Publié le 7 août 2021 à 12h58 - Dernière mise à jour le 29 novembre 2022 à 12h28
Tout en admettant la conformité à la Constitution de dispositions concernant le « pass sanitaire », le Conseil constitutionnel censure les dispositions de la loi relative à la gestion de la crise sanitaire organisant la rupture anticipée de certains contrats de travail et le placement «automatique» à l’isolement, qu’il juge contraires à la Constitution
Par sa décision n° 2021-824 DC du 5 août 2021, qui compte 125 paragraphes, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur plusieurs dispositions de la loi relative à la gestion de la crise sanitaire, dont il avait été saisi par le Premier ministre et par un recours émanant de plus de soixante députés, ainsi que par deux autres recours émanant, chacun, de plus de soixante sénateurs. Au nombre des dispositions critiquées figuraient, au sein de l’article 1er de la loi déférée, celles subordonnant l’accès à certains lieux, établissements, services ou événements à la présentation d’un « pass sanitaire ».
limiter la propagation de l’épidémie de covid-19
Il était notamment reproché à ces dispositions de subordonner notamment l’accès aux grands magasins et centres commerciaux et aux transports publics à la présentation d’un «pass sanitaire». Le Conseil constitutionnel juge que ces dispositions, qui sont susceptibles de limiter l’accès à certains lieux, portent atteinte à la liberté d’aller et de venir et, en ce qu’elles sont de nature à restreindre la liberté de se réunir, au droit d’expression collective des idées et des opinions.
Toutefois, en premier lieu, le législateur a estimé que, en l’état des connaissances scientifiques dont il disposait, les risques de circulation du virus de la covid-19 sont fortement réduits entre des personnes vaccinées, rétablies ou venant de réaliser un test de dépistage dont le résultat est négatif. En adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu permettre aux pouvoirs publics de prendre des mesures visant à limiter la propagation de l’épidémie de covid-19. Il a ainsi poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé.
Pas pour effet de limiter l’accès aux soins
Le Conseil note que le législateur a circonscrit leur application à des lieux dans lesquels l’activité exercée présente, par sa nature même, un risque particulier de diffusion du virus. En outre, il a entouré de plusieurs garanties l’application de ces mesures. Ainsi, s’agissant de leur application aux services et établissements de santé, sociaux et médico-sociaux, le législateur a réservé l’exigence de présentation d’un «pass sanitaire» aux seules personnes accompagnant ou rendant visite aux personnes accueillies dans ces services et établissements, ainsi qu’à celles qui y sont accueillies pour des soins programmés. Ainsi, cette mesure, qui s’applique sous réserve des cas d’urgence, n’a pas pour effet de limiter l’accès aux soins.
S’agissant de leur application aux grands magasins et centres commerciaux, il a prévu qu’elles devaient garantir l’accès des personnes aux biens et services de première nécessité ainsi qu’aux moyens de transport accessibles dans l’enceinte de ces magasins et centres. S’agissant des déplacements de longue distance par transports publics interrégionaux, le législateur a exclu que ces mesures s’appliquent «en cas d’urgence faisant obstacle à l’obtention du justificatif requis». En outre, comme le Conseil constitutionnel l’a jugé dans sa décision du 31 mai 2021 la notion « d’activité de loisirs» exclut notamment une activité politique, syndicale ou cultuelle. Les mesures contestées doivent être strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu’elles ne sont plus nécessaires.
Le Conseil constitutionnel ajoute que les dispositions contestées prévoient que les obligations imposées au public peuvent être satisfaites par la présentation aussi bien d’un justificatif de statut vaccinal, du résultat d’un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination ou d’un certificat de rétablissement à la suite d’une contamination. Ainsi, ces dispositions n’instaurent, en tout état de cause, ni obligation de soin ni obligation de vaccination. En outre, le législateur a prévu la détermination par un décret, pris après avis de la Haute autorité de santé, des cas de contre-indication médicale faisant obstacle à la vaccination et la délivrance aux personnes concernés d’un document pouvant être présenté dans les lieux, services ou établissements où sera exigée la présentation d’un « pass sanitaire ».
