Publié le 16 juillet 2019 à 11h33 - Dernière mise à jour le 29 octobre 2022 à 12h05
La Maison de l’emploi de Marseille s’est investie récemment dans une initiative inédite : la réalisation d’un livre blanc visant une meilleure appréhension du secteur du numérique. Un outil d’aide à la décision qui s’inscrit dans la GPECT ou Gestion prévisionnelle territoriale des emplois et des compétences, menée depuis cinq ans déjà sur quatre filières prioritaires.
Voilà 5 ans qu’elle est menée au sein de la Maison de l’emploi (MDE) de Marseille. La Gestion prévisionnelle territoriale des emplois et des compétences (GPECT), s’est affirmée au fil du temps comme un véritable outil de prospective. Car au fond, l’objet, c’est bien celui-là : anticiper les mutations en matière d’économie, les profils de postes dont les entreprises auront besoin à l’avenir et avancer dans le sens de l’adéquation entre offre et demande, en impulsant les cursus de formation nécessaires. Anticiper, ce n’est pas si simple : si l’on peut en effet se projeter en partie en tenant compte des évolutions amenées par les nouvelles technologies, les tendances de consommation émergentes, les politiques locales et/ou globales, on peut toutefois difficilement maîtriser l’entièreté des paramètres en la matière. Mais ce challenge, la MDE locale a toutefois entrepris de le relever, en se focalisant sur quatre filières prioritaires. «C’est notre gouvernance, composée du Pôle Emploi, de la ville de Marseille et de l’État, via la Direccte, qui a déterminé ces secteurs. Parmi ceux-ci, la réparation navale, l’économie numérique, le commerce et la logistique», détaille Stéphanie Chauvet, directrice de la Maison de l’Emploi de Marseille. Les constats qui ont amené à prioriser sur ces quatre filières ? Ils sont divers. Ce peut être pour redonner du lustre à un secteur d’activité traditionnel qui a connu des revers. C’est le cas de la réparation navale, «autrefois prégnante. Il y a eu fermeture des chantiers, mais pour autant, on cultive la volonté de remettre la filière à flot. Il ne faut pas oublier que l’on a la plus grande forme au monde, un nombre de croisiéristes toujours croissant… » Ce peut être aussi pour agir en appui de secteurs qui connaissent des difficultés en termes de recrutements, à l’instar du commerce ou de la logistique. Enfin, c’est aussi pour accompagner les mutations économiques et ne pas rester sur le quai, au passage du train de l’innovation et de la modernité. Et cela, c’est clairement le cas avec la filière numérique.
Mettre les acteurs autour de la table
Toutefois, quel que soit le secteur, la méthode reste la même, elle constitue l’ADN de la MDE de Marseille : «On met tout le monde autour de la table afin de déterminer quelles compétences, quelles formations manquent et sont nécessaires. Nous travaillons selon une approche territoriale, avec une volonté d’étendre notre cadre d’action à Allauch, Plan de Cuques… dans le cas de la réparation navale, la nécessité d’inclure en sus la ville de La Ciotat, positionnée sur la grande plaisance, s’est imposée. Des grands acteurs de chaque filière sont associés à la démarche. Par exemple le groupe La Poste pour la logistique. Ou le Pôle Mer pour la réparation navale, avec lequel nous avons élaboré des fiches métiers», explique Stéphanie Chauvet. Concrètement, la méthodologie consiste à interroger les entrepreneurs sur leurs besoins en termes de recrutement à horizon cinq ans. «De fait, nous avons pu dresser une cartographie des métiers nécessaires, avec le concours de l’ORM (Observatoire régional des métiers NDLR ). Elle permet aux organismes de formation de décider des cursus à mettre en place. En somme, nous élaborons des documents qui sont des outils d’aide à la décision». Le livret blanc de l’IT et du digital, élaboré après deux ans de gestation en réunissant près de 50 contributeurs et présenté tout dernièrement, en fait partie. Sa vocation : établir un diagnostic précis de cette filière encore émergente ainsi que des préconisations, afin de se préparer à des emplois qui n’existent pas encore. Sachant que le numérique, c’est déjà 49 000 postes dans les Bouches-du-Rhône avec 8 000 entreprises et 10 milliards d’euros de chiffre d’affaires. La filière, «qui pèse aujourd’hui autant que le tourisme et l’industrie portuaire dans notre économie locale, devrait voir la création de 10 000 emplois supplémentaires dans les 10 ans à venir», précise ainsi le