Lorsque le 26 septembre 2022, il était venu présenter en avant-première au cinéma Renoir d’Aix-en-Provence son film « L’innocent », le comédien et réalisateur Louis Garrel ne tarissant pas d’éloges sur le travail de tous ses interprètes qualifiait l’acteur Roschdy Zem de « Stradivarius ». On ne saurait que lui donner raison au regard de chacune de ses prestations.
Impression confirmée avec son personnage de maître d’armes devenu duelliste dans le film de Vincent Perez « Une affaire d’honneur» où il partage l’affiche avec Doria Tillier, Damien Bonnard, Vincent Perez en personne, Guillaume Gallienne étonnant en l’occurrence, et le jeune Noham Edje. Sans parler de sa présence sur scène aux côtés de la divine Lætitia Casta, dans la pièce tirée du film d’Ettore Scola « Une journée particulière », adaptée pour le théâtre par Gigliola Fantoni et Ruggero Maccari dans une traduction française de Huguette Hatem. (Texte disponible à « L’avant-scène théâtre » n° 731 bis, numéro Hors série). L’acteur apparaît, et gros plans sur lui, ou comme pour Michel Bouquet quand il crevait les planches avec «A tort et à raison » la pièce de Ronald Harwood qu’il créa aux côtés de Claude Brasseur, et où il incarnait le chef d’orchestre Wilhelm Furtwängler à l’heure de la défaite nazie, il se passe immédiatement quelque chose. La présence de Roschdy Zem tient en effet…du miracle.
« Une affaire d’honneur », film où le duel fait loi
Paris 1887. À cette époque, seul le duel fait loi pour défendre son honneur. Clément Lacaze, (Roschdy Zem) charismatique maître d’armes se retrouve happé dans une spirale de violence destructrice. « Il rencontre Marie-Rose Astié, féministe en avance sur son époque, et décide de lui enseigner l’art complexe du duel. Ils vont faire face aux provocations et s’allier pour défendre leur honneur respectif ». A la suite de la mort par l’épée de son jeune neveu assassiné en duel par l’infâme Louis Berchère (Vincent Perez comme on ne l’a jamais vu), Clément Lacaze allié à Marie-Rose poursuivra jusqu’à un affrontement à cheval et au sabre le terrifiant meurtrier qui n’est pas allé comme le veut l’usage jusqu’à la blessure au premier sang. Décors magnifiques, couleurs dignes d’un tableau de maître, tout respire esthétiquement ici l’œuvre d’art. Le film qui n’est pas sans défaut, (un peu trop long, hésitant sur plusieurs niveaux de narration) rappelle par moments toutes raisons gardées l’esprit du film « The Duellists » de Ridley Scott. On y met en scène surtout Marie-Rose Astié, personnage réel née Claire-Léonie Ferdinande Tastayre, dite Marie de Valsayre et par la suite Marie-Rose Astié de Valsayre, née le 30 août 1846 et morte le 8 juin 1915. Une journaliste, militante, et féministe, fine lame, qui fut la première femme à tenter de faire abroger l’ordonnance de 1800 qui interdisait aux femmes de porter un pantalon sans l’autorisation du préfet de police.
Un travail avec des cascadeurs chinois, russes, américains et l’encouragement de Jean Dujardin
« Dans ma carrière d’acteur », explique Vincent Perez « j’ai fait plus d’une trentaine de combats, à l’épée, au sabre et fleuret, notamment dans « Le Bossu », « La Reine Margot », et « Fanfan la Tulipe ». Pour « Une affaire d’honneur », ajoute-t-il: « J’ai travaillé avec des cascadeurs chinois, russes, américains. Parmi eux de très grands maîtres d’armes dont William Hobbs, qui a signé parmi les plus beaux duels du cinéma, dont ceux des « Duellists » de Ridley Scott, jusqu’au fameux »Game of Thrones ». Et de conclure : « Sur le tournage de « J’accuse », dans une discussion, Jean Dujardin m’a dit que je devrais faire un film sur le sujet du combat. Il a alors rouvert cette boîte de Pandore que j’avais fermée. Je me suis rendu compte que le désir de réaliser un film sur le sujet était resté intact. Mais cette fois-ci je me sentais prêt. Je me suis immédiatement mis à effectuer des recherches.» Résultat saisissant avec un Roschdy Zem, « Stradivarius » que l’on croirait sorti du film « Le samouraï » de Jean-Pierre Melville ou du chef-d’oeuvre « Les sept Samourais » de Kurosawa. Deux œuvres qui ont d’ailleurs beaucoup nourri Vincent Perez.
