Publié le 9 juillet 2020 à 16h17 - Dernière mise à jour le 31 octobre 2022 à 11h52
Une nouvelle fois c’est un débat riche, invitant à la réflexion, que le club Ethic Eco – porté par le Conseil régional de l’Ordre des experts-comptables (Croec) Marseille Provence-Alpes -Côte d’Azur- a proposé sur le thème d’éthique et santé avec l’ancien ministre de la Santé Jean-François Mattei et Philippe Berta, député du Gard, président du Groupe Parlementaire sur le Covid-19, en présence de Lionel Canesi, président du Croec Marseille-Provence-Alpes-Côte d’Azur et du député Modem Mohamed Laqhila, fondateur de ce club qui rappelle: «Je souhaitais, avec cette initiative, que nous puissions nous extraire du quotidien et prendre de la hauteur». «La thématique de la santé, poursuit Lionel Canesi, permet de faire un lien avec le rôle d’expert de la santé des entreprises que sont les experts-comptables. Je pense que la présence de notre profession auprès des entreprises, notamment des TPE/PME, en ces temps difficiles afin de leur permettre de sortir de la crise dans le meilleur état possible pourrait mériter quelques applaudissements». Et de prescrire notamment du patriotisme économique pour contribuer à la relance: «Il est de la responsabilité de chacun de privilégier le consommer local. Il faut également faire de notre indépendance industrielle une priorité dans des domaines stratégiques. Cette crise a aussi montré l’importance de décentraliser notre pays et de s’attaquer à la complexité administrative».
«Nous sommes responsables les uns des autres»
Après ces propos introductifs, il revient à Jean-François Mattei de prendre la parole pour évoquer, dans un premier temps, la notion d’éthique: «Il s’agit d’un questionnement». Un questionnement qui s’impose «en matière de progrès génétiques mais aussi dans cette crise. Comment se comporter pour respecter les libertés individuelles tout en préservant l’intérêt général? Nous sommes tous menacés et tous potentiellement un danger pour les autres. Nous sommes responsables les uns des autres». Pour Philippe Berta: «Nous sommes dans une situation exceptionnelle, face à un virus particulier qui ne rend pas forcément malade. Au-delà des questionnements éthiques cette crise nous rappelle que nous sommes interdépendants, localement, nationalement et internationalement. Ce qui se passe en Asie, en Afrique, nous concerne et nous voyons bien que la vaccination pour les seuls pays riches ne servirait à rien». Jean-François Mattei rappelle à ce propos ce qui s’est produit avec les premiers médicaments pour le Sida: «80% des médicaments ont été distribués dans les pays riches où on comptait 20% de malades et seulement 20% dans ceux qui comptaient 80% de malades. C’est quelque chose que l’on ne veut plus voir». Il revient au confinement: «La liberté individuelle de se déplacer est supprimée pour le bien de l’intérêt général. Le virus voyage avec les humains, il fallait donc diminuer la circulation des individus pour que les urgences ne soient pas dépassées, pour éviter la question dramatique de la sélection des malades». Il en vient aux Ehpad: «le choix sanitaire a été fait d’isoler les personnes âgées afin de les protéger mais le choix manquait singulièrement d’humanité. Finalement un rapprochement a pu se faire entre les décisions politiques et les désirs des familles, des associations».
«La priorité était la préservation de la vie»
Compromis complexe pour Philippe Berta: «J’ai passé l’essentiel du confinement à auditionner des médecins, des psychologues. La priorité était la préservation de la vie». Jean-François Mattei aborde alors la question qui s’est posée sur le retour à l’école: «C’était la même question que celle des visites en Ehpad. Dans un premier temps il était impératif de protéger les personnes du virus, puis, dans un deuxième temps il a fallu prendre en compte les réactions de la population, les émotions qui accompagnent la rigueur du droit». D’autant que l’évolution de l’épidémie a montré que «les enfants sont moins touchés par le virus et, lorsqu’ils le sont, ils sont peu malades et peu contaminants. Et la décision a été prise de renvoyer, de façon graduée, les enfants à l’école». En ce qui concerne la crise, Jean-François Mattei considère : «Compte tenu des circonstances je pense que la crise a été gérée au mieux en fonction de l’évolution des connaissances scientifiques tout en réaffirmant le rôle du politique». Philippe Berta ajoute: «Effectivement, les scientifiques ont un rôle de conseil pas de décision» et avoue être: «être assez fier d’appartenir à ce Pays qui a fait le choix de la vie avant celui de l’économie». Concernant la réouverture des écoles il indique avoir visité des établissements à cette occasion: «J’ai vu un personnel très impliqué, des enfants très respectueux des consignes». Pour lui, ce retour à l’école était crucial: «car nous ne sommes pas tous égaux devant l’accès au savoir». En revanche, il affirme sortir «très abîmé, en tant que scientifique de cet épisode». Jean-François Mattei parle de «la flatterie des ego. Elle n’a pas manqué et cela m’a rendu mal à l’aise». Il déplore «une opposition déraisonnable aux faits scientifiques» avant de constater: «Les revues scientifiques ne sortent pas de cet épisode. Elles ont contribué à alimenter l’esprit anti-médical et anti-scientifique». Et estime que les scientifiques comme les politiques ont besoin de confiance «d’autant que la vérité scientifique d’aujourd’hui n’est pas forcément celle de demain.»
«Lorsque Roselyne Bachelot a fait de la prévention on l’a accusé à tort»
Jean-François Mattei regrette: «On fait porter aux politiques la responsabilité des changements d’avis pendant la crise. Mais ils suivaient les décisions des scientifiques. Ainsi, concernant les masques, il y a d’abord eu une confusion car, on pensait dans un premier temps qu’ils étaient destinés à se protéger alors qu’ils étaient là pour protéger les autres». Mais, y-avait-il assez de masques? Le professeur Mattei répond: «Cela dépend du rôle des masques. Lorsque l’OMS a dit qu’ils ne servaient pas à grand chose, le politique a suivi». Et de rappeler «lorsque Roselyne Bachelot a fait de la prévention on l’a accusé à tort. C’est là où il va falloir prendre des décisions, s’accorder sur le fait qu’il vaut mieux prévenir que guérir». Philippe Berta note à ce propos: «Nous avons pris du retard dans les moyens alloués à la recherche et cela ne s’arrange pas». La France ne serait plus désormais qu’à la quatorzième place mondiale en termes d’effort financier consacré à la recherche. «Lorsque l’Allemagne annonce un plan de 60 milliards pour l’enseignement, la recherche et l’innovation nous parlons pour notre part de 25 millions sur 10 ans».
Michel CAIRE