Publié le 7 avril 2020 à 13h22 - Dernière mise à jour le 31 octobre 2022 à 11h14
Le Docteur Sofiane Benhabib est le PDG de Synlab Provence. Née de la fusion en octobre 2018 des laboratoires Mazarin et Seldaix-Bioplus, la structure dépend désormais du leader européen dans la biologie médicale. Elle compte aujourd’hui 70 sites dans trois départements de la région : Vaucluse, Bouches-du-Rhône, Alpes-de-Haute-Provence. Des sites pouvant accueillir jusqu’à 6 000 patients par jour pour pouvoir analyser toujours plus d’échantillons sanguins et répondre plus vite aux patients et cliniciens. Des laboratoires de ville qui s’apprêtent à jouer un rôle majeur, les prochaines semaines, pour pouvoir sortir du confinement « de manière sélective, progressive et documentée, grâce à la sérologie», explique le médecin, également président du syndicat de la Biologie Européenne, qui nous livre son éclairage sur le dépistage massif qui devrait nous attendre.
Le ton posé, clair, précis, le Docteur Sofiane Benhabib est tout l’inverse de la culture actuelle des réponses et réactions immédiates – à la mode réseaux sociaux – sans plus aucun recul ni réflexion. «Il faut lire ou relire en ce moment « La Peste » de Camus, et « Les Raisins de la colère » de Steinbeck, pour intégrer une fois pour toutes ce que veut dire une épidémie et une récession économique qui suivra », commence-t-il, «les enseignements sont dedans… La question qui se pose aujourd’hui est en effet de savoir s’il n’y aura pas plus de décès à la suite de la future récession économique qu’en raison de la pandémie ? » Il enchaîne, toujours aussi pondéré et réaliste pour sa part : «Depuis toutes ces dernières années, en France, à croire que nous avons fait des économies en coupant les budgets de la santé, nous nous réveillons aujourd’hui devant une vérité : nous sommes en train de payer et nous allons certainement payer au centuple ce que nous avons économisé précisément les dernières années en matière de santé… Sur les choix de nos gouvernants, dirigeants, les limites constatées aujourd’hui en sont la conséquence. Mon principal appel est de vite effectuer un revirement de la barre, redresser le tir pour se remettre en tête que le secteur de la santé est un secteur stratégique, au même titre que celui des Armées. Il faut remettre les moyens, un peu comme cela avait été le cas lorsque la France avait bénéficié de sa force de frappe qui avait permis à notre pays d’obtenir un siège de membre permanent au conseil de sécurité de l’ONU, en même temps qu’un moyen de dissuasion dans le monde. Quand cette décision avait été prise, tous les moyens avaient été mis pour y arriver. Je pense que dans le secteur de la santé, il faut agir de la sorte, avec les mêmes moyens.»
« Nous sommes en train de passer un moment désagréable, parce que c’est long et cela nous met devant nos limites »
Comme d’autres médecins, et sûrement une grande majorité de Français aujourd’hui, il espère que le gouvernement entendra son appel, cette fois-ci. «Il y a moins de six mois, notre profession se mobilisait pour dire : « stop » aux coupes budgétaires. C’est le modèle même d’une biologie médicale praticienne de proximité qui se trouvait mis en danger, comme la capacité d’investir massivement pour soutenir des évolutions technologiques toujours plus coûteuses. La crise actuelle nous met directement face à ces réalités. Nous sommes en train de passer un moment désagréable, parce que c’est long et cela nous met devant nos limites. C’est vrai pour l’État, le gouvernement, la société, chacun de nous. Dans ce contexte qui rebat totalement les cartes, ma conviction réside dans la mobilisation que je constate. Dans la solidarité et le soutien exprimés par nos concitoyens. Nous avons la chance d’avoir sur le terrain des professionnels de santé dotés de bons sens, qui prennent malgré tout de bonnes décisions.»
«Ce contexte a comme conséquence de mettre en avant les laboratoires de biologie médicale du pays…»
Sur la stratégie opérée depuis les derniers jours par nos autorités publiques pour tenter de sortir la tête de l’eau, le Docteur Sofiane Benhabib explique : «Toutes nos forces doivent être mobilisées pour revenir à une vie normale, entre guillemets, en gardant en tête les enseignements que cette épreuve nous permettra de tirer. Avec le recul, maintenant, je constate que certains pays opèrent un dépistage massif et un confinement sélectif. Et que nous, nous opérons en France un confinement massif et un dépistage sélectif. Cela est difficile à admettre pour nos concitoyens, y compris pour nous du secteur, car tout le monde a en tête la représentation de notre système actuel de santé comme étant le premier au monde. La situation nous prouve que ce n’est pas le cas. Et si vous êtes encore dans cette idée, je pense que vivre la situation actuelle est encore plus difficile à admettre… Maintenant, nous sommes dedans, et ce contexte a comme conséquence de mettre en avant les laboratoires de biologie médicale du pays, qu’ils soient publics ou privés. Il n’avait jamais été question à ce point d’eux, jusqu’ici, sauf pendant la récente grève les concernant. Le contexte pousse la profession sur le devant de la scène. Les gens voient des «drive-tests» se développer, et que nous nous mobilisons pour monter en puissance quant au nombre de tests réalisés par jour.» Pour lui, après que l’épidémie a surtout concerné dans un premier temps les centres hospitaliers ou centres hospitalo-universitaires, le secteur privé entre de manière significative «dans la danse».
