Conseil municipal de Marseille : un Casino qui passionne mais ne fait pas toujours recette

Publié le 19 juin 2013 à  17h30 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  15h38

La délibération sur la création d’un Casino Municipal était l’une des plus attendues. Et le débat a tenu toutes ses promesses. L’opposition a notamment pointé le calendrier, quelques mois avant les municipales 2014, et le revirement de Jean-Claude Gaudin sur ce dossier, alors qu’il avait toujours manifesté son opposition à un tel projet, comme avant lui Gaston Defferre. La majorité municipale a justifié que « les temps ont changé » dans une ville qui accueille désormais 4,5 millions de touristes par an.

Le rapport 85 sur le projet de création d'un Casino Municipal a donné lieu à l'un des débats les plus passionnés de la séance du conseil municipal de Marseille de ce lundi 17 juin. (Photo S.P.)
Le rapport 85 sur le projet de création d’un Casino Municipal a donné lieu à l’un des débats les plus passionnés de la séance du conseil municipal de Marseille de ce lundi 17 juin. (Photo S.P.)

Le rapport 85 portant sur la création d’un Casino Municipal, les consultations préalables au choix du mode d’organisation du service public et la saisine des organismes compétents, était l’une des délibérations les plus attendues du conseil municipal de Marseille de ce lundi 17 juin. Il s’agissait en effet de l’un des trois « rapports gadgets », avec ceux sur l’étude de faisabilité d’un téléphérique par câble entre le Vieux-Port et Notre-Dame de la Garde et sur le projet de création d’une Arena, pointés par Christophe Masse (PS), président du groupe « Faire gagner Marseille », dans son intervention en début de séance (cf : http://desabuzze.blogspot.fr/2013/06/conseil-municipal-la-campagne.html).
Frédéric Dutoit (PCF), président du groupe Communiste, Républicain & Citoyen, est le premier à entrer en piste via une citation : « Un établissement de jeu est moralement inacceptable dans une ville pauvre et populaire comme la nôtre. Il n’y aura pas de Casino dans cette ville tant que j’en serai le maire. » Avant de préciser dans la foulée : « Ces paroles doivent vous être familières, Monsieur le Maire, puisqu’elles ont été les vôtres pendant des années. Et aujourd’hui, vous nous soumettez un rapport sur les consultations préalables au choix de mode d’organisation pour la création d’un Casino. Oui, je sais, Monsieur le Maire, je vous entends déjà dire : « en politique il faut savoir évoluer ». Contrairement à vous, nous sommes toujours opposés à un tel projet », souligne Frédéric Dutoit.
Et l’ancien député d’énumérer les « raisons profondes qui ne nous permettent pas de changer d’avis ». « Tout d’abord, symboliquement, nous ne pouvons cautionner qu’un tel établissement soit prévu sur le territoire portuaire. Nous préférons y découvrir d’autres édifices dans la lignée du Mucem ou de la Villa Méditerranée du J1 au J4 », plaide-t-il d’emblée. Le président du groupe Communiste, Républicain & Citoyen exprime ensuite « de grandes réserves morales quant à l’opportunité d’implanter une telle activité sur le territoire de notre commune, alors que le jeu et toutes ses conséquences sur ceux qui en deviennent dépendants, sont qualifiés de « problème de santé publique » ». « La dépendance au jeu est un véritable « fléau », martèle-t-il. De plus, les statistiques sur la répartition socio-professionnelle des joueurs français sont là pour nous le confirmer : ce sont les moins aisés qui s’y rendront (source étude Cofremca 2004-2005). 46% des joueurs sont « inactifs », chômeurs ou retraités. L’ouverture d’un Casino vise la population locale, et non une affluence de touristes, et entraîne automatiquement la naissance de milliers de nouveaux drogués du jeu. En ces temps de crise, le Casino sera pour eux comme un exutoire. »

« Nous ne sommes pas de ceux prêts à sacrifier l’identité de Marseille sur l’autel du développement de la finance »

