C’est à la Coque que vient de se tenir un débat entre Rudy Manna, porte-parole du syndicat Alliance Police Nationale et Yannick Ohanessian, adjoint au maire de Marseille en charge de la tranquillité publique, de la prévention, du Bataillon de marins-pompiers et de la sécurité. Organisé par le think tank Écologie des solutions co-dirigé par Christophe Madrolle et Fabien Perez, ce débat à mis en exergue l’importance de disposer de plus de policiers, de plus de caméras; de la nécessité d’avoir plus de personnes pour visionner les images, mais il a aussi été question de prévention et d’un domaine trop souvent oublié qui est celui la santé notamment la psychiatrie « où on manque de personnels et de lits » expliquera une infirmière.

Christophe Madrolle rappelle que la sécurité est une priorité pour 72% des Français et qu’il ne peut être question « de laisser ce débat aux populismes ». Il ajoute qu’il est d’autant plus sensible à ce dossier qu’il a été travailleur social dans les quartiers Nord de Marseille et insiste sur l’ambition du think tank : « Nous sommes libres, nous ne roulons pour personne. Nous voulons simplement faire vivre le débat dans cette ville qui en a sérieusement besoin. »
Rudy Manna avance : « Je crois de plus en plus au continuum de sécurité police municipale, police nationale car cette dernière ne peut pas tout régler. » Il signale que « Marseille connaît une augmentation de 3,8% de la délinquance générale. Nous avons un vrai problème en centre-ville avec +11% de délinquance et 1/3 des violences sur personne du département ont lieu dans le centre-ville. » « Marseille, insiste-t-il, n’est pas la ville la plus dangereuse de France. Elle est précédée par Saint-Denis et Paris». il précise que les problèmes ne datent pas d’aujourd’hui : « Entre 2016 et 2022 nous avons perdu 400 policiers mais depuis 2020 nous avons obtenu des renforts pour finalement revenir au niveau de 2016 ce qui n’est pas suffisant. » Puis , il considère : « Il faut une justice plus forte. Quand on arrête un délinquant qui est libre peu après, cela use. » Toujours est-il pour Rudy Manna : « Nous n’avons plus le choix, nous devons travailler main dans la main avec la police municipale. Il nous faut plus de vidéo-protection et, si les choses avancent depuis plus d’un an je regrette le retard pris dans les premières années du mandat de l’actuelle majorité parce que les caméras sont des outils majeurs pour les policiers. Et je suis par ailleurs ravi de voir les effectifs de la police municipale augmenter.»
Vidéo-protection: «Plus personnes pour regarder les images »
Pour Yannick Ohanessian : « Il est essentiel de pouvoir s’interroger sur les questions de sécurité même si je tiens à noter que l’image de Marseille a changé. Que les gens sont heureux de venir pour la Coupe du Monde de rugby, pour l’arrivée de la Flamme. Nous avons eu aussi la venue du Pape. Et nous avons créé un continuum sécurité avec l’État pour réussir tous ces événements.» Il rappelle «Lorsque nous sommes arrivés aux affaires il y avait déjà des problèmes. Et quand j’entends la dérive sécuritaire de certains je tiens à leur rappeler que leurs députés, dans la majorité nationale, ont voté la réduction des effectifs de police nationale. Pour notre part nous avons très vite annoncé notre volonté de doubler les effectifs de police municipale. » Il invite à mesurer l’effort financier que cela représente pour la collectivité en signalant qu’un policier c’est, en moyenne un coût de 40 000 euros par an « et nous avons affiché notre ambition de 400 policiers supplémentaires car c’est un besoin pour un meilleur maillage dans les quartiers et les noyaux villageois. Et nos discussions avec le Ministère de l’Intérieur, pour un renfort en policiers nationaux, se sont accélérées avec le plan Marseille en grand. » Concernant la vidéo-protection il annonce que la Mairie a pris le temps d’étudier la question, de mesurer que «sur les 1 800 caméras installées par la précédente municipalité en 8 ans environ 500 ne marchait pas». Yannick Ohanessian est interpellé par Romain Simmarano, « Une génération pour Marseille » et directeur de cabinet de Renaud Muselier, président de Provence-Alpes-Côte d’Azur : « Pourquoi un moratoire si long sur la vidéo-protection ? » Yannick Ohanessian répond : « Nous n’avons pas attendu si longtemps et nous avons surtout engagé une politique de sécurité adapté aux besoins. Encore une fois nous