Publié le 9 mai 2023 à 20h42 - Dernière mise à jour le 6 juin 2023 à 13h20
A quelques rares exceptions, c’est un débat de qualité qui a animé la séance du conseil municipal de Marseille sur la question des trafics et des règlements de comptes en présence de familles de victimes.
Après une intervention du maire de Marseille, Benoît Payan, il revient à Yannick Ohanessian, adjoint en charge de la sécurité d’ouvrir la plénière du conseil municipal de Marseille en évoquant des dossiers tels que le doublement des effectifs de police municipale de nuit; des équipements, armes et véhicules renouvelés ou encore la construction d’un commissariat dans les 13/14 qui accueillera également des policiers municipaux. Un dossier sur la sécurité évoqué en présence de familles de victimes qui a donné lieu à un débat qui, dans la plupart des cas, a été de qualité.
Yannick Ohanessian, évoque sa colère, sa douleur, «devant ceux tombés sous les balles des narcotrafiquants tout comme je pense à ceux qui vivent dans la peur». Il assène: «Alors rien ne saurait nous détourner de notre cap, au contraire, car cela fait plus de deux ans que nous mettons en place un plan d’actions pour la sécurité et la tranquillité sachant que nous partons de très loin tant peu de choses avaient été faites et nous agissons dans les limites de nos compétences et même parfois au-delà». Il rappelle qu’«en moins de 3 ans nous avons obtenu 300 policiers nationaux, 3 compagnies de CRS, 22 magistrats supplémentaires et nous avons lancé un plan de recrutements pour doubler les effectifs de la police municipale d’ici la fin du mandat. Et nous renouvelons les équipements, les armes, les véhicules sans oublier un nouveau commissariat et nous proposons de doubler les effectifs de la police municipale de nuit».
«L’argent n’est pas la seule solution»
Pour Lionel Royer Perreaut, « Ensemble pour les Marseillais » : «La situation est suffisamment grave à Marseille mais aussi dans d’autres villes européennes pour avoir un débat digne, pour chercher des solutions concrètes pour tous les habitants car il n’y a pas que dans les quartiers Nord où il y a des problèmes, il y en a aussi au Sud et à l’Est». Il rappelle que l’État finance toutes les politiques: «Que ce soit la sécurité, la politique de la ville, la rénovation urbaine. L’État est là, il finance entre 4 et 5 millions d’euros et sa participation va s’amplifier. Mais l’argent n’est pas la seule solution, plus d’argent ne résoudra pas tout». Et de proposer la tenue d’un conseil municipal extraordinaire sur cette question de la sécurité. «Il faut éviter toutes les postures politiciennes, créer les conditions d’une réunion permettant à élus, associations, citoyens, de s’exprimer sur un sujet qui concerne tout le monde, la sécurité». Il ajoute ne pas être d’accord avec l’idée défendue, voilà des années, par Samia Ghali d’envoyer l’armée dans les cités. Benoît Payan indique à l’élu qu’il est effectivement nécessaire d’associer la population et, dans ce cadre signale vouloir «aller au-delà d’un conseil municipal spécifique». Il ajoute: «Pendant trop longtemps la ville a été méprisée par des gouvernements de gauche comme de droite, une période révolue aujourd’hui».
«Ce dossier est aussi inattendu que bienvenu»
Catherine Pila, « Une volonté pour Marseille », se veut plus polémique: «Ce dossier est aussi inattendu que bienvenu. Il y a 24 heures il n’y avait en effet aucun dossier sécuritaire à l’ordre du jour». Elle indique que son groupe votera mais tient à souligner que si un commissariat va voir le jour dans les 13/14 «c’est grâce à l’engagement de l’État, du Département et de la Métropole», laisse entendre que la majorité municipale s’en prendrait au gouvernement. Benoît Payan de réagir: «Ce n’est pas le cas».
«Vous ne me prendrez pas en otage dans votre approche lacrymale»
Bernard Marandat, RN, annonce que son groupe votera ce dossier «mais on ne peut pas se taire sur le fait que nous annonçons les problèmes depuis des années et que vous avez de façon constante et systématique mis de côté et même dénoncé le fait que nous puissions en parler. Nous dénonçons donc votre hypocrisie et la non-reconnaissance de vos erreurs idéologiques». Stéphane Ravier, membre de l’autre parti d’extrême droite « Reconquête » lance: «Vous ne me prendrez pas en otage dans votre approche lacrymale et de déresponsabilisation des narcotrafiquants». Pour lui: «Les pouvoirs publics ont laissé se développer les trafics parce que cela arrange tout le monde». Pour Benoît Payan s’en est trop: «Il y a ici des gens qui ont perdu un enfant, un frère, un père. Que vous ne vous soyez pas levés pendant la minute de silence cela vous regarde mais je vous demande juste de respecter leur présence». Ce qui fait dire à Stéphane Ravier: «A des faits vous me répondez par une dose de moraline».
