Publié le 27 septembre 2018 à 20h40 - Dernière mise à jour le 29 octobre 2022 à 13h46
Face aux inquiétudes exprimées par les présidents des régions de France et traduites en introduction de leur congrès par Renaud Muselier et Hervé Morin, le Premier ministre Édouard Philippe a surtout enfoncé le clou de la politique centrale. Pas sûr que son discours ait contribué à rassurer les élus territoriaux, dont 1 200 étaient signataires, en amont de l’événement, d’un Appel pour les libertés locales.
Les présidents de Région présents au Congrès de ce jeudi 27 septembre espéraient vraisemblablement beaucoup de la venue du Premier ministre Édouard Philippe. Face aux inquiétudes énumérées la veille, lors du rassemblement de ces mêmes élus avec leurs homologues dirigeants de départements et municipalités, il importait d’éteindre le feu d’une vindicte grandissante. C’est d’ailleurs ce qu’a rappelé Renaud Muselier, à la tête de Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur, exhortant le locataire de Matignon à «ne pas casser ce qui fonctionne», évoquant un «malaise institutionnel. Nous avons l’impression que vous ne nous faites pas confiance», avancera-t-il en introduction de séance. Hervé Morin, élu depuis peu président de l’association Régions de France, ira encore plus loin dans les propos. Il appellera notamment Édouard Philippe à «restaurer le dialogue, et une confiance bien abîmée ces derniers mois. Il y a là une question de méthode. Quand sur le plan pauvreté, l’ADF n’est pas invitée à la réflexion alors que le social constitue une de ses compétences premières, on est en droit de s’interroger. Nous-mêmes n’avons pas davantage été consultés lors de l’élaboration de la loi Pacte, alors que nous détenons la compétence de l’accompagnement aux entreprises», dénoncera-t-il. Particulièrement prolixe, Hervé Morin reviendra enfin sur le Pacte financier, mal vécu par les élus locaux. «Il s’agit d’une leçon d’autant plus injuste que les dépenses des collectivités sont en baisse depuis trois ans et que nous faisons des efforts gigantesques pour préserver nos capacités d’investissement».
Un appel « qui manque de nuances »
Las, l’intervention du Premier ministre n’aura sans doute pas contribué à dissiper ce malaise institutionnel, évoqué par Renaud Muselier. Devrait demeurer l’impression pas forcément agréable de ne pas savoir, plus aujourd’hui qu’hier, la place, la considération, les marges de manœuvre qu’entend adjoindre aux élus locaux le gouvernement d’Emmanuel Macron. Édouard Philippe aura en effet confirmé de façon implacable les prises de position de ce dernier. Certes, il y a mis les formes, se révélant dans un premier temps maître dans l’art du rond de jambe (un prélude de dix bonnes minutes !), remerciant à tout va, félicitant Jean-Claude Gaudin pour une ville qui se transforme «de façon visible». Regrettant de n’avoir pu être présent déjà la veille, pour répondre en direct aux présidents d’associations de collectivités quant à leurs inquiétudes – ça ne mange pas de pain. Car, Édouard Philippe a lu l’Appel pour les libertés locales. Et il est d’accord sur tout, ou presque, pourrait-on comprendre entre les lignes. Tout juste trouve-t-il que le texte «manque un peu de nuances»… Mais sur le fond, il ne réfute rien, ou si peu, si ce n’est le sentiment d’une volonté de recentralisation de l’État, qu’il juge infondé. «Qui peut être contre les libertés locales ? Pas moi. Mon engagement politique à la base est local», rappelle-t-il, égrenant ses précédents mandats. Et d’enfiler les belles paroles comme des perles : «Vous lancez un appel au dialogue, mais vous ne nous verrez jamais sur une autre ligne que celle du dialogue… Comme vous, je ne crois pas que l’avenir de la France se mesure seulement au succès des métropoles, mais on ne peut pas réussir sans le succès des métropoles… Personne ne veut revenir sur le caractère décentralisé de la République… ». Alors quoi, les élus locaux souffriraient-ils collectivement d’un délire de persécution ?
Une logique de contractualisation financière « approuvée par la Cour des comptes »
Mais il délaisse vite ce qui est de l’ordre du terrain d’entente pour revenir ensuite sur la source de désaccords qu’il ne nie pas. Et en premier lieu, l’importance des efforts demandés aux collectivités. Il en justifie le fait en évoquant un gouvernement mandaté pour engager le changement, fut-ce au prix d’une pilule pas forcément simple à ingérer. Et de revenir sur les charges endossées par ce dernier… comme si ce rappel allait alléger celles mises sur le dos des collectivités territoriales : les baisses d’impôts «assumées par la personne morale État», ses efforts, via le plafonnement des dépenses de fonctionnement auquel s’astreint aussi ce dernier. Il a été fixé à 0,7 % quand il est de 1,2 % pour les collectivités territoriales, rappelle Édouard Philippe. Certes, mais dans le cas des collectivités, tout dépassement sera sanctionné par une ponction de 75 % du dépassement en cas de signature du Pacte financier, et de 100 % en cas de refus de contractualisation. Quid de l’État ? S’auto-punira-t-il ? Toujours sur le chapitre du pacte de confiance, le Premier ministre arguera enfin avec un certain cynisme que finalement, ce qui dérange les élus locaux, c’est que le gouvernement leur a coupé l’herbe sous le pied en termes de posture politique. «Pour beaucoup d’entre vous, il était plus facile de supporter une baisse effective de dotations du point de vue politique. Il est aisé de dire nous allons comprimer les dépenses parce que l’État réduit ses dotations», envoie-t-il comme à fleuret moucheté. Et de vouloir prouver que la méthode du gouvernement a tenu ses promesses, puisque «l’immense majorité des collectivités a signé, comme on s’y attendait». Certes… mais avaient-elles seulement le choix, à la lumière ce qui a été rapporté la veille ? Il va falloir pourtant s’y faire, puisque cette logique de contractualisation financière, «approuvée par la Cour des comptes», devrait devenir la règle, annonce encore Édouard Philippe.
Les élus bientôt conviés à Paris
Mais que les présidents de Région se rassurent. Puisque Édouard Philippe n’entend pas se passer de dialogue, dit-il… ils seront invités prochainement à Paris pour discuter d’une feuille de route partagée. On y causera notamment Fonds de compensation de la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA), orientation, gestion des fonds européens… Le Premier ministre compte également faire de la Conférence nationale des territoires (CNT) un outil d’échanges. La fiscalité locale sera portée au menu de la prochaine, «puisqu’il faudra repenser cette fiscalité», compte tenu de la suppression progressive de la taxe d’habitation. De nouveaux grincements de dents en perspective ? L’avenir le dira. Mais auparavant, le Premier ministre conclura en lançant lui aussi «son propre appel de Marseille», un appel «à une décentralisation qui autorise les désaccords». Ce dans un climat… «de franchise et d’amitié». Décidément, dialoguer ne veut pas forcément dire être entendu.
Carole PAYRAU