Les catégories de personnes éligibles au dépistage ?
Les laboratoires de Synlab Provence réalisent localement dans la région depuis ces derniers jours près de 400 prélèvements par jour, en ciblant les patients qui peuvent bénéficier de ce dépistage. «La liste est très claire, et le test se fait uniquement sur prescription médicale stricte. Il y a donc un certain nombre de catégories de patients qui y sont éligibles : les soignants symptomatiques, les patients qui présentant des facteurs de risque, comme des hommes âgés de 70 ans et plus, présentant des pathologies chroniques, ou des femmes enceintes symptomatiques au-delà du 3e trimestre.» Au sujet des « drive-in » qui voient le jour, tout doit être très cadré avec l’objectif de réduire au maximum le contact interhumain. Il précise : «Il est nécessaire d’appeler votre laboratoire pour prendre rendez-vous. Ce dernier vous demandera une simple photo de la prescription, avec vos données administratives, qui permettra de préparer le dossier de patient, puis on vous donnera une heure précise de rendez-vous. Le prélèvement est fait en quelques minutes, puis immédiatement identifié, et vous pourrez repartir. » Un prélèvement qui s’effectue «sans contact à la fois avec d’autres patients pouvant se trouver dans des situations délicates, comme avec les locaux, car ce virus se niche à peu près partout. De cette manière, il ne pourra pas y avoir de contamination croisée ni de contamination avec les locaux.»
«Une sortie de confinement sélective, progressive et documentée», en mettant la sérologie sur le devant de la scène
Conformément à ce qui a été décidé avec l’ARS (Agence régionale de santé), le dépistage doit s’adosser nécessairement sur un laboratoire de biologie médicale. La sortie du confinement se fera pour le Dr. Benhabib «de façon sélective et progressive». Il s’en explique : «La sortie doit reposer sur une documentation qui permettra un dépistage massif des populations. Tout le monde attend – et je crois que ce sera efficient dans les prochains jours – la sérologie. Cette dernière pourra en effet vous dire : monsieur, vous êtes immunisé, avez rencontré le virus et êtes guéri, donc pour vous ce sera un laissez-passer. Ou alors non, vous ne l’avez pas rencontré et avez en plus un ou plusieurs facteurs de risque, donc surtout vous devez rester confiné.» Pour le médecin, une autre méthode permettra aussi de pouvoir sortir du confinement : l’immunité collective. « Si vous avez rencontré le virus et êtes guéri, vous agirez comme une barrière à la diffusion du virus. Il faut ainsi comprendre que plus la population sera immunisée, moins le virus circulera. Et cette preuve-là se fera par du dépistage régional, sur une population représentative.»
S’il fallait dépister tout le monde, cela ferait un peu plus de 15 000 Français à tester par labo, c’est tout-à-fait possible…
Une immunité collective décrite « importante et documentée» qui fera que l’on pourra être sûr que le virus circule moins et de constater que le risque de contamination des personnes plus fragiles soit plus faible. Le médecin annonce aussi clairement que les prochaines semaines devraient être marquées par un tel dépistage massif de la population via la sérologie pour pouvoir vérifier l’évolution de chaque statut immunitaire. «La biologie moléculaire est une technique assez pointue. Tous les laboratoires du pays ne sont pas équipés pour en faire. La sérologie est une technique plus répandue. Tous les labos de biologie médicale du territoire savent en faire. Une fois que la trousse de réactifs sera développée, absolument tout le monde pourra participer à cet effort, et dans des volumes importants. En France, vous avez 4 200 laboratoires de ville pour 67 millions d’habitants. S’il fallait dépister tout le monde, cela ferait un peu plus de 15 000 Français à tester par labo, c’est tout-à-fait possible. Si en plus vous ajoutez les centres hospitaliers et hospitalo-universitaires, on est très bien armés.» Un maillage qui pourrait permettre à la direction générale de la santé de pouvoir passer, comme elle vient de l’annoncer, «de 9 000 à 29 000 tests de dépistage par jour du Covid-19 à la fin du mois de mars, à 100 000 tests par jour à la fin mai, puis à un dépistage sérologique systématique et massif à la fin de l’épidémie.»
Propos recueillis par Bruno ANGELICA