doublons les effectifs, nous rattrapons le retard pris. Et nous allons installer 500 caméras en six ans grâce à notre partenariat avec l’État.» Romain Simmarano réagit : « 500 pendant que la précédente majorité en a installé 1400 en 8 ans… » Yannick Ohanessian reprend : « Oui mais pour que les caméras soient utiles encore faut-il qu’il y ait suffisamment de personnes pour regarder les images. Ce n’était pas le cas lorsque nous sommes arrivés. » Il annonce par ailleurs un meilleur partage des images avec la police nationale. Stéphanie dans le public ajoute : « Certes, mais il est peu rassurant de se promener en soirée tant les rues sont sombres. Et si on ne voit rien je me demande bien à quoi peuvent servir les caméras… »
Yannick Ohanessian en vient au centre-ville : « Il nécessite l’engagement de tous. Nous avons des SDF, des personnes errantes. Que fait-on ? C’est le travail de la police ? Il y a des personnes qui doivent être prises en charge et, pour cela, nous travaillons avec la police nationale, les marins-pompiers, les services de santé. Et nous avons aussi toute une action autour de la prévention de la délinquance. »
« La politique sécuritaire est de droite ou de gauche ? »
Place est donné à un échange avec le public. Christophe Madrolle lance le débat en demandant si la politique sécuritaire est de droite ou de gauche? Pour Rudy Manna: « C’est le problème de tous ». S’il rejette LFI, il considère : «Tous les autres partis doivent trouver des solutions » avant de lancer « 55% des crimes et délits sont commis par des étrangers en centre-ville, sans oublier les problèmes des clochards et celui des mineurs isolés qui sont souvent récupérés par des réseaux de stup’ qui les exploitent ». Sur la même question de la sécurité de droite ou de gauche Yannick Ohanessian répond : « On est tous d’accord sur le fait que l’on veut vivre en sécurité. En revanche on peut avoir des approches différentes. Eh oui, on a trop tardé ces 20 dernières années sur la question de la prévention de la délinquance. »
«On ne donne pas les moyens aux hôpitaux, aux institutions de travailler »
Marie élargit le débat. Elle est infirmière psy : « La prévention on en fait tous les jours mais on ne donne pas les moyens aux hôpitaux, aux institutions de travailler dans de bonnes conditions. Un collègue vient de se faire massacrer par un jeune de 22 ans. On manque de lits, de médecins, de personnels. La violence augmente tous les jours et tout un chacun peut arriver chez nous. On le voit depuis le Covid. On voit des jeunes tenter de se suicider tous les jours. On voit les gens de la rue arriver. Pourquoi les laisse-t-on entrer dans notre pays si on sait que l’on ne peut pas s’en occuper ? Pourquoi ne soutient-on pas plus les familles monoparentales où on voit le parent devoir laisser son enfant seul à la maison pour aller travailler faute de place en crèche, en garderie. Il faudrait vraiment s’occuper de prévention. » Gérard, avocat, interroge : «On parle de prévention mais on voit dans les noyaux villageois s’installer des commerces dont on sait très bien qu’ils sont des blanchisseuses d’activités illégales. » Yannick Ohanessian répond : «Cela fait 4 ans que nous travaillons sur la question des vacations commerciales. Nous avons décidé de préempter sur toute la ville mais cela nécessite énormément d’argent. On ne peut pas tout faire mais c’est sûr que nous voulons favoriser l’installation de commerces de proximité : boulangerie, boucherie, primeur… » Rudy Manna s’adresse à l’infirmière : « Vous faites un travail formidable avec beaucoup de courage et peu de moyens.» Concernant la prévention, il avance : « J’y crois, j’ai fait de la police de proximité et cela fonctionnait sous Chevènement mais aujourd’hui c’est impossible dans certains quartiers où on ne peut plus entrer où on ne peut pas parler à un habitant car il subirait des représailles. Aujourd’hui la prévention ne peut se faire selon moi qu’à l’école et au collège. »
« On parle de lutte contre le narcotrafic mais nous n’avons plus de préfet de police»