président de la MDE phocéenne, Dominique Tian. En terme de contenu, le livre blanc déterminait notamment dans quelle mesure ces mutations pouvait profiter aux jeunes sans diplôme ni qualification. Et donc, quelles passerelles mettre en place afin de connecter ce public au monde du numérique… Encore faut-il passer le cap de la formalisation sur le papier et faire vivre ces outils d’aide à la décision. «Dans notre travail déjà, avec notre tissu partenarial, nous faisons régulièrement référence à ces outils. Exemple avec la filière commerce, pour laquelle on a mis en place un atelier e-commerce… Et puis, les politiques savent s’en emparer. De même, l’Éducation nationale s’en sert pour développer de nouveaux cursus. Par exemple, quand un CFA veut ouvrir une session de formation, il doit montrer qu’il y a des besoins en face. Nos études peuvent le justifier», avance encore Stéphanie Chauvet. Pour autant, le livre blanc de l’IT restera une initiative unique, et non décliné sur les trois autres filières prioritaires. «Comme ces trois autres sont déjà groupées en fédération, elles ont déjà une totale connaissance de leurs spécificités. Ce qui rend l’économie numérique particulière, c’est qu’il y a non seulement la filière en tant que telle, mais aussi tous ces métiers, hors de champ, dans laquelle elle apparaît comme transverse, puisque tous les métiers peu à peu se digitalisent. La filière du numérique n’est pas complètement organisée. Donc il manquait un document qui compile tous les besoins en la matière.»
Quels profils ?
Quid des besoins, justement ? Dans le secteur du numérique, le champ se définit peu à peu en fonction de la façon dont cette activité émergente impose ses règles. Tout est à faire… Le livre blanc a décidé de se focaliser sur 10 métiers au cœur de ces technologies, du data scientist au technicien en développement informatique, en passant par l’architecte cloud, l’opérateur d’exploitation informatique ou le technicien chargé des télécommunications et de l’informatique des réseaux. Mais aussi sur 13 métiers périphériques : câbleur, assistant de publicité, réalisateur des arts graphiques, ouvrier des TP en installations électriques… Pour ce qui est de la réparation navale, «bon nombre de métiers dont on a besoin ici ne se trouvent pas sur le territoire. Les entreprises font donc appel à des compétences en Bretagne, voire même à la main d’œuvre détachée venue d’Italie, ce qui est dommage». D’où l’intérêt d’attirer les locaux vers ces professions, de les rendre employables en développant davantage de sessions de formation. Auparavant, cela demande aussi de s’investir dans des missions de revalorisation de ces métiers. «L’IUMM (Union des industries et métiers de la métallurgie NDLR) s’est également emparée de la question. Mais ce n’est pas simple : par exemple, à un chaudronnier dans la réparation navale, on ne demande pas les mêmes pré-requis qu’à un chaudronnier dans un autre secteur industriel… » De son côté, la filière commerce, qui rassemble sur le territoire métropolitain près de 120 000 salariés, recherche surtout quant à elle des profils de vendeurs et de télévendeurs. «En termes de formation, il y a ce qu’il faut, mais c’est le savoir-être qui pèche : politesse, ponctualité… Les jeunes s’orientent dans ce secteur par défaut. Par conséquent, les commerçants recrutent à niveau beaucoup plus haut, généralement bac +2, pour tenir des postes de vendeurs pour avoir la garantie que ces futurs salariés ont bien acquis ce savoir-être». Heureusement, cela n’a rien d’irréversible, puisque le savoir-être aussi, cela s’apprend. Ainsi le Pôle Emploi en a fait l’un de ses chevaux de bataille : «Dans le plan d’investissement compétence, un tiers des financements concernent des stages de savoir-être», développait son directeur Paca, Thierry Lemerle, à l’heure du bilan annuel 2018. Enfin la logistique, qui totalise près de 47 000 emplois sur Aix Marseille Provence au sein des plateformes logistiques et des entreprises de livraison, connaît la pénurie de main-d’œuvre sur les profils de chauffeurs livreurs, «plus spécifiquement sur la logistique urbaine, et donc la livraison sur le dernier kilomètre. Là encore, il est difficile de trouver des personnes avec ce fameux savoir-être, qui, de surcroît, savent utiliser les outils numériques. Outre cela, on cherche aussi beaucoup des postes relatifs à la planification, des postes de techniciens liés à la supply chain ».
