Nommé par le Gouvernement, en mai 2013, Haut Responsable à la coopération industrielle et technologique franco-algérienne, l’économiste Jean-Louis Levet entend donner « un nouvel élan aux relations franco-algériennes, par la réalisation de partenariats d’exemplarité dans le domaine technologique et industriel ». Entretien
Destimed: Pouvez-vous dresser un premier bilan des échanges et des partenariats entre la France et l’Algérie dans le cadre de votre mission?
Jean-Louis Levet:Tout d’abord, il convient de rappeler l’objectif de ma Mission : contribuer à donner un nouvel élan aux relations franco-algériennes, par la réalisation de partenariats d’exemplarité dans le domaine technologique et industriel qui impliquent par conséquent concertation et entente durable. Et celle-ci s’inscrit dans le cadre de la «Déclaration d’Alger sur l’Amitié et de la Coopération entre la France et l’Algérie» signée le 19 décembre 2012 par les deux Présidents. J’ai souhaité promouvoir une démarche nouvelle : partir d’une compréhension des besoins, des attentes, des projets algériens, pour ensuite identifier des opérateurs français et les mettre en relation avec des opérateurs algériens pour construire des partenariats. Aussi dès ma prise de fonction en juin 2013, j’ai rencontré tout d’abord mon interlocuteur privilégié, le ministère du développement industriel (le ministre, ses collaborateurs) puis les différents acteurs algériens tant à Alger que dans d’autres villes du pays (Sétif, Constantine, Annaba, Guelma, Blida : autorités institutionnelles, partenaires sociaux, entrepreneurs, chercheurs et universitaires, responsables associatifs, etc. La connaissance des problématiques nouvelles liées la volonté algérienne de réindustrialiser le pays est nécessaire pour réaliser de nouveaux partenariats dans la durée. L’enjeu indispensable pour ma Mission est ensuite de contribuer à une mise en mouvement des acteurs français en matière de coopération avec l’Algérie. Là aussi, j’ai identifié puis rencontré de nombreux acteurs clés en France dans les domaines économique, social, territorial, politique. Malgré une image controversée de l’Algérie en France, ces rencontres ont permis de déboucher dans une première étape sur l’identification de projets de partenariats ouvrant de belles perspectives. Il se dégage même dans certains secteurs une vision des intérêts complémentaires de chacun des acteurs résolument tournée vers l’avenir
Inscrire notre action dans la durée nécessite de définir des priorités. En concertation étroite avec mes correspondants algériens et en intégrant les atouts de la France en matière scientifique et industrielle, trois priorités ont été retenues, qui sont mises en œuvre dans un même temps: la mise en place d’une formation professionnelle de qualité au service du développement industriel qui répond aux nouveaux enjeux entre la France et l’Algérie; des infrastructures techniques, technologiques (normalisation, métrologie, etc) et d’innovations sociale (dans le domaine par exemple de la responsabilité sociétale des entreprises) y compris pour les nouvelles activités industrielles identifiées; des partenariats productifs entre firmes françaises et algériennes, tout particulièrement entre PME.
Nous avons abouti à un premier ensemble de projets (une dizaine) de coopération au travers de ces trois priorités, dès décembre dernier ; ils ont fait l’objet de protocoles d’accord signés lors de la tenue à Alger le 16 décembre dernier de la Conférence intergouvernementale de haut niveau présidée par les premiers ministres des deux pays. Nous travaillons, depuis, à leur mise en œuvre en relation étroite avec les opérateurs concernés : universités, laboratoires de recherche, entreprises, organismes spécialisés (normalisation, métrologie… Depuis, d’autres projets sont en cours de constitution qui devraient déboucher avant l’été. Je serai à nouveau à Alger dans cette perspective, toujours en relation étroite avec mon homologue algérien Bachir DEHIMI, avec lequel je travaille main dans la main.
