Le pape François s’est rendu en Corse pour la première fois de l’histoire de cette île méditerranéenne où la foi, qui imprègne la société au quotidien, se vit au grand jour
Qui l’eut cru ? Même les plus optimistes et confiants des chrétiens n’auraient jamais imaginé que la Corse, certes l’une des plus grosses îles de la Méditerranée, mais toute petite région française au demeurant, deviendrait un jour l’une des terres bénies par une visite pastorale.
Celle entamée en cette matinée ensoleillée du dimanche 15 décembre, à Ajaccio, sur les rives de cette Méditerranée chère au souverain pontife, arrive comme un miracle, à quelques jours de Noël. Annoncée dans la précipitation, en dehors des cadres protocolaires, et alors que François avait décliné l’invitation de la France à assister à la réouverture de Notre-Dame de Paris aux côtés d’Emmanuel Macron et des principaux chefs d’État de la planète, elle avait semblé un temps tendre les relations entre Paris et le Vatican, au point d’apparaître sur la sellette aux observateurs non avertis.
Si l’Élysée et Matignon, alors que les discussions autour d’une éventuelle plus grande autonomie accordée à l’île sont au point mort, pour ne pas dire renvoyées aux calendes grecques, depuis la dissolution de l’Assemblée nationale, pouvaient craindre une interprétation politique de la venue du Pape à Ajaccio, c’était aussi bien mal connaître ce pape iconoclaste, jésuite venu d’Amérique latine, qui a fait de son pontificat une tribune de défense des périphéries géographiques et spirituelles.
Né en Argentine de parents italiens, François se considère comme un fils de migrants. Quoi de plus naturel pour lui, finalement, que de privilégier dès lors une visite pastorale au contact de fidèles empreints d’une religiosité chevillée au corps comme une seconde peau, sur une terre « périphérique » d’une Méditerranée au destin tourmenté, en lieu et place d’un voyage officiel à Paris ?
De ce point de vue, la Corse, qui a par ailleurs donné non seulement un Pape aux Catholiques, mais aussi les gardes qui assuraient la sécurité du souverain pontife avant la très célèbre garde suisse, semble incarner le lieu parfait pour que le Pape y délivre son message. Après l’accueil républicain d’usage (François est chef d’État) donné à l’aéroport Napoléon Bonaparte par le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, en sa qualité de ministre des cultes, lui-même profondément croyant, le souverain pontife, venu dans un premier temps clôturer le colloque sur « la religiosité populaire en Méditerranée », n’a d’ailleurs pas tardé à livrer le fond de sa pensée. Heureux d’être en Corse, « sur l’une de ces terres baignées par la mer Méditerranée (…) berceau de nombreuses civilisations », il en a appelé « à ne pas opposer les cultures chrétiennes et laïques » et plaidant « pour une saine laïcité qui ne soit ni statique ni figée ».
Une parenthèse enchantée
Venu d’un continent où la foi se vit ouvertement et joyeusement, le pape François a en effet beaucoup de mal à comprendre la laïcité à la française comme il a du mal à accepter ce qu’il nomme « le désamour » de cette vielle Europe pour le Christ. La Corse en cela lui offre le temps de cette journée historique une parenthèse enchantée.
Ici, où la majeure partie de la population se réclame de la religion catholique, où les croix et les effigies de la Vierge, protectrice de la Corse, fleurissent au détour des rues et ruelles des villes et des villages, où les processions connaissent toujours une profonde ferveur populaire, où les confréries, qui ont quasiment disparu sur le Continent depuis la fin de la Révolution française, se comptent non seulement par dizaines mais représentent encore un véritable tissu social de solidarité et d’entraide qui rassemble des milliers de personnes, la foi pénètre toutes les strates de la société.
Ici, les Corses, par ailleurs profondément laïques (la laïcité insulaire a été instituée par Pascal Paoli, donc avant que l’île ne devienne française), ne revendiquent pourtant pas une « laïcité de combat » mais souscrivent à une laïcité « apaisée », où le respect de la religion prime avant toute autre considération, et faisant que la foi se vit dans l’espace public. Longtemps placée sous la domination de Pise puis de Gênes, l’île a gardé une culture italienne – ou italianisante – prépondérante. A l’instar de ses voisines sarde ou sicilienne, la Corse fait partie intégrante d’une zone spécifique méditerranéenne, dans sa géographie, forcément, mais aussi dans sa culture, son histoire, son patrimoine. Cette spécificité est parfois difficile à comprendre vue du Continent. Toutes choses que François, installé à une heure d’avion à peine, a immédiatement compris et intégré depuis Rome, accédant ainsi à la volonté du Cardinal Bustillo (lire par ailleurs) de le voir fouler le sol de cette terre fidèle.
Un appel à la paix en Méditerranée
Malgré son âge avancé – François célèbrera son 88e anniversaire mardi -, malgré un programme chargé, et au prix d’une fatigue physique visible, le Pape ne s’est jamais départi de sa joie d’être là, ni de sa vivacité d’esprit ou de son implication politique. Assis au centre de la Cathédrale d’Ajaccio -là même où la mère de Napoléon a ressenti les premières douleurs de l’enfantement- devant un parterre d’évêques de France, le souverain pontife a demandé que la paix puisse enfin baigner « toutes les terres qui bordent cette mer, en particulier là où Marie a donné naissance à Jésus. Paix pour la Palestine, pour Israël, pour le Liban, pour la Syrie, pour tout le Moyen-Orient », a insisté le pape François avant de s’inquiéter du sort des peuples russe et ukrainien. « Je ne sais pas s’ils sont cousins ou frères, mais il faut qu’ils s’entraident. La guerre est toujours une défaite », a-t-il conclu avant de prier pour les victimes du cyclone Chido qui a frappé durement l’archipel de Mayotte, une autre périphérie…
Paule COURNET