Publié le 9 septembre 2018 à 22h04 - Dernière mise à jour le 28 octobre 2022 à 18h58
«Les familles heureuses se ressemblent toutes, les familles malheureuses sont malheureuses chacune à leur façon», écrivait Tolstoï au début d’Anna Karénine. Très impressionnée par cette phrase la cinéaste Cécilia Rouaud a songé un instant à l’inscrire en préambule de son film «Photo de famille», le long métrage qu’elle est venue présenter à Aix-en-Provence en avant-première au cinéma Le Cézanne. Collant parfaitement au déroulé du récit cette pensée irradie en effet cette histoire simple mais pas simpliste où l’on parle de transmission de valeurs, et où on évoque la question de savoir ce que l’on va faire de nos anciens, une fois l’atteinte de l’âge paralysant leurs gestes quotidiens. «J’ai toujours été intéressée par la question de la famille, par les rapports entre les gens que j’adore écouter parler d’ailleurs», a précisé la cinéaste devant une salle pleine à craquer. Et d’illustrer son propos par une mise en scène flamboyante où chaque personnage est traité avec une importance égale ce qui permet au spectateur de s’attacher ainsi à chacun d’eux en particulier. De famille recomposée, il n’en sera pas question ici tant tout est décomposé justement et, nous voilà en face de personnages hauts en couleurs, égocentriques pour la plupart, parce que empêchés depuis des années et rendus un rien sauvages à force de solitude.
Au centre de la toile Gabrielle (Vanessa Paradis), Elsa (Camille Cottin), et Mao (Pierre Deladonchamps) frère et sœurs qui ne se côtoient plus depuis des années. En colère contre la terre entière Elsa désespère de tomber enceinte. De blanc vêtue, Gabrielle «statue» pour touristes parisiens désespère son adolescent en raison même de son activité incongrue. Quant à Mao, game designer de génie, il noie sa dépression chronique et sa mélancolie dans l’alcool et la psychanalyse. Quant à leurs parents Pierre (Jean-Pierre Bacri) et Claudine (Chantal Lauby) séparés de longue date, ils n’ont jamais rien fait pour resserrer les liens de la famille. Pourtant au moment de la mort du grand-père tous vont devoir s’écouter à défaut de s’entendre afin de répondre à l’épineuse question «que faire de mamie ?» Alzheimer, la vieille dame ne peut plus vivre seule, et si au départ chacun se renvoie l’idée que l’autre doit s’en occuper, la situation nouvelle permettra aux bonnes volontés éventuelles de faire un bout de chemin vers une certaine forme de résilience.
Un regard bienveillant sur les personnages
La force du film et ce qui l’empêche de tomber dans la caricature ou une sorte de nouvelle Tatie Danielle demeure le regard bienveillant posé par la cinéaste sur tous ses personnages. Du coup ils deviennent attachants en dépit même de leurs états d’âme permanents et de leurs comportements pour le moins curieux qui voit par exemple le père jeter le chat de ses filles à la poubelle et la mère enterrer l’ours en peluche de son petit garçon. Sans jamais se départir d’un humour à froid, un rien british, Cécilia Rouad donne corps à son histoire par des gros plans magnifiques mettant en lumière la performance de tous les acteurs qui ne surjouent jamais et qui savent s’écouter. Et quels acteurs ! Mentionnons les tous, tant ils sont d’une justesse incroyable. Parmi eux Pierre Deladonchamps qui est venu à Aix accompagner la cinéaste lors de l’avant-première possède cette puissance rare qu’ont les grands acteurs de cinéma. Il nous avait déjà bouleversés dans le film de Christophe Honoré où il nous donnait à entendre en mettant une cassette dans la voiture la chanson «Les gens qui doutent», le chef d’œuvre d’Anne Sylvestre (qui en a écrit d’autres ceci dit en passant), mais là il nous impressionne par l’étendue de son jeu subtil et si intelligent. Il faut dire qu’il est magistralement dirigé, Cécilia Rouad travaillant comme une metteure en scène de théâtre avec un instinct de troupe. Souvent émouvant «Photo de famille» film très écrit mais jamais sur-écrit explore par une phrasé rappelant «Les années» d’Annie Ernaux les rivages psychanalytiques chers à Françoise Dolto. C’est très beau et très empathique ça ne juge jamais et ça offre une fin ouverte des plus réconfortantes.
Jean-Rémi BARLAND