Dans ces conditions, « évitons de tenter les Marseillais », lance Frédéric Dutoit. « Rappelez-vous vos propres paroles Monsieur le Maire : « un établissement de jeu est moralement inacceptable dans une ville pauvre et populaire comme la nôtre ». Aussi je pense que vous cédez à la pression de vos amis politiques au vu des prochaines échéances électorales », tranche-t-il.
Le président du groupe Communiste, Républicain & Citoyen souligne également que « ce projet ne correspond pas à l’idée que nous nous faisons du développement de notre ville ». « Nous ne sommes pas de ceux prêts à sacrifier l’identité de Marseille sur l’autel du développement de la finance. Mettre en avant que les taxes dégagées par ce complexe permettront forcément de réduire les impôts est un faux argument. Le « pécule » fiscal du Casino ne pourra servir qu’à rembourser une faible partie de notre dette. Et certainement pas à baisser les impôts ! », dénonce-t-il.
D’autant qu’aujourd’hui, « les Casinos sont tous en crise ». « Les premières estimations sur les chiffres de l’exercice 2011-2012, clos fin octobre, montrent que les Casinos français ont connu une nouvelle année difficile, après une timide embellie en 2011, observe l’ancien député. Ce que les Casinos eux-mêmes confirment en ce début janvier 2013. Dans une lettre au Premier ministre Jean-Marc Ayrault, en date du 20 décembre 2012, les trois syndicats patronaux, représentant les 196 Casinos français, annoncent en effet que l’exercice en question s’est achevé sur une baisse d’activité de 1,8%. »
Et Frédéric Dutoit de conclure : « Alors, la fiscalité sur le Casino est au bout du compte une taxe sur la misère, un impôt sur l’illusion. Messieurs les libéraux, l’impôt sur la détresse sociale vous gêne moins que l’ISF (Impôt de Solidarité sur la Fortune) visiblement ! ».
Au nom du groupe « Faire gagner Marseille », Florence Masse (PS) n’en démord pas : « Ce rapport s’inscrit comme un élément de programme municipal pour les prochaines élections ». « Il arrive curieusement en fin de mandat alors que pendant 18 ans le maire de Marseille n’a cessé de dire qu’il était contre. Pour faire plaisir à qui ? », questionne l’élue socialiste. Avant de persister : « Prévu initialement dans les anciens locaux de la SNCM achetés par Véolia et une filiale du groupe Barrière, il serait installé sur la façade littorale au J4. Cette proposition sans lieu précis, sans date de réalisation, sans préfinancement d’étude s’inscrit bien, comme le dossier de l’Arena et du téléphérique, dans les propositions « gadget » n’allant pas plus loin que l’effet d’annonce. »

Un projet « qui arrive « comme un cheveu sur la soupe » »

Florence Masse ne manque pas non plus de s’interroger : « Est-ce une priorité pour Marseille ? », une ville où la population « souffre plus qu’une autre de la crise avec environ 13,6% de taux de chômage contre 10,2% en France, soit 83 000 chômeurs (toutes catégories) » dans la cité phocéenne. « Les Casinos représentent dans l’imaginaire des pauvres un miroir aux alouettes, une espérance de gains faciles. Les publics fragiles, en précarité, sont donc souvent les premiers utilisateurs les plus assidus », observe-t-elle. Et d’estimer que « les conséquences sont très graves pour ces publics comme pour celles des personnes dépendantes aux jeux de hasard et d’argent ». « Les services sociaux ont ensuite à gérer leurs impayés et leurs surendettements. Il convient donc, avant de pouvoir se prononcer sereinement, d’évaluer l’impact social de la création d’un Casino Municipal à Marseille. La contrainte actuelle pour les joueurs d’aller à Aix ou Cassis sera levée avec cette création en façade maritime et nos publics défavorisés auront plus de facilités pour s’y rendre », plaide-t-elle.
L’élue socialiste émet également des réserves sur le chiffre, avancé dans la presse, de 10 M€ qui correspondrait à la manne financière que rapporterait le Casino à la commune. « Aucune évaluation n’a pourtant encore été réalisée précisément pour déterminer cette recette. Cette information est pourtant essentielle pour que les conseillers municipaux puissent prendre position », s’étonne-t-elle.
Reste enfin aux yeux de Florence Masse le problème de la localisation du futur Casino. « Je comprends bien l’idée de le situer sur l’emplacement futur du J4 en prévision de l’arrivée des touristes par bateau », précise-t-elle, tout en observant que « néanmoins cela pose deux questions ». Tout d’abord, « compte tenu de l’image relayée sans cesse dans les médias sur notre ville, pensez-vous que le premier équipement que doivent voir les touristes c’est le Casino ? A ce titre, pensez-vous que localiser le Casino à côté du Mucem qui met en valeur la culture euro-méditerranéenne, les valeurs de partage et l’histoire de notre culture, soit le meilleur moyen de valoriser notre ville ? »
Ensuite, « si les touristes s’arrêtent au Casino, pensez-vous que cela soit vraiment intéressant pour nos commerces du centre-ville et surtout ceux qui seront situés dans le périmètre autour de la Major ? Une fois que les touristes auront dépensé tout leur argent dans le Casino, pensez-vous qu’ils iront aussi le dépenser dans nos commerces ? » Et Florence Masse de conclure : « Dès lors, nous n’avons pas nous, groupe d’opposition, à vous soutenir sur ce projet qui arrive, pardonnez-moi l’expression, « comme un cheveu sur la soupe » ».