«Un sujet qui demande compassion, humilité et vérité»
Yves Moraine, « Une volonté pour Marseille », s’incline devant la douleur des familles, s’adresse au maire: «vous avez bien fait de faire entrer ce drame dans l’hémicycle. C’est un des sujets les plus lourds qui frappent notre ville, un trafic qui gangrène Marseille et d’autres villes de France. C’est un sujet qui demande compassion, humilité et vérité». Il juge: «Si c’était simple de régler les trafics cela aurait été réglé. Il faut partir de la base. il y a des pays producteurs et la France quel que soit la couleur de son gouvernement, ne fait rien. Il faut ensuite mieux protéger nos frontières. Il importe ensuite de travailler au plus près du terrain. L’État, depuis peu, fait ce qu’il doit faire». Mais de considérer que l’appel à l’Armée qu’avait formulé Samia Ghali n’est peut-être pas une bonne idée «mais pourquoi ne pas étudier cette possibilité puisque tout a échoué».
«Honte à ceux qui ne se sont pas levés pour les victimes»
Samia Ghali, maire-adjointe cite un proverbe arabe, «Si ce que vous dites n’est pas plus intelligent que le silence alors taisez-vous». Elle invite alors Stéphane Ravier, à s’en inspirer. Elle rappelle pourquoi, en 2012, elle avait évoqué la possibilité de faire intervenir l’Armée: «Le gouvernement, et j’avais interpellé Brice Hortefeux à ce sujet, avait retiré 400 policiers à Marseille». Elle indique encore qu’au-delà de l’Armée elle avait mis en exergue l’importance d’avoir une politique globale: «Je pense aux centres sociaux qui manquent toujours de moyens et je sais l’importance de l’éducation populaire. Il faut aussi une autre politique du logement social. Il y a parfois 3, 4 générations dans une même cité parce qu’elles ne peuvent aller ailleurs. Aujourd’hui, je suis émue, on a enfin fait entrer ce dossier dans l’hémicycle et nous allons pouvoir travailler. Mais honte à ceux qui ne se sont pas levés pour les victimes, l’humanité s’est effacée de leur cœur».
«C’est une chose de donner des chiffres, c’en est une autre de l’avoir vécu de tels drames»
Hayat Atia, conseillère municipale sait le drame de la violence, elle a perdu des proches : son mari, son frère et son compagnon. Tragédies qu’elle évoque dans son livre, «Au bout de la violence». Et c’est peu dire que son propos sera fort: «C’est une chose de donner des chiffres, cela en est une autre d’avoir vécu de tels drames. Ce matin j’entends des piques, ce n’est ni le moment ni l’endroit quand se trouvent ici des personnes qui, comme moi, ont perdu quelqu’un de leur famille. Comme eux j’attendais ce débat car les Français ont, dans les quartiers Nord, droit à une police de qualité». C’est aussi d’humanité dont elle parle expliquant que lorsque le père de ses enfants a été tué «aucun élu n’a tapé à ma porte». Elle réagit enfin aux propos de Samia Ghali sur le logement social: «Une nouvelle politique est à l’œuvre à 13 Habitat». Elle conclut: «trafic, violences faites aux femmes, logement… Nous devons tous travailler ensemble. Nous avons tous notre part de responsabilité».
«Tant qu’il y aura des consommateurs…»
Pour Sébastien Barles, EELV, adjoint au maire «après des décennies d’abandon des cités la Mairie prend sa part- elle n’est pas seule- sur l’habitat indigne, les centres sociaux, la politique de prévention, la formation… Mais, en matière de lutte contre les trafics nous n’avons pas tout essayé dans ce pays. Pourquoi ne pas envisager la légalisation. Cela a un impact sur les trafics mais aussi la politique de prévention».
Fabien Perez EELV, adjoint au maire, ajoute: «La répression ne doit pas être le totem qui aurait vocation à soulager nos consciences. Marseille a besoin de plus d’écoles, d’échanges, de respect, de transports, de centres sociaux, de culture. Et il faut bien mesurer que tant qu’il y aura des consommateurs il y aura des hommes et des femmes qui trouveront des solutions illégales pour vendre».
Jean-Marc Coppola (PCF), adjoint au maire, appelle à son tour, à ne pas céder à la fatalité. Il souligne: «Un coup de filet vient d’avoir lieu à l’échelle européenne aboutissant à l’arrestation de 132 mafieux calabrais, cela montre que l’on peut agir». Au delà, il invite «à valoriser ceux qui s’en sortent. Si on valorise on fait grandir l’estime de soi, on contribue aussi à faire reculer l’insécurité». Marie-José Cermolacce (PCF) note qu’il a été question de frontières, de lutte contre les trafics internationaux: «Pour cela il ne faut pas oublier les Douanes qui ont perdu 30% de leurs effectifs».
Michel CAIRE