Fred habite dans le 14e arrondissement, travaille à la RTM : « Marseille c’est dangereux dans les quartiers, dans les transports. On intervient dans les bus. La semaine derrière nous avons eu affaire à un individu armé d’un revolver. On n’est pas la police, on n’est pas armé. Et je tiens à dire que la délinquance n’est pas qu’étrangère. Enfin, on parle de lutte contre le narcotrafic et nous n’avons plus de préfet de police. Je ne comprends pas.» Rudy Manna précise : « Il est faux de dire qu’il n’y a pas de préfet de police, c’est le préfet de région qui occupe cette fonction et quelqu’un va être nommé. Concernant la sécurité dans les transports en commun je pense qu’une évolution législative est nécessaire et que nos collègues soient armés de taser. » Christophe Madrolle réagit : « Moi cela me choque que le préfet de police parte dans le contexte actuel de lutte affichée contre le narcotrafic. On ne sait pas pourquoi et s’il part son successeur doit être là dans la journée. »
Hervé Menchon, adjoint au maire de Marseille tient à réagir à propos de l’intervention préliminaire de Rudy Manna : « Vous avez parlé de 55% de délinquants étrangers, c’est faux. Il y a entre 40 et 50% d’interpellations d’étrangers qui seront poursuivis, condamnés ou pas. Ensuite parlons de SDF, pas de clochards, là encore les mots ont leur importance car suivant les mots utilisés le regard change. Alors oui, il faut plus de bleu, oui il faut arrêter, punir. Et oui il faut travailler sur l’urbanisme, la prévention. Les familles des quartiers Nord veulent que leurs enfants aillent à l’école, réussissent dans la vie. Et lorsque l’on parle des mineurs abandonnés il faut voir combien ont dû quitter leur pays chassés par la famine, la guerre, la misère, misère due à notre égoïsme, notre incapacité à mieux partager les richesses du monde. Cette jeunesse il faut la prendre en charge.» Il ajoute : « Enseignant en lycée professionnel j’ai vu des violences, des suicides mais j’ai vu aussi de nombreux jeunes réussir leurs études, trouver un emploi et devenir les voisins dont on rêve. »
« Valoriser l’immense majorité qui dit non à la drogue, au communautarisme »
Raphaël Rubio est enseignant, responsable de l’association Egali-Terre : « La sécurité n’est ni de droite ni de gauche. Nous avons des enfants dont le psychisme est brisé. Il faut de la bienveillance mais aussi de la sanction. Moi je suis gitan, je suis sorti de ma caravane. J’avais un espoir mais quel espoir donne-t-on aujourd’hui à ceux qui ne basculent pas? Il faut analyser, comprendre pourquoi les uns basculent les autres non. Il faut comprendre pour sanctionner et réhabiliter et valoriser l’immense majorité qui dit non à la drogue, au communautarisme, qui disent oui à la République. Mais que leur répond la République ? »
Amin, infirmier libéral, interroge pour sa part: « Il y a une circulation hallucinante d’armes. Que faire pour le stopper ? » Puis, il constate : «Avant les autres quartiers venaient faire leurs courses à Noailles Mais avec les Terrasses du Port, Grand Littoral, etc. le centre-ville se vide, les gens ne viennent plus et la présence policière met une pression de folie. Le problème ce n’est pas le centre-ville c’est l’extérieur. » Yannick Ohanessian répond: « Des gens qui vivent ou travaillent à Noailles étaient désespérés. Ils reprennent espoir avec le renforcement de la présence policière. »
« J’ai dû partir des quartiers Nord »
Alain a une salle de boxe, intervient aux Baumettes, donne des cours de self défense au personnel des hôpitaux psychiatriques : «J’ai dû partir des quartiers Nord où j’habitais à cause de la violence des trafics. » Alors que cette jeune femme évoque un point de deal juste devant une crèche dans les quartiers Nord. Elle lance « Vous êtes la ville qui finance le moins l’accueil des jeunes enfants ». Franck se demande: « Pourquoi on s’apprête à dépenser autant pour l’armement quand il y a tant de besoin en France pour la sécurité, la santé, l’éducation. » Eric est cafetier : « On a des SDF dans le quartier qui bousculent, font leurs besoins dans les couloirs, à proximité d’une crèche, on a eu une mamie agressée. J’ai fait signer une pétition, j’ai obtenu 1 000 signatures. Le document a été apporté sur le bureau du maire et depuis… rien. J’ai aussi informé la mairie des 4/5 sans plus de résultat. » Yannick Ohanessian répond qu’il va voir au plus vite ce qu’il en est de la pétition. Et concernant les crèches, avance qu’«une somme de 57 millions d’euros est engagé en faveur des crèches.»
Un débat dense qui a mis en lumière des avancées, des problèmes à résoudre, portés par la société civile, des réflexions à mener qui vont parfois bien au-delà des compétences d’une ville et une volonté affichée de travail en commun entre la ville et l’État.
Michel CAIRE