« L’affaire était préméditée »

Si d’aucuns ont été étonnés de voir une délibération sur le projet de création d’un Casino être inscrite à l’ordre du jour du conseil municipal à quelques mois des élections, Nicole Hugon (EELV) n’est pas surprise le moins du monde. « Monsieur le maire, l’affaire était préméditée. Dès décembre 2010 quand vous aviez demandé le classement de Marseille comme station touristique, j’avais compris que c’était dans vos intentions. Je m’en étais inquiétée, j’avais raison, malgré les dénégations la main sur le cœur », lance-t-elle à l’attention de Jean-Claude Gaudin (UMP). Avant de réitérer l’opposition du groupe EELV à ce projet de Casino. « Sa rentabilité est plus que douteuse vu la proximité de ceux d’Aix-en-Provence, Cassis, Carry-le-Rouet, La Ciotat, Bandol. En plus des machines à sous dans les bateaux de croisière », énumère-t-elle.
Quant à la moralité de ce projet, elle est aux yeux de Nicole Hugon « encore plus douteuse ». « Notre ville n’a pas besoin d’une lessiveuse à argent sale… Ou alors peut-être elle en a trop besoin. On peut se demander. En tout cas, pourquoi pas un bordel municipal tant qu’on y est, ça ferait des emplois », dénonce l’élue écologiste. Et de conclure en s’adressant au maire sur le ton de l’ironie : « Au cas où vous obtiendrez l’approbation pour ce sinistre projet, j’ai cependant une suggestion : installez ce Casino, puisque vous ne savez pas où le mettre, dans le Palais de la Glisse et de la Glace, ça rapprochera les addicts au jeu de la consultation spécialisée de Sainte-Marguerite. »
Bien qu’il n’ait pas prévu d’intervenir, c’est Patrick Zaoui (MoDem, « Faire gagner Marseille ») qui prend ensuite la parole. « Entre le téléphérique où il faut des piliers, l’Arena qui est un projet électoral, et le Casino qui va venir bousiller l’équilibre social de notre ville, je crois qu’il faut savoir ce que l’on veut : ou on veut avancer, ou on veut faire du surplace, voire même pourquoi pas éventuellement reculer », schématise-t-il. Il estime ainsi qu’« il faut vraiment avoir des œillères aujourd’hui pour ne pas voir que le développement économique de notre ville et la création d’emplois vont passer essentiellement, dans les années à venir, par l’industrie du tourisme ». Des propos que contestait Patrick Mennucci (PS). Et Patrick Zaoui de persister : « Oui, forcément, à moins que vous n’ayez des manufactures, des usines à faire venir sur la ville, je ne vois pas comment on va se développer », réplique-t-il au député-maire du 1er secteur.

« Les Marseillais jouent mais le fruit de leur jeu échappe au développement de notre ville »

