Publié le 30 septembre 2018 à 12h38 - Dernière mise à jour le 28 octobre 2022 à 19h00
Tout d’abord cette sensation de nombre important. Gigantesque même. Tous ces étudiants en première année de médecine, plus de mille – dont trois cent-cinquante environ franchiront ce premier palier carrément parqués dans des hangars pour passer le concours final- montrent à quel point leurs conditions de survie universitaire demeurent minces. On est impressionnés par la manière dont le réalisateur Thomas Lilti filme cela sans pathos, ni effets, avec un réalisme froid qui renforce l’épreuve (car c’en est une) de tous ces postulants à ce noble métier de santé. Émus aussi, tant on comprend aisément que ce cinéaste connaît admirablement son sujet lui qui a commencé de telles études avant que de se lancer dans le 7e art. Nous sommes ensuite saisis par la vérité des deux personnages principaux, du récit très romanesque développé ici avec une attention particulière portée aux regards et aux silences. Leur intensité dramatique aussi qui les rend attachants, et qui exerce sur le spectateur une empathie certaine. Le premier s’appelle Antoine Verdier (Vincent Lacoste) et le second Benjamin Sitbon (William Lebghil). Ils vont partager le temps d’une année leurs espoirs de s’en sortir, et vont travailler ensemble, s’aidant et s’épaulant mutuellement. Avec des parcours très différents. Antoine entame sa première année de médecine pour la troisième fois. Benjamin arrive directement du lycée, mais il réalise rapidement que cette année ne sera pas une promenade de santé. Dans un environnement compétitif violent, avec des journées de cours ardues et des nuits dédiées aux révisions plutôt qu’à la fête, les deux étudiants devront s’acharner et trouver un juste équilibre entre les épreuves d’aujourd’hui et les espérances de demain. On les suit donc apprenant des passages entiers de leurs cours sans forcément en saisir toutes les subtilités, s’épuisant à la tache, et se battant pour tout simplement exister. Si «Première année» est un film passionnant avec une forte écriture dramaturgique, (une fin bouleversante et un épilogue assez inattendu pour tout dire à tirer les larmes), c’est avant tout qu’il pose des questions sociétales sur la compétition dans les études, et la sélection des étudiants sans jamais trancher, ni développer des discours pompeux, mais simplement en mettant en scène deux individus lambdas aux prises avec une situation complexe qu’ils doivent résoudre. Montrer sans démontrer, Thomas Lilti, tournant le dos à ce cinéma des années 1970 qui voyaient Yves Boisset et André Cayatte (pour ne citer qu’eux) réaliser des films signifiants où chacun a la tête de ses idées, et, véhiculent des réquisitoires contre les dysfonctionnements du monde. Ce qui, au regard de cette inquiétude citoyenne mérite en soi un grand respect, mais qui demeure très éloigné de toute forme artistique.
Deux acteurs plus vrais que nature
Pas de cela chez Thomas Lilti. Et en dehors de l’écriture subtile, de l’intelligence de son scénario, et de sa réalisation à plusieurs niveaux, il y parvient grâce à la présence incroyable de ses deux jeunes comédiens principaux qu’il saisit d’ailleurs au milieu des autres laissant une place importante aux seconds rôles. On ne peut d’ailleurs dissocier Vincent Lacoste (Antoine) de William Lebghil (Benjamin) tant ils jouent ensemble avec un esprit de troupe comme on en trouve au théâtre. Exceptionnels l’un comme l’autre, (on admire la précision avec laquelle ils s’échangent de longues tirades peuplées de formules de médecine indigestes à apprendre), ils rendent humains leurs personnages notamment dans leurs relations avec leur père respectif (une des clefs du film) dans des scènes sobres et particulièrement émouvantes elles aussi. On l’aura compris «Première année » n’est pas un documentaire filmé sur les étudiants en médecine tous décrits d’ailleurs avec une intensité renforcée par le soin mis à les installer dans des décors plus vrais que nature, mais un vrai et beau film de cinéma, qui passionnera tous et chacun, et même ceux dont l’approfondissement des conditions particulières dont le sang circule dans le corps demeure une nébuleuse absolue.
Jean-Rémi BARLAND