Publié le 25 janvier 2021 à 21h34 - Dernière mise à jour le 31 octobre 2022 à 12h35
A l’appel d’une large intersyndicale (FSU, FNECFPFO, CGT Educ’Action, SNCL Faen, SUD Éducation), les enseignants, les assistants d’éducation et les infirmières de l’éducation nationale sont amenés à se mobiliser le mardi 26 janvier. Alors que la situation sanitaire s’aggrave, les syndicats demandent au gouvernement d’agir maintenant pour préparer l’école, le collège et le lycée de demain. Selon eux, un tel défi nécessiterait des moyens massifs, des recrutements de personnels et une réorientation franche de la politique éducative.
Pour le moment, Jean-Michel Blanquer semble faire la sourde oreille en préparant une rentrée 2021, comme si de rien n’était : pour accueillir 2 800 élèves supplémentaires dans les établissements de l’académie d’Aix Marseille… Tout en supprimant 60 emplois dans le second degré. Dans le premier degré, les 131 postes supplémentaires dans les Bouches-du-Rhône suffisent à peine à couvrir les décharges de direction et les dédoublements des grandes sections en éducation prioritaire. En somme, le panorama n’est pas des plus optimistes pour Caroline Chevé (secrétaire départementale FSU13), Virginie Akliouat (Secrétaire départementale Snuipp13) et Laurent Tramoni (Secrétaire académique de Snes Aix-Marseille). Entretiens.
Destimed: En période de crise sanitaire, cette mobilisation est-elle nécessaire?
Caroline Chevé : Tout à fait, car cela répond à une double urgence : celle qui est antérieure à la crise, celle d’une nécessaire réorientation des politiques éducatives pour améliorer le système et le rendre plus à même de jouer son rôle, notamment dans la lutte contre les inégalités et la réussite des élèves. C’est aussi la réponse à une urgence nouvelle déclenchée par la situation sanitaire que nous traversons. Elle engendre des remous économiques et par conséquent sociaux massifs, dont nous commençons à voir les effets. Le système est obligé de se mettre en ordre de bataille pour les années à venir, pour accueillir des enfants, des adolescents qui seront impactés par tout cela.
Selon vous, les choses doivent changer très vite pour préparer l’avenir de nos enfants?
C.C: Il faut que le système éducatif évolue dès aujourd’hui. Or le ministère de l’Éducation nationale prépare la rentrée 2021 comme si de rien n’était dans la lancée des précédentes en suivant les mêmes orientations et en continuant sa politique d’austérité budgétaire et de suppressions de postes. Cela est totalement le contraire de ce qu’il faudrait faire. Nous avons besoin d’un plan d’urgence : il y a une nécessité de faire des recrutements dans le premier comme le second degré, mais aussi des CPE, des surveillants, des infirmières, des assistantes sociales… En somme, les équipes que notre système éducatif doit avoir pour être à la hauteur des enjeux qui l’attendent.
« Le recteur s’est gargarisé de ces créations, mais il a passé sous silence la dégradation dont nous parlons ici »
Pourtant, votre discours n’est pas nouveau. Pourquoi serait-il entendu plus aujourd’hui qu’hier ?
C.C: Nous alertons depuis des années le ministère et le gouvernement sur la crise du recrutement. Les étudiants se détournent des métiers de l’éducation qui sont insuffisamment valorisés pour séduire les potentiels candidats. A l’inverse de ce que peut clamer notre ministre Jean-Michel Blanquer, pendant le mois de décembre, la prétendue revalorisation qui devait faire suite au Grenelle de l’éducation n’a pas du tout été à la hauteur des enjeux et n’est toujours pas en mesure de convaincre de futurs enseignants. Ajoutons que c’est une grève qui permet d’exprimer les revendications communes des personnels de l’éducation nationale, mais aussi des demandes plus catégorielles, notamment les surveillants qui ont déjà observé plusieurs journées de grève pour de meilleures conditions de travail. N’oublions pas les infirmières scolaires qui sont très remontées contre un projet de loi dit « 4D » qui menace la santé scolaire.
Récemment, sur Destimed le recteur avançait une hausse des postes au niveau du premier degré. Est-ce vraiment le cas ?
Laurent Tramoni : Nous avons pris connaissance de cette conférence de presse. Les recrutements se font actuellement dans le premier degré avec 130 emplois supplémentaires dans les Bouches-du-Rhône, mais il faut avoir conscience qu’ils découlent d’un redéploiement dû à une fermeture de postes dans le second degré. Le recteur s’est en effet gargarisé de ces créations, mais il a passé sous silence la dégradation dont nous parlons ici. L’éducation nationale finance une relative amélioration de la scolarisation des jeunes enfants au prix d’une dégradation très forte des conditions de leurs grandes sœurs ou grands frères. Il est indispensable de recruter du personnel, d’une part pour suivre l’augmentation démographique que nous connaissons dans notre académie.
