Publié le 6 juillet 2015 à 20h17 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 19h19
Eric Delbecque, président d’honneur de l’Association pour la compétitivité et la sécurité économique (ASCE), revient sur l’actualité, évoque la société politique qu’il appelle de ses vœux.
Destimed: Eric Delbecque que vous inspire les nouvelles révélations sur les écoutes américaines?
Eric Delbecque: Ce n’est pas une grande nouvelle, cela fait des années que l’on sait que la NSA nous écoute. Et il faut être très clair, le cœur du sujet, c’est l’espionnage industriel. Alain Peyrefitte écrivait: «La société de confiance», aujourd’hui nous sommes dans la société de défiance, c’est notre vrai problème national, c’est aussi celui que nous avons avec les États-Unis. On ne peut pas avoir les mêmes relations que du temps de la guerre froide. Il faut apprendre à vivre avec défiance.
Mais pourquoi, alors que les affaires, les révélations se succèdent, ne pas réagir ?
De temps en temps des affaires, telle Gemplus, entraîne une prise de conscience qui fait naître une politique publique d’intelligence économique avec, à sa tête Alain Juillet. Mais force est de constater que cela est très largement insuffisant. En fait, je pense que nous n’avons pas très bien compris en France les enjeux que représente la question de la puissance économique, notamment en matière de dispositifs à adopter pour conquérir des marchés mais aussi de protection du patrimoine immatériel de nos entreprises. Et, en matière d’influence internationale, on sent bien qu’il y a des marges.
Dans le même temps on négocie un accord de libre échange transatlantique, que cela vous inspire-t-il ?
C’est tout le paradoxe, avec cet espionnage, nous ne sommes en rien dans le libre jeu de l’offre et de la demande mais dans une logique de conquête de marché, c’est à dire dans une logique qui exclut la réciprocité.
Mais, est-ce que derrière ces espionnages, de la France avec l’aide de l’Allemagne, de l’Allemagne avec l’aide de l’Angleterre, il n’y a pas une volonté d’affaiblir l’Europe?
Je dirais le contraire, c’est parce qu’il n’y pas suffisamment de volonté européenne que de tels faits sont possibles. Nous n’avons pas de stratégie de puissance européenne, pas construit un vivre autrement et c’est pour cette raison que les États-Unis n’ont aucun effort à faire pour jouer les uns contre les autres. Il voit, comme tout un chacun, au quotidien, qu’il y a plus un pilotage technocratique que politique de l’Europe, c’est notamment le cas avec la Grèce.
La Grèce, mais aussi la Tunisie, cela nous conduit à la politique méditerranéenne de l’Europe, quel regard portez-vous dessus ?
En regardant bien on trouve des embryons de politique méditerranéenne mais si on veut faire un constat politique sérieux il n’y a pas de véritable stratégie, tant au plan économique que sécuritaire. Il n’y a pas de projets d’ambition. Et, concernant plus spécifiquement la France, l’usage de la francophonie reste à la marge… En fait, il faut mettre en œuvre un partenariat fort au sein de l’Europe et dans la région méditerranéenne. L’Europe et la Méditerranée devant se prolonger à l’Est en direction de la Russie. Il faut en finir avec les discours caricaturaux sur ce pays. Car la diplomatie est, que je sache, par nature, l’instrument qui permet de parler à ceux qui ne nous ressemblent pas. Il y a une forme d’équilibre à trouver dans un espace économique et politique à construire. Et, si je considère que l’on fait fausse route sur l’intégration européenne de la Turquie, il importe là aussi de créer un espace partenarial clair, tant sur le plan politique qu’économique. En fait c’est l’ensemble de la zone qui est à repenser.
Une partie des réponses aux enjeux ne réside-t-elle pas dans le passage d’une société civile à une société politique?
Là, réside le cœur du problème, dans cette césure entre le public et le privé. Nous avons une sphère administrative qui se veut surplombant le civil (entreprises, associations, privé). A partir de là, il n’est pas possible de construire de véritables partenariats. Or, à mes yeux, l’État doit être là pour être pilote, stratège, mais pas incarné à titre exclusif la Nation, ses forces vives. L’entreprise porte, selon moi, une part de l’intérêt collectif. C’est à dire qu’elle doit produire, mais pas n’importe quoi, ni n’importe comment, dans le respect d’un certain nombre de règles. Elle participe ainsi de l’intérêt commun. Et puis je dois avouer que je ne sais pas très bien ce qu’est la société civile, tout groupe d’Hommes est une société politique.
Propos recueillis par Michel CAIRE
Eric Delbecque vient de publier avec Laurent Combalbert, «Le spectacle de la peur» aux Éditions Laffont.