Multiplier les passerelles entre étudiants et entreprises
Alors, pour aider à satisfaire ces besoins, la MDE va plus loin que la seule élaboration d’outils écrits. Elle s’investit aussi dans des actions concrètes, aux côtés des acteurs du territoire. Exemple dans le domaine de l’économie numérique, avec le partenariat impulsé dans la dynamique du livre blanc entre le Campus des métiers et des qualifications de la relation client, le rectorat de l’académie d’Aix-Marseille, Aix-Marseille French Tech et la Maison de l’emploi de Marseille. Le but : pallier le manque de commerciaux recrutés par les start-up du territoire en développant les synergies entre étudiants et jeunes pousses. Très rapidement, une première connexion a été orchestrée entre une start-up en demande, Beelife (la conceptrice de ruches connectées), et un étudiant en DUT Techniques de commercialisation, Tom Léonardelli. La mission de ce dernier : accompagner la start-up au CES de Las Vegas, l’aider à vendre sa solution in situ et enfin, transformer au retour les contacts pris sur le salon en contrats. Les connexions entre start-up et étudiants devraient se multiplier cette année… Par ailleurs, des rencontres entre start-up et enseignants de BTS NDRC, Négociation et digitalisation de la relation client, de la Métropole Aix-Marseille-Provence sont programmées tout au long de 2019. Autre exemple, celui du commerce, qui fait l’objet d’actions en termes de passage à la digitalisation. Deux initiatives ont été déployées à l’automne 2018 en partenariat avec le Campus des métiers et des qualifications de la relation client en Provence-Apes-Côte d’Azur. La première, Esprit Digital, consiste à inscrire des étudiants de BTS Négociation/relation client dans des opérations de montée en compétences des commerçants sur le volet digital. Sachant que ces étudiants ont été formés préalablement et accompagnés par six conseillers commerce de la CCI Marseille Provence. Leurs prérogatives : œuvrer sur le référencement de l’entreprise dans la page «Google my business », mais aussi sur la création et l’animation Facebook et Instagram relatives à l’activité des boutiques. Enfin, la deuxième, Team, lancée avec la Fédération commerce en 13, consiste à conduire des actions innovantes école – entreprise en réponse à des problématiques de développement économique et d’attractivité inhérentes au territoire. L’idée étant de participer à la revitalisation des centres villes et des noyaux villageois cibles par des actions de diagnostic-conseil. Mais aussi par des formations menées par des équipes pluridisciplinaires d’étudiants en tourisme, numérique et langues vivantes. Elles visent la qualité de l’accueil, la pratique des langues étrangères ou encore la maîtrise des outils numériques… Multiplier les passerelles entre étudiants et entreprises, deux mondes autrefois peu liés : c’est déjà grâce à cette dynamique que l’on résoudra en amont la question de l’adéquation de l’offre et de la demande.
Carole PAYRAU