L’élu MoDem s’adresse ensuite à Jean-Claude Gaudin. « Monsieur le Maire, ça fait quatre ans que j’ai apporté mon soutien aux projets que vous avez présentés pour notre ville. Je l’ai fait sans état d’âme, je l’assume, et je peux dire aujourd’hui que je le fais sans regret parce que je vois les changements et je vois le nouveau dynamisme de notre ville », explique-t-il. Avant de conclure : « Je vous encourage à continuer dans ces projets parce que nous en avons besoin ».
Childéric Muller (MoDem, « Faire Gagner Marseille ») apporte un son de cloche différent. « Un Casino est un élément fort du développement d’une ville qui apporte des recettes non négligeables. J’ai effectivement lu, comme nos collègues, 10 M€. En fait, ça peut même être deux à trois fois plus si la Ville est propriétaire des murs. Et là, il y a quelque chose qui m’inquiète dans le rapport car je lis qu’il y a « une mise à disposition du site », ce qui est différent d’ »une mise à disposition des bâtiments », ce qui représente effectivement la majeure partie de la manne. Tout dépend aussi du nombre de machines à sous qui seront accordées par l’Etat », relève-t-il. Il conteste également le fait, comme l’a avancé Frédéric Dutoit, que les Casinos sont en perte de vitesse. « Quand on parle d’une baisse de 1%, sachant qu’Internet vient d’entrer dans les paris il y a peu de temps, il s’agit en réalité d’une croissance », juge-t-il.
L’élu MoDem tempère également les risques de paupérisation et d’addiction avancés par l’opposition. « Il y a des Casinos tout autour de Marseille : ceux qui veulent jouer vont à Aix, Cassis ou sur Internet. Sans compter les centaines de machines clandestines que l’on voit fleurir dans les bars marseillais », souligne-t-il. Et d’estimer que « lorsque l’on parle de blanchiment d’argent, c’est plus ça qui est inquiétant ».

A ses yeux, « les Marseillais jouent donc, mais le fruit de leur jeu échappe au développement de notre ville ».

Childéric Muller relit alors trois lignes du programme 2008 de la liste du MoDem dans le 1er secteur sur laquelle il a été élu. « Pour l’économie de Marseille et sa splendeur, nous voulons un Casino qui rapportera des dizaines de millions d’euros, participera à la croissance de la ville, au tourisme et à la culture. Nous voulons surtout que ce projet soit transparent », rappelle-t-il. L’élu précise ainsi que « ce que nous souhaitions à l’époque, c’est que plusieurs projets soient présentés de la part de chacune des grandes sociétés françaises de casinotiers, et pas seulement Véolia et Barrière par exemple. Et puis éventuellement qu’on propose aux Marseillais plusieurs sites, et qu’on fasse choisir les Marseillais », insiste-t-il.

« Les années ont passé, les temps ont changé. J’ai évolué »

Et Childéric Muller de conclure : « Je suis toujours favorable à un grand complexe de loisirs et de spectacle. Mais étant élu du groupe « Faire gagner Marseille », je suis solidaire du vote et je m’abstiendrai à ce stade. »
Berrnard Marandat (FN) joue quant à lui la carte de l’ironie. « Face aux critiques sur la construction de ce Casino, je proposerais qu’on fasse à la place des logements sociaux, comme ça la rentabilité et la manne financière seraient remplacées par la manne électorale, et ça arrangerait bien nos amis », balance-t-il en faisant allusion à l’opposition de gauche.
Pour Yves Moraine (UMP), président du groupe de la majorité municipale, « la roue tourne ». Ainsi, s’il juge que « le débat est légitime », il insiste sur le fait que « les temps ont changé » et que Marseille est désormais une ville qui accueille « 4,5 millions de touristes », rappelant que « le Casino n’est pas destiné qu’aux Marseillais ». Il rejette également les risques d’addiction soulevés par l’opposition jugeant qu’aujourd’hui « les Marseillais peuvent jouer » et que « ce n’est pas la création du Casino qui va y changer quoi que ce soit ».
Yves Moraine souligne en revanche « l’attractivité » du projet notamment en termes de « créations d’emploi ». « On ne peut pas priver la ville de cette manne financière », conclut-il.
Jean-Claude Gaudin précise pour sa part que « pendant 17 ans, j’ai tenu à respecter la pensée de Gaston Defferre, que j’ai mieux connu que certains jeunes élus socialistes même si nous n’étions pas dans le même camp politique ». « Mais les années ont passé, les temps ont changé, plaide-t-il. Il y a un Casino à Aix, Cassis, Carry-le-Rouet… Dans une ville où il n’y a pas les ressources suffisantes, une ville où l’Etat, qu’il soit de gauche ou de droite, ne nous apporte pas toujours l’aide nécessaire, j’ai évolué. » Et le sénateur-maire de préciser au sujet du rapport : « Il s’agit de faire une étude. Après il faudra l’autorisation de l’Etat. Nous ferons les choses dans les règles. » Avant de conclure par un jeu de mots : « Nous avançons par touches ».
Mise aux voix, la délibération était finalement adoptée.

Serge PAYRAU

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