Publié le 31 juillet 2018 à 10h39 - Dernière mise à jour le 28 octobre 2022 à 18h55
Le club Ethic Eco, organisé par le Conseil régional de l’Ordre des experts-comptables (Croec) Marseille-Paca vient d’accueillir, pour un débat sur « éthique et éducation », Ghaleb Bencheikh, Docteur es Sciences, physicien, producteur-animateur de télévision. Il est également, islamologue, théologien, philosophe, producteur de l’émission «Questions d’Islam», le dimanche, sur France Culture. Une éthique qui, selon lui, «est une émanation des Hommes pour les bien-être des Hommes», avant de la définir ainsi: «Comment faire pour réussir une vie bonne pour soi et utile pour les autres». Invite à revenir à «ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas que l’Autre te fasse». Et pour cela, indique-t-il : «Il faut que l’homme et la femme qui réfléchissent soient préparés; pour cela, il faut qu’ils soient éduqués. Éduquer, c’est-à-dire accompagner, faire croître, guider». Considère : «Il y a mouvement entre le maître et l’élève dans une relation asymétrique, le maître ayant l’ascendant». Il ne manque pas de signaler qu’«une société s’humanise lorsqu’elle se féminise». Insiste sur le rôle de la presse: «C’est le socle de la démocratie. Pour beaucoup, la presse donne la première représentation du monde. Maintenant un bon journaliste donne à penser, un mauvais donne sa pensée». Et, cette éthique, cette éducation doivent s’inscrire dans un monde en mouvement, en expansion: «L’univers de ma grand-mère s’arrêtait aux limites du canton, celui de ma fille à celles du monde». Lionel Canesi, le président du (Croec) Marseille-Paca, insiste sur le fait que l’éthique est inséparable de l’action humaine. Au préalable, le député Mohamed Laqhila, fondateur du club Ethic Eco avait avancé: «Que l’on parle d’éthique… (ethos) chez les grecs ou de morale… (moralis) chez les latins, ces deux mots disent aujourd’hui exactement la même chose : c’est la façon que nous avons d’habiter le monde, ce sont les mœurs, la manière dont on se comporte. Or les mœurs du siècle dernier, la façon de se comporter à l’autre bout de la planète, sont pourtant bien différents. Et là est toute la difficulté lorsque l’on essaie d’emblée, de définir l’éthique, elle est une notion appréhendée en un lieu précis et à un instant défini».
«L’éducation familiale est la première transmission de valeurs morales, la première pierre de notre société.»
Mohamed Laqhila en vient à l’éducation, pour considérer: «L’éducation familiale est la première transmission de valeurs morales, la première pierre de notre société». Mais, poursuit-il: «Elle devra nécessairement être complétée par l’éducation institutionnelle, moyen d’égalité de tous…». Évoque les lois Ferry qui instaurent une école gratuite, laïque et obligatoire.« L’instauration de l’École républicaine avait d’abord pour objectif de libérer les consciences de l’emprise religieuse mais surtout de faire disparaître la plus redoutable des inégalités, celle qui vient de l’enfance, l’éducation». Dans ce cadre, il s’interroge: «Mais alors comment pouvons-nous expliquer qu’existent aujourd’hui encore autant d’inégalités selon que l’on soit fils d’ouvrier ou fils de notaire par exemple ? Où notre République a-t-elle failli pour que le taux de réussite au Bac dans Paris centre soit près de 10 points plus élevés qu’en Seine-Saint-Denis ?» Et de conclure: «Dans le cas de l’éducation familiale comme celui de l’éducation institutionnelle, ne faut-il pas réfléchir à des pistes qui permettent in fine un seul et unique but, sinon la seule égalité :… La véritable Liberté: rendre le monde qui nous entoure intelligible… permettre à tout individu de comprendre, de développer son sens critique, sa raison… et de s’émanciper ? Redéfinissons avec précision un objectif unique et donnons à chacun les clefs pour déceler ce qui est universel de ce qui ne l’est pas.»
«Faisons en sorte que, grâce à l’éducation, les jeunes générations apprennent à vivre leurs rêves plutôt que de rêver leur vie»
Lionel Canesi déplore, en matière d’éducation: «que des entrepreneurs, parti de zéro ne soient pas mis en avant» et que «réussir soit un gros mot en France». Alors, pour lui: «Il est grand temps de remettre en avant le rôle citoyen de l’entreprise au service de tous et d’inculquer aux jeunes générations une vision humaniste et positive de l’entrepreneuriat. C’est capital pour les années à venir». Et souhaite: «Faisons en sorte que, grâce à l’éducation, les jeunes générations apprennent à vivre leurs rêves plutôt que de rêver leur vie». «L’éthique, avance-t-il, ne se limite pas à une réflexion purement théorique sur le contenu et l’application des valeurs morales. Elle est inséparable de l’action humaine et du travail par lequel des sujets se forment eux-mêmes au contact de leurs semblables, dans des environnements particuliers. Il n’y a donc d’éthique qu’en contextes: sociaux, économiques, professionnels, institutionnels, géopolitiques».
