Publié le 27 octobre 2020 à 9h28 - Dernière mise à jour le 31 octobre 2022 à 12h15
Avec «Djellaba-Basket», c’est un documentaire inédit que vient de diffuser France 3 Provence-Alpes-Côte d’Azur. Le premier volet d’une trilogie sur l’islam à Marseille qui présente diverses pratiques à travers des témoignages d’imams et de jeunes en quête d’identité pratiquant «un Islam « approximatif » comme moi, jeune, j’étais un punk approximatif», raconte Philippe Pujol, co-réalisateur du film avec Jean-Christophe Gaudry. Sabrina Agresti-Roubache, la productrice explique pour sa part: «Il y des films comme celui-ci qui vous touchent, tout particulièrement. Je l’ai produit avec beaucoup d’engagement et de convictions». Un film riche, empli d’humanité, offrant nombre de pistes de réflexion sur la pratique de l’islam et comment prévenir la radicalisation.
Philippe Pujol, précise en avant-propos : «Nos avons voulu une approche sociétale de l’islam. C’est un film sur l’islam des quartiers traité comme un fait de société et non comme une religion». Il tient également à rappeler : «Il ne faut pas s’y tromper. On a regroupé les musulmans dans les quartiers, ce n’est pas eux qui se sont regroupés». Avant de mettre en exergue cette quête d’identité de jeunes entre Marseille et Islam «approximatif» sur fond d’abandon des cités. Les propos sont précieux, rarement entendus. Philippe Pujol souligne la dimension sociale, la misère, l’abandon des cités populaires. il met surtout l’humain au cœur de son reportage. Il ne cache rien de la situation en citant une personne avec laquelle il s’est entretenue, avant que celle-ci ne refuse de paraître dans le film: «Entre le dealer et le salafiste, le premier qui les prêche rafle la mise», indique Philippe Pujol. Point de sensationnalisme: «L’islam radical ne prend pas à Marseille. Il y a certes des points d’ancrage mais cela tient souvent à une personne et, généralement, cela ne dure pas. Cela nécessite toutefois une grande vigilance». Jean-Christophe Gaudry n’est pas Marseillais, il constate: «Le fort sentiment d’appartenance à cette ville fait que cela se passe peut-être mieux qu’ailleurs». Il avoue toutefois: «Entendre des jeunes parler de soumission et d’interdits, cela m’interroge».
Dès les premières images le ton est donné
Musique d’Imhotep (IAM), break dance, foot… rencontre entre culture urbaine et Islam. Le décor est planté. L’imam de la mosquée des Bleuets, l’un des plus écoutés de Marseille résume la situation. Il raconte que l’identité que lui a donnée son père est avant tout marseillaise «le foot, la pétanque…». Les paroles se succèdent: un dealer qui évoque son rapport à la mort, à la religion ou encore un imam en lutte contre le tabou de l’homosexualité, sans ignorer le responsable d’un collège et lycée confessionnel. Et, des paroles de jeunes en quête d’identité… Nassurdine Haïdari, ancien élu socialiste et ancien imam témoigne également. Parle de ce candidat apportant à son père bulletins électoraux et enveloppes, son attrait pour l’islam, la mosquée dans une cave d’un immeuble insalubre: «Nous avions peur que tout s’effondre». Puis le choc de la Bosnie: «Je vois à la télé des gens se faire tuer parce musulmans» et c’est le glissement vers le salafisme avant la prise de conscience qu’il faisait fausse route. «Je me suis éloigné du salafisme parce que j’ai compris que l’on m’avait mis une disquette dans la tête. J’étais dans la « MacDonaldisation » de l’Islam, même tenues, mêmes termes, même façon d’interpréter la réalité… Mais ce n’est pas cela la vie». Il ajoute: «Nous vivions comme le Prophète voilà quelques siècles sauf que lui vivait dans son temps.» avant de mesurer à quel point «l’entre-soi est un crime de la conscience». Tandis qu’un intervenant avance: «La plupart des musulmans se sentent persécutés et ce sentiment de marginalisation crée un besoin d’identité qu’ils trouvent dans l’Islam». Cette recherche, Philippe Pujol en montre la diversité à travers ce jeune homosexuel qui indique: «Pendant longtemps j’ai tout refoulé, aujourd’hui je m’exprime, je parle avec Dieu». Son imam explique: «Le Prophète accueillait tout le monde, les femmes masculines comme les hommes efféminés quand les hommes de l’époque voulaient les tuer» avant de former le vœux: «On peut faire de nouveau de l’Islam un facteur d’émancipation humaine».