Il rappelle que le contrôle de la détention d’un des documents nécessaires pour accéder à un lieu, établissement, service ou événement ne peut être réalisé que par les forces de l’ordre ou par les exploitants de ces lieux, établissements, services ou événements. En outre, la présentation de ces documents est réalisée sous une forme ne permettant pas de connaître « la nature du document détenu » et ne s’accompagne d’une présentation de documents d’identité que lorsque ceux-ci sont exigés par des agents des forces de l’ordre.
Étaient également contestées les dispositions de l’article 1er de la loi déférée relatives aux obligations de contrôle imposées aux exploitants et aux professionnels et aux sanctions encourues par ceux-ci en cas de méconnaissance de ces obligations
Il leur était notamment reproché par les députés et sénateurs requérants, d’une part, de méconnaître la liberté d’entreprendre en faisant peser sur les acteurs économiques l’obligation de contrôler l’accès aux lieux qu’ils exploitent, ce qui serait de nature à nécessiter la mobilisation de moyens humains et matériels importants et, d’autre part, de prévoir des peines disproportionnées au regard des manquements susceptibles d’être reprochés à ces professionnels.
Le Conseil constitutionnel rappelle qu’il est loisible au législateur d’apporter à la liberté d’entreprendre, qui découle de l’article 4 de la Déclaration de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteinte disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi.
l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé
A cette aune, il juge que, en autorisant le Premier ministre à subordonner l’accès de certains lieux, établissements, services ou événements à la présentation d’un « passe sanitaire », le législateur a entendu permettre aux pouvoirs publics de prendre des mesures visant à limiter la propagation de l’épidémie de covid-19 et à assurer un contrôle effectif de leur respect. Il a ainsi poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé.
En outre, les dispositions contestées se limitent à imposer à l’exploitant d’un lieu ou d’un établissement ou au professionnel responsable d’un événement de contrôler la détention par ses clients d’un « passe sanitaire », sous format papier ou numérique. S’il peut en résulter une charge supplémentaire pour les exploitants, la vérification de la situation de chaque client peut être mise en œuvre en un temps bref.
En réponse à la critique tirée de la méconnaissance du principe de proportionnalité des peines résultant de l’article 8 de la Déclaration de 1789, le Conseil constitutionnel juge que les dispositions contestées relèvent que, lorsqu’un manquement, ayant fait l’objet d’une mise en demeure, est constaté à plus de trois reprises au cours d’une période de quarante-cinq jours, l’exploitant ou le professionnel peut être condamné à un an d’emprisonnement et à 9 000 euros d’amende. Il juge que, au regard de la nature du comportement réprimé, les peines instituées ne sont pas manifestement disproportionnées.
Nul ne peut être arbitrairement détenu
En revanche, le Conseil constitutionnel a censuré les dispositions de l’article 1er de la loi déférée prévoyant que le contrat à durée déterminée ou de mission d’un salarié qui ne présente pas les justificatif, certificat ou résultat requis pour l’obtention du « passe sanitaire », peut être rompu avant son terme, à l’initiative de l’employeur.
Le Conseil constitutionnel censure également l’article 9 de la loi déférée créant une mesure de placement en isolement applicable de plein droit aux personnes faisant l’objet d’un test de dépistage positif à la covid-19.
Le Conseil constitutionnel rappelle que, aux termes de l’article 66 de la Constitution : « Nul ne peut être arbitrairement détenu. – L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi ». La liberté individuelle, dont la protection est confiée à l’autorité judiciaire, ne saurait être entravée par une rigueur non nécessaire. Les atteintes portées à l’exercice de cette liberté doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées aux objectifs poursuivis.
Michel CAIRE