«Un des plus lourds handicaps dont puisse pâtir l’être humain est d’être privé d’éducation»
Ghaleb Bencheikh insiste sur l’importance de l’éducation, y voit un droit «inaliénable, opposable aux États, aux Institutions car un des plus lourds handicaps dont puisse pâtir l’être humain est d’être privé d’éducation». «Mais ce n’est pas suffisant, précise-t-il, la barbarie nazie est notamment le fait de personnes éduquées». Il reprend: «C’est ceux qui subissent un manque d’éducation qui sont prêts à céder à toutes les manifestations de racisme, de xénophobie. Au-delà, lorsque l’on dispose de moins de 300 mots on est potentiellement violent car on n’a pas des outils pour s’exprimer et on peut plus facilement être manipulé. Il en est qui aime caresser les plus bas instincts de l’Homme, l’éducation est une protection contre les travers du populisme». D’en venir à l’éducation familiale et à « la règle » du 3 fois 7. Il développe: «Les 7 premières années sont celles de « l’enfant roi », du jeu avec lui. Les 7 suivantes sont celles de « l’enfant otage », de l’enseignement, il importe de corseter afin de ne pas passer de « l’enfant roi » à « l’enfant tyran » et, les 7 d’après sont celles de « l’enfant vizir » que l’on consulte avant qu’il ne prenne son envol. Un système qui a fait ses preuves pendant des siècles et qui vise à permettre un équilibre entre le respect de soi et le respect de l’Autre». Insiste sur l’humanisme qui implique «une éducation à la liberté, donner la capacité de dire non au moment où il faut le dire» et l’égalité entre les êtres «dans les faits et dans les droits, par delà le genre, l’appartenance ou non, confessionnelle». Un humanisme «qui a le souci de l’Autre, qui a la volonté de prendre en charge les aspirations de l’être humain. L’humanisme c’est le maître mot contre la radicalisation». Ghaleb Bencheikh, invite à ce propos «de séparer le bon grain de l’ivraie» en prenant l’exemple de Jules Ferry, acteur de la démocratisation de l’enseignement pour qui, cette dernière avait une mission éducative, morale et civique. «Il demandait aux instituteurs de prodiguer à leurs élèves la capacité de définir par eux-mêmes le bien et le mal». Il assène: «Jules Ferry n’était pas le même hors de la métropole, tout comme le Tocqueville de l’Amérique n’est pas celui de l’Afrique. Je fais mien le Jules Ferry qui s’adresse aux instituteurs, je relativise l’humanisme de Jules Ferry» .
«L’intelligence artificielle ne résout pas la lancinante question des origines, du sens de la vie»
Puis de considérer qu’avec l’Intelligence Artificielle arrive un nouveau temps pour l’humanité: «Une « nouvelle » rationalité » transmoderne voit le jour. Nous sommes mis en demeure de raisonner autrement. Mais, dans le même temps, l’intelligence artificielle ne résout pas la lancinante question des origines, du sens de la vie». Une question qui demeure, prend force, en le sens à donner à l’humain dans cette époque de mutation du monde. «Et il y a débat entre ceux qui laissent à la science, au progrès débridé le soin d’avancer et ceux qui rétorquent qu’il y a quelque chose d’inaliénable chez l’Homme et que la question de la transcendance se pose». Il importe donc qu’«à l’ère de la révolution numérique, de l’Intelligence Artificielle, que la raison émergente sache allier les ressources de la technoscience, de l’intelligence artificielle et de la nanotechnologie avec la soif de spiritualité et l’invariant besoin de transcendance». Éthique, éducation, Ghaleb Bencheikh en vient aux mots: «Ce sont des êtres vivants qui naissent, grandissent et meurent. Ainsi le mot Djihad ne veut rien dire d’autre qu’effort sur soi, que travail. Mais il ne retrouvera jamais son sens premier et disparaîtra… Dans le même temps je rappelle que travail vient du latin tripalium qui est un instrument de torture. Mais, encore une fois, nous avons besoin des mots pour ne pas céder à la violence». Et de conclure: «Le « Vivre ensemble » ne suffit pas. De toute façon, nous vivons ensemble mais, sommes-nous dans la méfiance, la défiance, la crispation, le rejet ou bien sommes-nous ensemble dans l’osmose, la symbiose, la synergie, l’interactivité. Il s’agit aujourd’hui de faire société, de construire une mosaïque humaine vivante, de construire une Nation prospère pour tous. De construire avec l’Autre car, dans la vie il y a l’Autre et j’ai besoin de son regard, surtout lorsqu’il me déplaît car, il me permet d’avancer si je ne cède pas à la violence».
Michel CAIRE