Publié le 27 octobre 2016 à 10h10 - Dernière mise à jour le 29 novembre 2022 à 12h31
Corinne Lepage, ancien ministre de l’Environnement et avocat au barreau de Paris était l’invitée -avec Nicolas Imbert, directeur exécutif de Green Cross France- du bâtonnier Fabrice Giletta et du bâtonnier élu Geneviève Maillet du barreau de Marseille. Ils ont participé à un débat sur la Déclaration Universelle des Droits de l’Humanité dans l’optique de la COP 22 qui se tiendra à Marrakech en novembre 2016.
Pour Corinne Lepage: «Nous sommes dans une phase de double urgence physique et juridique. Nous vivons une période de dégradation accélérée de l’environnement, de globalité des phénomènes, d’invisibilité de ces derniers, ce qui pose un vrai problème.» Car, poursuit-elle: «On lutte plus facilement contre ce qui est visible; nous sommes dans une période d’absence de prévision et donc de prévention et, nous sommes dans une phase anthropocène, c’est à dire cette époque de l’histoire de la Terre qui a débuté lorsque les activités humaines ont eu un impact global significatif sur l’écosystème terrestre.» Elle évoque Jacques Ellul, penseur de la société technicienne:«qui a écrit sur les effets d’une société technicienne dérégulée dans laquelle les inégalités sont croissantes et le sens de l’intérêt général perdu». Et de considérer: «Nous sommes une génération à responsabilité historique car de notre comportement dépendra le devenir de l’humanité car c’est bien le sens de la vie sur terre qui est en cause». Et, point question de défaitisme en avançant cela: «Depuis un peu plus d’un an, on assiste a des faits nouveaux. Ainsi, des citoyens ont intenté des procès à leur État, certains ont été gagnés et d’autres commencent. Le Tribunal de La Haye a donné raison aux 900 citoyens néerlandais et à la fondation Urgenda, qui demandaient au gouvernement des Pays-Bas de réduire ses émissions de gaz à effet de serre. Puis, au Pakistan, une Haute Cour a donné raison à un fermier qui attaquait l’État et a ordonné au gouvernement d’appliquer sa politique de changement climatique et de créer une commission pour en superviser le processus. Aux États-Unis ce sont 21 enfants et adolescents venus de plusieurs États qui ont déposé devant une Cour de l’Oregon, une plainte contre l’administration Obama et neuf agences fédérales pour non respect du climat et de l’environnement. Des plaintes ont également été déposées en Belgique et aux Philippines». Corinne Lepage a également participé au procès Monsanto qui s’est déroulé les 15 et 16 octobre à La Haye. «Il était organisé par un réseau associatif et donc symbolique mais il n’en bénéficiait pas moins de la présence de cinq juges de renommée internationale qui ont eu à juger Monsanto. Et 24 témoins, venus du monde entier, ont raconté les mêmes choses, ont notamment dénoncé la commercialisation de produits toxiques qui ont causé la mort de milliers de personnes». Un procès qui, aux yeux de l’avocat, renforce la nécessité d’un veto européen à la fusion Bayer-Monsanto.