Quels sont, de votre point de vue, les domaines les plus importants voire même urgents qui appellent de part et d’autre un effort particulier de coopération entre les deux pays?
Je pense qu’il faut raisonner en partant des grands besoins sociaux et économiques d’aujourd’hui et de demain, et étudier ensuite comment le développement technologique et industriel peut y répondre. Six grands domaines sont incontournables : agriculture/agroalimentaire, santé, énergie, ville durable/environnement, numérique. Dans ces grands domaines, les coopérations entre les deux pays sont infinies et elles doivent impérativement se fonder sur une démarche qui relie la recherche, la formation sous toutes ses formes, l’appui technique, l’entreprise, le territoire concerné.
Certaines réticences sont évoquées à l’égard de petites et moyennes entreprises algériennes qui n’arrivent pas à accéder à ce dispositif de partenariat malgré de solides capitaux et une crédibilité suffisante. Quel est le bon équilibre à trouver sur les choix entre grandes et petites entreprises dans ces échanges?
Les grands groupes industriels et de service ont les moyens d’investir dans la connaissance des besoins du marché, de la mise en œuvre progressive d’une implantation dans le pays, dans l’identification de partenaires et les négociations qui vont avec (loi 51/49). C’est bien entendu plus difficile, tant pour les PME françaises qu’algériennes. Beaucoup reste à faire pour continuer d’améliorer le climat des affaires et l’environnement administratif et financier; les entrepreneurs algériens sont les premiers à le dire. C’est précisément l’un des objets même de ma Mission, en relation étroite avec mon homologue Bachir Dehimi, de les faire se rencontrer en partant des attentes et des besoins de l’économie algérienne et dans une souci de complémentarité avec le travail de terrain permanent mené par les organismes concernés (UBI France, les chambres de commerce et d’industrie, etc.
Quels sont les atouts essentiels de ces divers partenariats entre la France et l’Algérie ?
Les deux pays ont des atouts complémentaires, citons par exemple: une spécialisation industrielle française en évolution correspondant aux grands besoins de l’Algérie; côté français, des savoirs scientifiques et des savoir-faire industriels et côté algérien des PME et des ETI en plein développement dans des activités comme par exemple l’agro-alimentaire, les cosmétiques, l’électronique grand public, la construction, l’énergie et un marché algérien solvable, en croissance (3,5% par an en moyenne ces dernières années) et de proximité; une présence historique d’entreprises françaises en Algérie, une très bonne image des produits français chez les consommateurs algériens et de l’expertise française chez les organismes publics algériens. A partir de ces atouts et besoins complémentaires, les projets de partenariat que nous initions, stimulons, encouragerons, sont et doivent être basés sur quelques critères simples : excellence, innovation, travail collectif. Et s’inscrire ainsi dans la durée, à travers un climat de confiance qui se construit petit à petit et qui est le facteur clé de succès dans la durée.
Enfin d’où vous vient cette exigence dont vous faites preuve a la tête de cette mission et quel rôle aura-t-elle à jouer dans l’avenir une fois que tous les partenariats auront fait preuve de réalisme?
Ma Mission s’inscrit dans une priorité stratégique définie par les deux pays. Elle nécessite un haut niveau d’exigence et de professionnalisme. Aussi, je dois y mettre le maximum de moi-même avec l’ensemble de mes correspondants français et algériens. Et j’ai la chance de rencontrer de nombreuses femmes et hommes désireux, à travers des initiatives, des projets, de développer les relations entre les deux pays, dont la proximité, faut-il le rappeler, culturelle, sociale, économique, humaine tout simplement, est un cas unique sur l’échiquier mondial des États. Les obstacles sont nombreux, nous le savons, mais nous avons ensemble la volonté de les surmonter, car c’est maintenant à travers tous ces projets, au quotidien, que nous contribuons pas à pas à construire notre avenir et en particulier celui de nos jeunes.
Propos recueillis par Jacky NAIDJA