomplexé qui l’anime. Nous sommes de fait devenus les agents de notre propre personne. Ce film évoque beaucoup de choses. Pas de volonté chez moi de faire un film de genre. Je filme « Lukas M. » dans son intensité. On ne le voit pas tuer. Raconter donc ici  ce qu’on ne montre pas.. »

Filmer le processus d’évolution d’un personnage

« C’est pour cela,  ajoute Lucien Burckel, que j’admire tant Jean-Pierre Melville car il aime filmer des processus et pas forcément de l’action. Cela m’intéresse de filmer les processus d’évolution d’un personnage à travers son quotidien. Ce ne sont donc jamais les mots qui sont premiers, mais les images. Avec, chez moi, comme pour « Une nuit » la fascination pour les personnages dans Paris la nuit. Je suis attaché à filmer ce Paris que je parcours. Et avant tout son métro, car il me semble que ce sont les métros qui ont le plus d’âme dans tous les pays. Filmer un bistrot serait à mes yeux de l’ordre de la carte postale. Le métro, il a une âme. J’ai besoin pour réaliser un film d’appréhender à l’avance la configuration des lieux dans lequel je vais situer l’action. Les espaces me permettent de penser véritablement l’enchaînement des faits. J’ai en ce moment un projet d’écriture d’un film qui évoque une amitié entre deux adolescents pendant les vacances. Il est né de l’envie au départ de tourner le film dans la maison de mes grands-parents dans le village de Charroux, une commune française, située dans le département de l’Allier en région d’Auvergne-Rhône-Alpes. On part là encore du désir de filmer des lieux précis. Je m’attache à décrire une maison avec une unité de lieu. En opposition à mes autres œuvres, ce sera un film très solaire, joyeux pas torturé. Les premiers émois adolescents seront filmés de manière douce.»

« Les amants » un roman d’amour… sur l’amour

Et puis, il y a « Les amants » le premier roman publié par Lucien Burckel de Tell aux éditions « Cœur de lune ». Il s’agit de l’éducation sentimentale d’un jeune garçon du XXe siècle poursuivie entre Paris et Madrid sur fond de désirs homosexuels et de questionnements sur ses racines familiales. Ouvertement gay ce roman n’est en aucun cas communautariste, et nous suivons un narrateur qui rêve d’amour absolu en ne cessant d’analyser de manière méticuleuse l’autre dans toute sa complexité. Là encore le peintre espagnol Joaquín Sorolla y Bastida a toute sa place dans ce roman qui, au final fait l’éloge de la liberté de la littérature. Un credo qui chez l’auteur est aussi cinématographique. « Mon personnage , explique-t-il, refuse de s’isoler de son siècle. Il réfléchit beaucoup sur son époque. Il veut avant tout vivre. On m’a souvent dit que j’étais le narrateur du roman. Ce n’est pas tout à fait vrai, car je fais œuvre de fiction avec l’idée que la plus belle manière de vivre c’est de continuer à aimer les gens avec qui on a vécu et même s’ils se sont éloignés.  Le narrateur parle du choc que c’est d’être bousculé par une rencontre qui passe la plupart du temps par la fréquentation… de sites de rencontres. S’il demeure d’esprit romantique, il est libre, libertin, libertaire… et surtout de son époque. » Magnifiquement écrit ce roman aux passages parfois crus, où le lecteur n’est jamais transformé en voyeur, nous plonge dans les pensées d’un anti-héros d’aujourd’hui qui comme Lucien Burckel de Tell s’intéresse aux autres en parlant essentiellement de lui. Un roman d’amour sur l’amour qui s’inscrit dans la cohérence d’une œuvre forte exigeante, essentielle.

Jean-Rémi BARLAND

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