Avec « l’Islam Google »on obtient 99% des réponses à nos questions mais 95% sont fausses»
Cet imam bien plus traditionnel évoque son combat contre «« l’Islam Google » avec lequel on obtient 99% des réponses à nos questions mais 95% sont fausses». De plus, conscient des réalités des cités, il indique pratiquer dans sa mosquée le lavage rituel de victimes de règlements de compte. Pourtant c’est avec force qu’il lance: «Enlever une âme c’est comme tuer l’humanité entière». A ce propos un dealer explique son rapport à l’Islam: «La drogue c’est le destin de la vie. Quand il faut faire de l’argent tu fais. Mais lorsque j’entre dans une Mosquée je n’ai jamais de produits. C’est pour cela que je m’y sens propre, apaisé. Et quand tu passes à deux doigts de la mort tu te dis que la prière t’a sauvé». Il parle aussi la prison: «C’est bien mais c’est aussi un peu dangereux pour ceux qui n’ont pas le moral, qui sont faibles». Il insiste sur « des longues peines » qui se radicalisent «et qui nous tiennent le même discours, jour après jour, pendant des années. A la fin j’ai failli tomber». Le décor, les perspectives, sont tout autre au sein de l’établissement privé de confession musulmane Ibn Khaldoun où le responsable met en exergue une lecture contemporaine du Coran et une volonté de travailler avec les élèves sur la citoyenneté.
Combattre la radicalisation…
L’imam Ludovic Mohamed Zahed conclut: «Combattre la misère sociale, intellectuelle, est la meilleure façon de combattre la radicalisation». Philippe Pujol d’expliquer: «Il n’y a pas de femmes dans ce film, nous avons fait le choix dans ce documentaire de ne pas mettre l’accent sur elles. Nous en avons interviewé deux qui ont finalement décidé de ne pas être vues. Nous ne voulions pas d’un débat sur le voile mais, les femmes et l’islam à Marseille méritent un autre film tout comme la pression salafiste dans les quartiers ». Les raisons qui ont motivé ce film? Une partie de la réponse réside dans la jeunesse de Philippe Pujol et de la réalisatrice Sabrina Agresti-Roubache, tous deux ont grandi dans des cités, le premier à Saint-Mauront (3e), la seconde à Félix-Pyat (3e). Un arrondissement réputé comme le plus pauvre d’Europe. Ils ne retrouvent plus dans la jeunesse actuelle celle qu’ils ont connue. La productrice raconte: «Ce n’est pas la religion dans laquelle j’ai été éduquée. Une image me revient d’ailleurs, plutôt une photo, celle du mariage de mes parents en 1971. Personne n’est voilée, les femmes sont en mini-jupe. Et, au fil du temps, j’ai assisté à des changements, y compris au sein de ma famille. Aujourd’hui je ne retrouve pas la culture dans laquelle j’ai grandi. Jeune, l’islam était chez nous, sachant que nos études étaient prioritaires, aujourd’hui l’Islam est partout». Elle ajoute: «Mais le quartier aussi à changé. La pauvreté y est plus grande et la grande pauvreté reste le lit de tous nos maux». «Ce film, conclut-elle, appelle d’autres films, nous y travaillons, car on ne pouvait pas traiter de plusieurs sujets en même temps». Un film à voir et à revoir et, surtout, à analyser.
Michel CAIRE
« Djellaba-Basket » un film de 52’ réalisé par Philippe Pujol et Jean-Christophe Gaudry
Une coproduction : Gurkin Entertainment / Seconde vague productions / France 3 Provence-Alpes-Côte d’Azur