«L’humanité, comme l’ensemble des espèces vivantes, a droit de vivre dans un environnement sain et écologiquement soutenable»
Corinne Lepage en vient à la Déclaration pour laquelle «nous nous sommes demandés en premier lieu ce qu’était l’humanité. Nous en donnons une définition verticale: c’est la chaîne des générations passées, présentes et futures et, une autre horizontale: l’humanité inclut tous les individus et organisations humaines». Puis de mettre en exergue les quatre principes sur lesquels s’appuie la Déclaration: responsabilité, équité et solidarité; dignité de l’humanité et de ses membres; continuité de l’existence de l’humanité. Elle insiste sur le fait que ce point «garantit la sauvegarde et la préservation de l’humanité et de la terre, à travers des activités humaines prudentes et respectueuses de la nature, notamment du vivant, humain et non humain, mettant tout en œuvre pour prévenir toutes les conséquences transgénérationnelles graves ou irréversibles». Enfin, le dernier principe concerne la non-discrimination à raison de l’appartenance à une génération. Puis d’évoquer les droits et devoirs au nombre de six chacun[[ L’humanité, comme l’ensemble des espèces vivantes, a droit de vivre dans un environnement sain et écologiquement soutenable; à un développement responsable, équitable, solidaire et durable; à la protection du patrimoine commun et de son patrimoine naturel et culturel, matériel et immatériel; à la préservation des biens communs, en particulier l’air, l’eau et le sol, et à l’accès universel et effectif aux ressources vitales. Les générations futures ont droit à leur transmission; à la paix, en particulier au règlement pacifique des différends, et à la sécurité humaine, sur les plans environnemental, alimentaire, sanitaire, économique et politique. Ce droit vise, notamment, à préserver les générations successives du fléau de la guerre; au libre choix de déterminer son destin.
Les générations présentes ont le devoir d’assurer le respect des droits de l’humanité, comme celui de l’ensemble des espèces vivantes. Le respect des droits de l’humanité et de l’Homme, qui sont indissociables, s’appliquent à l’égard des générations successives.
Tout mettre en œuvre pour préserver l’atmosphère et les équilibres climatiques
Puis d’en venir aux devoirs: Les générations présentes ont le devoir de faire en sorte que ce legs soit préservé et qu’il en soit fait usage avec prudence, responsabilité et équité; afin d’assurer la pérennité de la vie sur terre, les générations présentes ont le devoir de tout mettre en œuvre pour préserver l’atmosphère et les équilibres climatiques et de faire en sorte de prévenir autant que possible les déplacements de personnes liés à des facteurs environnementaux et, à défaut, de secourir les personnes concernées et de les protéger; le devoir d’orienter le progrès scientifique et technique vers la préservation et la santé de l’espèce humaine et des autres espèces. A cette fin, elles doivent, en particulier, assurer un accès et une utilisation des ressources biologiques et génétiques respectant la dignité humaine, les savoirs traditionnels et le maintien de la biodiversité. Les États et les autres sujets et acteurs publics et privés ont le devoir d’intégrer le long terme et de promouvoir un développement humain et durable. Enfin, de texte avance que les États ont le devoir d’assurer l’effectivité des principes, droits et devoirs proclamés par la présente déclaration, y compris en organisant des mécanismes permettant d’en assurer le respect. Ce texte sera discuté à l’ONU et à Fez, lors d’un Sommet des consciences.]]. Par ailleurs, ajoute-t-elle: «Strasbourg a été la première ville à signer cette déclaration suivie de Paris dont Anne Hidalgo s’est fait l’ambassadrice».
Nicolas Imbert considère que cette Déclaration, courte, «est un outil de communication, d’anticipation qui peut être utilisé par des États, des territoires, des associations, des entreprises, des citoyens… ». Et, d’insister, à ce propos, avec Geneviève Maillet sur l’importance de la décision de la Wallonie de rejeter l’accord de libre-échange UE-Canada (CETA).
Au préalable le bâtonnier Giletta avait inscrit cette invitation dans l’action entreprise par le barreau depuis de nombreuses années en matière d’environnement: «En 2012, à la demande du Maire, nous avions réalisé une charte dans le cadre du Forum mondial de l’eau.Toujours à la demande du Maire, nous nous sommes impliqués dans la Med Cop 22 avec la direction des Affaires internationales, aux côtés de Corinne Lepage, le représentant de la green cross internationale et les interlocuteurs locaux et avocats marocains spécialisés, pour échanger sur des propositions de solutions concrètes en Méditerranée. Le barreau, à la suite de cela, a réalisé un rapport d’interpellation aux États sur l’inadaptation du droit actuel sur le changement climatique et ses effets sur les territoires méditerranéens qui sera remis lors de la Cop 22».
Michel CAIRE