Publié le 10 février 2016 à 21h12 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 21h38
C’est à l’univers littéraire de Georges Bernanos que fait penser le film d’Anne Fontaine «Les innocentes» pas celui de «Sous le soleil de Satan» mais plutôt l’ambiance de «Monsieur Ouine» pour sa manière d’analyser les rapports que notre Nature entretient avec Notre Liberté. Réflexion sur la morale, œuvre sur la compassion, la résilience, éloge du beau, du vrai, du bien et, des vertus d’entraide dans ce qu’elles ont de plus essentielles et radicales. Ce long métrage brille par sa beauté plastique (chaque plan est un tableau de maître) et réussit à émouvoir autant qu’à renseigner le spectateur sur un fait historique assez peu connu. Nous sommes en Pologne, courant décembre 1945. Mathilde Beaulieu, une jeune interne de la Croix-Rouge chargée de soigner les rescapés français avant leur rapatriement, est appelée au secours par une religieuse polonaise. D’abord réticente, Mathilde accepte de la suivre dans son couvent où trente Bénédictines vivent coupées du monde. L’infirmière découvre que plusieurs d’entre elles, tombées enceintes dans des circonstances dramatiques, (violées par des soldats russes) sont sur le point d’accoucher. N’écoutant que son cœur et défiant les lois du couvent, Mathilde, athée et rationaliste, va nouer avec les religieuses des liens très forts. Attachées aux règles de leur vocation qui refusent que des étrangers interviennent dans leur mode de vie, et surtout qu’un homme puisse s’investir dans une mission de soins -ce sera le cas avec un médecin français dépêché sur les lieux par Mathilde qui accouchera une à une les différentes sœurs enceintes- les religieuses finiront par voir chambouler leurs existences. Et d’affronter le danger qui prendra deux formes : le sempiternel ballet de mort des soldats russes rôdant avinés et l’administration qui voudrait bien exclure Mathilde pour désobéissance et rébellion.
Quel film ! Quelle interprétation ! (Lou de Laâge dans le rôle de Mathilde, et Vincent Macaigne dans celui de Samuel le médecin français possèdent une présence physique inouïe. Agatha Buzek, la sœur polonaise réussit à incarner la douleur de son personnage avec des accents de tragédienne née. Et surtout, saluons le travail de mise en scène d’Anne Fontaine qui signe son film le plus poignant, le plus terrible et le plus solaire. Balloté entre effroi -charge contre le totalitarisme et les armées d’occupation, cris des sœurs humiliées- et émerveillement esthétique -puissance et esthétique des images données presque caméra à l’épaule. Le spectateur à qui la réalisatrice a présenté son film en avant-première au Renoir d’Aix, se retrouve au centre d’une histoire de force, de courage, où tout est montré à hauteur d’Homme. S’inspirant d’une histoire vraie, ajoutant une bande son avec musiques additionnelles qui serre la gorge, Anne Fontaine porte long métrage romanesque dont on ne sort pas indemne.
Jean-Rémi BARLAND