Publié le 8 mai 2020 à 10h06 - Dernière mise à jour le 31 octobre 2022 à 11h35
Nous avons décidé de poser les mêmes questions à plusieurs acteurs de la société civile de Provence-Alpes-Côte d’Azur pour savoir comment ils vivent le confinement, et surtout ce qu’ils entendent proposer concrètement comme mesures à prendre au plus vite pour combattre les autres crises qui vont apparaître -après l’actuelle sur le plan sanitaire -à savoir économique, sociale… Dominique Clément, directeur régional de l’Urssaf en Provence-Alpes-Côte d’Azur, a accepté de se prêter à l’exercice. Pour rappel, la démarche de cette rubrique, lancée par Daniel Boccardi, est que les lecteurs puissent comparer les différentes visions.
Destimed : Comment vivez-vous le confinement depuis les dernières semaines sur un plan personnel et familial ?
Dominique Clément: Faisant partie de ces professions devant se rendre sur leur lieu de travail, le changement visible dans un premier temps est de travailler à 3 ou 4 dans un immeuble habituellement occupé par environ 500 personnes… Dix-mille mètres-carrés d’espaces vides occupés par un silence assourdissant, rompu parfois par une sonnerie de téléphone lointaine et incongrue. Ambiance. Au-delà il a fallu s’adapter à un nouvel exercice de gouvernance, à distance, audio, visio, avec à la fois de nouveaux codes et la perte du langage, non corporel. Peut-être est-ce seulement nécessaire pour ce temps de crise, peut-être est-ce une nouvelle modalité en voie de banalisation. Ce qui est sûr, c’est que nous avons appris collectivement que le télétravail peut largement se déployer et produire des résultats positifs, et ce en très peu de temps, nous amenant également à revisiter certains sujets comme l’amplitude de travail, les horaires décalés sans oublier les relations interpersonnelles d’un nouveau type.
Quelles sont les 3 principales mesures que vous attendez du gouvernement dès la sortie de la crise sanitaire ?
Premier point : dès avant, des mesures d’accompagnement de l’économie réelle. En effet il s’agit de donner de la visibilité aux acteurs économiques et concrètement d’accorder un régime de moratoire fiscal et social compatible avec le délai nécessaire à la reconstitution de leur niveau d’activité viable. Deuxième point : initier une stratégie globale de réformes à revoir (retraite, santé, famille, chômage) en tirant les enseignements, positifs et négatifs, de cette crise. Cette stratégie viendrait après cette crise, mais aussi après la crise des gilets jaunes et devrait s’adosser à une réflexion de la prise de décision publique et administrative en France : lourdeur des circuits de décision, niveau pertinent de décision (national, régional, local). Toujours dans cette approche, l’occasion est là de démontrer l’utilité majeure de notre protection sociale, mais également de poser les termes d’un débat sur le nécessaire consentement à son financement de la part de tous les acteurs, avec en perspective les éléments d’un pacte social voire républicain. Troisième point : Donner une impulsion décisive à la construction d’une Europe sociale : cette crise a confirmé l’hétérogénéité des stratégies et des réponses, dans le monde, mais également au sein de l’Europe, aussi conviendrait-il d’ouvrir le chantier d’une plus grande harmonie en matière de prélèvement obligatoire. En effet à l’heure actuelle les écarts entre États alimentent en permanence le dumping social, encore plus ravageur en temps de crise, car entravent un redémarrage généralisé car asynchrone.
Comment voyez-vous le monde de demain : des grands changements seront-ils obligatoires, ou alors n’y croyez-vous pas ?
Tout en reconnaissant les apports positifs des échanges mondiaux, on constate en même temps leur fragilité. Certainement un meilleur équilibre, en termes de pôles économiques, est souhaitable, étant passé de l’interdépendance économique à la dépendance addictive pour certains produits (exemple des produits médicaux). Le fait que tous les pays aient été touchés facilitera peut-être une prise de conscience globale, de même que les risques de survenance de nouvelles pandémies, liées au réchauffement climatique. Précisément c’est peut-être cette interdépendance économique qui obligera à une concertation. Enfin sur le plan des relations du travail à l’évidence nous devrons revisiter nos schémas : mode de travail, amplitude quotidienne, horaires décalées, management,… Si la valeur travail a toujours un sens, elle ne peut se détacher de la valeur partage et de bien commun, avec le regard exigeant des jeunes générations.
Propos recueillis par Bruno ANGELICA