« Une journée particulière » au théâtre ou l’art de prendre en compte les différences et les identités.
« Le 7 mai 1938, à Rome, un défilé est organisé à l’occasion de la venue d’Hitler. Alors que son mari et ses enfants sont à la parade, Antonietta, une épouse et mère a priori exemplaire, se languit dans son appartement. Un étage plus haut, Gabriele, ex-présentateur radio, vient d’emménager. Licencié parce qu’il est homosexuel et antifasciste, il attend son arrestation imminente. Durant cette « Journée particulière », ils vont apprendre à se connaître et à comprendre leurs solitudes respectives. » Voilà pour le résumé du film et de la pièce. « Le parti le plus intéressant nous a semblé être la prise en compte des différences et des identités », déclarait lors de sa création Huguette Hatem qui a signé le texte français de la pièce. « Quant à l’identité dans l’accompagnement de ressemblance elle correspond à la démarche courageuse que deux ou plusieurs de ces individus ont en commun pour parvenir à affirmer leur différence respective , au chemin parfois périlleux qu’ils doivent parcourir avant d’accéder à ce but. » Créée à Lyon du 16 au 31 mars 1982 avec Jacques Weber et Nicole Courcel, et recréée à Nice le 28 avril 1998 avec Françoise Fabian et Jacques Weber qui signait aussi la mise en scène « Une journée particulière » arrive donc au Jeu de Paume d’Aix jusqu’au 27 janvier . Et, ce, dans une autre distribution et avec une lecture différente.
Nouvelle mise en scène de Lilo Baur dont on retrouvera le travail sur « La puce à l’oreille » du 15 au 17 mars 2024 au GTP d’Aix avec la troupe de la Comédie-Française.
Sous les traits d’Antonietta Tiberi, (immense Claudia Cardinale dans le film de Scola) on trouve désormais Laetitia Casta. Elle est bouleversante, d’une intensité qui n’a rien à envier à sa brillante devancière cinématographique. Dans ses gestes mêmes, la façon de plier les draps ou s’occuper de sa cuisine, elle est d’une vérité confondante. C’est donc Roschdy Zem qui incarne Gabriele, l’anti-héros, droit, digne, et déchirant que Marcello Mastroianni porta au cinéma à un niveau de perfection absolue. Subtil, en retenue, laissant respirer les silences, il enrichit son personnage d’une part d’ombre et de mystère. Le mérite en revient aussi à Lilo Baur qui fait déplacer ses interprètes comme s’ils exécutaient une chorégraphie. D’ailleurs la scène de la danse au début de la pièce, ou celle de l’amour fait dans la cuisine à même le sol renforcent cet aspect voulu par la metteuse en scène. D’emblée nous sommes saisis, secoués, avec des scènes fortes et des moments très politiques où, par l’utilisation de la vidéo et de la radio l’on entend les voix fascistes de ce jour particulier de mai 1938 lorsque Hitler rencontre Mussolini à Rome, et, où tout le quartier est dans la rue pour applaudir l’événement.
Evénement réel qui sert de base à cette rencontre entre ces deux êtres qui finalement souffrent d’exclusion et de solitude. Lilo Baur dont la mise en scène est d’une beauté à couper le souffle, réussit ici à illustrer sans faire de paraphrase ni tomber dans le pamphlet grandiloquent (comme le font d’ailleurs le film de Scola et la pièce) la manière dont sont pourchassés les homosexuels et comment la place d’une femme dans la société doit être à l’époque réduite à son rôle de mère et d’épouse. Mari machiste, patriarcat autoritaire, qui sont ici condamnés sans appel, droit à la différence, « Une journée particulière » est une leçon de résistance et un cri de révolte lancés à tous les racismes et à tous les ostracismes. Ce qui rend la pièce d’une actualité brûlante, et d’une lucidité bouleversante car, rien ici ne passe par le discours théorique mais par l’incarnation de l’idée de liberté faite à hauteur d’humain. On montre sans démontrer, et on trouve que l’ensemble est absolument citoyen, essentiel, en un mot…parfait.
Jean-Rémi BARLAND
« Une journée particulière » d’Ettore Scola. Adapté au théâtre par Gigliola Fantoni et Ruggero Maccari dans une traduction française de Huguette Hatem. Texte disponible à l’Avant-scène Théâtre. Représentations au Théâtre du Jeu de Paume d’Aix-en-Provence, coproducteur du spectacle – 17 rue de l’Opéra. Jusqu’au 31 janvier 2024 tous les jours à 20 heures, sauf le mercredi 31 janvier à 19 heures – Plus d’info et réservations sur lestheatres.net
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