Publié le 19 octobre 2016 à 20h35 - Dernière mise à jour le 28 octobre 2022 à 15h40
L’Institut catholique de la Méditerranée vient d’accueillir le Cardinal Tauran, Président du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux à l’occasion de sa venue à Marseille pour l’inauguration de la Place Jean-Paul II. Il est intervenu sur un dossier grave : le dialogue interreligieux aujourd’hui, en mettant en lumière «derrière les ombres de l’actualité les signes de l’espérance».
Mgr Pontier, archevêque de Marseille a accueilli le Cardinal avant que Mgr Aveline, évêque auxiliaire de Marseille, ne présente celui qui fut un proche collaborateur de Jean-Paul II, Benoît XVI et, aujourd’hui du Pape François. Insistant sur la mission qui est la sienne le dialogue interreligieux. Le Cardinal avance une nouvelle fois: «Les religions ne sont pas à l’origine du chaos actuel mais sont des éléments incontournables de la solution». Invite à prendre garde à toute généralisation hâtive concernant l’Islam:«Nul ne sait ce qu’est l’islam véritable, pas même les musulmans». Et d’insister qu’«il ne faut pas avoir peur du dialogue. Il n’y a pas de danger de syncrétisme, tout au contraire, c’est une démarche clarificative».
Monseigneur Aveline entre dans le vif du sujet: «Les événements récents montrent que la relation entre les croyants des différentes religions est plus que jamais nécessaire». Et d’interroger: «Après les deniers attentats de Nice et du Père Hamel, à Saint-Etienne-du-Rouvray, comment faire avancer la barque de l’humanité vers le quai de la fraternité?». Parle d’une piste composée «de gestes simples, de signes d’amitié. c’est en faisant du chemin ensemble que nous pouvons faire avancer la paix».
«le dialogue interreligieux n’est pas un exercice de théologie, c’est une pratique quotidienne d’hommes et de femmes qui sont confrontés aux mêmes problèmes»
Le Cardinal Tauran considère pour sa part: «Le dialogue interreligieux n’est pas un exercice de théologie, c’est une pratique quotidienne d’hommes et de femmes qui sont confrontés aux mêmes problèmes. Or, nous avons peur les uns des autres. Et force est de constater que le fait que des musulmans dévoyés commettent des attentats n’aident pas au dialogue». Il ajoute que l’Islam est une religion complexe. Indiquant que, derrière les ombres, des liens existent: «A Bagdad, des pères dominicains ont créé un Institut d’économie-sociale qui dispense un enseignement à 1 000 étudiants musulmans. Dans cette même ville une famille musulmane héberge depuis trois ans une famille chrétienne. Enfin, le dialogue entre le Conseil pontifical et l’Université al-Azhar du Caire a repris. Des ouvertures, petites, existent, mais restent encore trop confinées au niveau des élites». D’en venir à la situation en Irak et en Syrie où «des chrétiens sont menacés, tués; où des églises et des monastères sont détruits». Il rappelle:«A la fin des années cinquante le moyen-Orient comptait 24% de chrétiens, ils ne sont plus que 3% aujourd’hui ». Au-delà, il n’omet pas de signaler les problèmes qui peuvent se poser dans des pays tel l’Arabie Saoudite: «En termes de relation à la modernité, de droit de l’Homme, de statut de la femme, sans oublier que les chrétiens n’ont pas le droit dans ce pays de célébrer l’Eucharistie». Mais tout cela, à ses yeux, ne peut être un frein au dialogue en précisant:«Le dialogue interreligieux n’est pas une relation entre amis, ce n’est pas plus des relations diplomatiques, c’est un espace de témoignages entre des croyants différents. C’est une relation dans laquelle il s’agit de voir l’Autre tel qu’il est et non tel que l’on veut le voir. Puis, après avoir établi ces différences on voit ce que l’on peut faire ensemble pour la paix et la coopération entre les peuples. Et c’est en faisant des choses qu’un dialogue se construit». Le Cardinal Jean-Louis Tauran souligne: «La majorité des musulmans d’Europe sont contre la violence mais ils se sentent incompris, mal aimés, exclus». Il met alors en avant plusieurs facteurs pour le vivre-ensemble: «la sécurité qui doit être garantie par les politiques, l’éducation, facteur clé de l’avenir et l’étude des religions qui doit donner une idée du contenu de la Foi. Je suis pour l’enseignement du fait religieux, non en tant que catéchisme mais parce que c’est un facteur essentiel de compréhension de nos sociétés». Et de signifier qu’il est un enfant de l’école laïque «qui m’a toujours accepté moi qui est toujours dit vouloir devenir prêtre. C’est cela la laïcité, l’acceptation de l’Autre» et d’en venir à l’importance de la culture: «Les échanges entre Juifs, Grecs, Romains, Arabes ont enrichi la société au fil du temps. Pourquoi cela ne se fait-il plus?». Et de plaider en faveur «d’une curiosité bienveillante sur celui qui est différent de nous. Car la culture c’est apprendre de façon diverse ce que les autres pensent». Il se fait alors l’écho des propos d’un universitaire tunisien à ses étudiants:«Faites attention de ne pas casser vos crayons car, sinon, il ne vous restera plus que vos couteaux».
«Il a fallu notamment attendre 1963 pour que l’Église considère qu’il y avait des parcelles de vérité dans les autres religions»
Vient l’heure du débat avec la salle, un intervenant considère qu’en matière de dialogue interreligieux des bouleversements ont eu lieu en haut de la hiérarchie:«Mais ils ont bien du mal à gagner la base». Le Cardinal, s’appuyant sur son expérience, considère qu’il importe, en ce domaine, «de faire preuve d’une patience généalogique. Il a fallu notamment attendre 1963 pour que l’Église considère qu’il y avait des parcelles de vérité dans les autre religions. Avant tenir de tels propos étaient hérétiques». Des expériences marseillaises sont alors évoqués comme ce groupe de femmes musulmanes et chrétiennes qui se réunissent pour partager leur Foi. Une action qui a conduit des catholiques à proposer que des familles chrétiennes et musulmanes se réunissent à l’occasion d’un pique-nique. De même, un groupe de prêtres et d’imams se réunissent régulièrement pour mieux se connaître. Aimé Césaire est prêtre à Marseille, il s’inscrit dans cette logique de dialogue et a été confronté au fait que cela ne convenait pas à tous ses paroissiens: «Un groupe de femmes et d’enfants musulmans n’avaient pu obtenir une salle pour une raison qui m’échappe, je les ai accueillis. Un paroissien impliqué dans la vie de la paroisse est venu me dire que je n’étais pas venu ici pour les musulmans…».
Alors, une nouvelle fois, le Cardinal Tauran insistera sur l’importance de l’aspect humain, de l’amitié. «Pour nous Dieu est Père, tendresse. « Dieu caresse l’Homme », dit le Pape François et nous sommes tous ses créatures».
Michel CAIRE