Publié le 4 mai 2013 à 6h00 - Dernière mise à jour le 29 novembre 2022 à 12h24
« L’Irlande, l’anomalie de la zone euro »
Contrairement à l’Italie, au Portugal et à l’Espagne, l’Irlande bénéficie de la mansuétude des marchés financiers et des agences de notation. Il s’agit d’une « anomalie » aux yeux de Thibault Prébay, directeur de la gestion Taux chez Quilvest Gestion, qui juge que les indicateurs économiques du pays ne sont pas meilleurs, voire même moins bons en termes de déficits publics, que ceux des pays du Sud de l’Europe. Et d’estimer qu’à ses yeux, l’Irlande est « très probablement » un nouveau foyer d’instabilité pour la zone euro.
« Trop beau pour être vrai » : c’est ainsi que Thibault Prébay, directeur de la gestion Taux chez Quilvest Gestion, qualifie le consensus de marché « indistinctement optimiste » à l’égard de la dette souveraine irlandaise, l’un des cinq pays de la zone euro à avoir bénéficié d’un plan de soutien de la part des bailleurs de fonds internationaux. « Récemment, le retour de l’Irlande sur les marchés obligataires a été salué par les investisseurs et gratifié d’une nette détente du taux d’emprunt à dix ans. De leur côté, les agences de notation ont revu leur appréciation de la qualité de crédit du pays, comme en témoigne la levée de la surveillance négative de la part de Standard & Poor’s, depuis janvier 2012. Objectivement, c’est oublier un peu trop hâtivement les risques réels qui pèsent sur l’Irlande », estime l’expert.
A l’heure de décrypter cette « anomalie du marché », Thibault Prébay observe qu’« en réalité » l’essentiel de la confiance accordée par les marchés financiers à la dette irlandaise « ne tient qu’à l’amélioration de la croissance économique du pays ». A +0,95%, celle-ci restait en 2012 mieux orientée que celle de la plupart de ses voisins européens. « Pour autant, l’ensemble des standards macroéconomiques du pays ne sont pas aussi réjouissants. Depuis 2007, le ratio dette/PIB irlandais est passé de 25% à un niveau excessif de 118% tandis que le déficit budgétaire est abyssal, à -8,5% en 2012, estimé à -7,3% cette année et anticipé à -5% en 2014. A titre de comparaison, l’Italie et le Portugal, deux cas assez similaires à l’Irlande au regard de leur degré d’endettement, ils affichent des déficits publics bien plus modérés », signale l’expert.
Mais actuellement, c’est avant tout sur les acteurs d’incertitude politique et budgétaire en Italie ou au Portugal que se focalise l’attention des créanciers, ce qui, selon Thibault Prébay, contribue à « une forme d’anomalie ». « Alors que l’Irlande n’a pas encore initié d’efforts pour redresser son déficit, elle bénéficie de meilleures conditions d’emprunt que les pays sud-européens, qui ont déjà soumis leur économie à des plans d’austérité drastiques et à des réformes structurelles. Non justifié, l’écart entre les courbes de taux irlandaise d’une part (l’emprunt à dix ans est proche de 3,90%), et italienne, espagnole ou portugaise d’autre part (les taux oscillent entre 4,3% et 6,5%), devrait se compenser tôt ou tard par la tension pure et simple du rendement proposé par l’Irlande », analyse l’expert.
« La situation des banques irlandaises est peu ou prou comparable à celle qui prévalait en Grèce ou à Chypre »
Sans oublier que lorsque l’Irlande entrera pleinement dans un cycle de rigueur, « inéluctable » aux yeux de Thibault Prébay, « sa croissance sera mécaniquement affectée, à l’image du scénario en vigueur dans les autres économies de la zone euro ». Quant à la balance commerciale du pays, aujourd’hui excédentaire, l’expert estime que « le bilan est flatteur » dans la maure où « le surplus commercial provient davantage d’une baisse des importations que d’une hausse soutenue des exportations ».
Autre fait « tout aussi surprenant » : le directeur de la gestion Taux chez Quilvest Gestion observe que « les marchés ne semblent pas avoir encore pris la pleine mesure de la dégradation du système bancaire irlandais ». « Le bilan des établissements est profondément détérioré par la dépréciation de leurs actifs
(-11,9% en 2012) et par le sévère reflux des prêts bancaires mais aussi des dépôts, proche, dans les deux cas, de -20% en un an. Relativement faible, le taux d’épargne des ménages irlandais ne permettra pas de reconstituer la masse de liquidités dont a besoin le système bancaire. De ce point de vue, la situation des banques irlandaises est peu ou prou comparable à celle qui prévalait en Grèce ou à Chypre », souligne l’expert.
Dans ces conditions, faut-il considérer l’Irlande comme un nouveau foyer d’instabilité pour la zone euro ? « Très probablement » selon Thibault Prébay. « De toute évidence, le pays compte une montagne d’endettement déjà constitué, dont il sera difficile de s’extraire. Dès lors, la dette irlandaise pourrait bien être la prochaine sur la liste des restructurations. Depuis le mois de mars, le refinancement de l’Irlande s’est déroulé sans heurts, au point de bénéficier de conditions d’emprunt un peu plus avantageuses qu’en 2010, avant l’éclatement des crises de la dette en Europe. Un scénario qui a de fortes chances de se retourner d’ici la fin de l’année », argumente l’expert. Et d’en conclure que « les marchés ne peuvent plus faire l’économie d’une lecture lucide des fondamentaux du pays ! ».
S.P.