Peut-on avoir des précisions sur cette hausse démographique ?
LT : Il y a toujours plus d’élèves, mais proportionnellement pas d’enseignants. Cette augmentation devrait se poursuivre jusqu’en 2025. Tout cela était prévisible, car au final ce ne sont que des naissances déclarées les années précédentes. Nous constatons que depuis le début du quinquennat Macron le nombre d’emploi est stable dans l’académie. Nous sommes dans une situation de déficit de personnes qui se chiffre, depuis 2017, à 700 emplois manquants pour garantir un taux d’encadrement des élèves. C’est un choix idéologique ou plutôt budgétaire.
« C’est une insulte à l’avenir, car les besoins sociaux vont s’amplifier du fait de la crise actuelle »
L’éducation nationale est-elle en mesure de se révolutionner dans l’urgence ?
LT : Cela suppose que le ministère prenne les devants et les décisions qui permettront de veiller à l’avenir de nos jeunes. Clairement, ce n’est pas pour maintenant. Il y a une notion d’urgence sanitaire, mais cela se fait au prix d’un investissement énorme du personnel sur le terrain. Il est plus que primordial de renforcer l’encadrement des élèves, nous sommes au bout des possibilités de remplacement. D’ailleurs, il faut souligner qu’une part importante de professeur n’est pas suppléée. Cette année, le ministère a refusé le dépassement budgétaire que l’on devait imputer à cette situation. Ceci veut dire que nous sommes dans l’obligation de ne plus remplacer les cas contacts par exemple.
Quel est l’impact de ses manques au niveau des équipes éducatives ?
LT : Au quotidien, nous devons faire face à une augmentation des heures supplémentaires qui nuit tant au niveau de la fatigue que du suivi des élèves. Les enseignants sont forcément moins disponibles, car il faut empiler les heures de cours sur la semaine. De plus, c’est une insulte à l’avenir, car les besoins sociaux vont s’amplifier du fait de la crise actuelle. On ne compte plus les inégalités scolaires, les échecs… Au lieu de mettre les moyens comme l’ont fait d’autres pays, nous continuons avec une politique d’austérité de fermeture de postes. D’autant plus dans notre académie, où l’éducation prioritaire est importante avec de nombreux établissements qui demandent à rentrer dans ce cadre.
« Plusieurs raisons de nous mobiliser face à un ministre qui est totalement discrédité au sein de la profession »
A votre avis, le ministère est-il décidé à camper sur ses positions ?
LT : Pendant que l’attention du public est focalisée sur la pandémie, on voit que Jean-Michel Blanquer en profite pour renforcer ses convictions, ce qui est vraiment un problème. Le ministre ne veut pas revenir sur ses réformes, notamment du baccalauréat, qui sont inopportunes et à contretemps. La réforme du lycée a accru le brassage des élèves via un enseignement à la carte. Il en découle de gros problèmes organisationnels et sanitaires. Même si nous sommes soucieux de la protection des gens et des élèves et que nous ne souhaitons absolument pas une fermeture des établissements, il fallait lancer une alerte au travers de cette manifestation.
Virginie Akliouat : Nous avons plusieurs raisons de nous mobiliser face à un ministre qui est totalement discrédité au sein de la profession. Pourquoi ? En premier lieu, il est en train de détruire ce qui fait l’essence même de notre métier. Nous assistons à un démantèlement des programmes de maternelle, sans aucune consultation, alors que ceux appliqués actuellement font consensus. Nous subissons des évaluations à outrance, la mise en place d’une méthode de lecture ministérielle… Ces prescriptions pédagogiques font des enseignants des acteurs de leur métier et des applicateurs d’une propagande bornée qui ne correspond absolument pas à la vision de notre profession. La gestion de la crise sanitaire n’arrange en rien ce discrédit avec des annonces, des contre-annonces, des ordres et contre-ordres, auxquelles nous devons faire face depuis maintenant un an. Ne parlons pas des mensonges maintenant connus sur le port du masque pour les enfants, qui au début était inenvisageable, mais qui au final est obligatoire…
Qu’en est-il de la situation sanitaire au sein des établissements ?
VA : Nous entendons que tout va bien alors que les contaminations ne cessent d’augmenter, particulièrement depuis janvier, que ce soit parmi le personnel ou les élèves. Nous sommes du coup dans l’obligation d’intervenir auprès des décideurs pour que les décisions qui s’imposent soient prises au cas par cas. Que dire des multiples protocoles qui se succèdent sans aucune consultation des acteurs de terrain et de ce qu’il est possible ou non de mettre en place. Vous l’aurez compris : tout ne va pas bien dans nos écoles ! C’est d’ailleurs très loin d’être le cas. Nous connaissons des établissements où plus de 10 cas ont été déclarés et où rien ne se passe. On a des élèves positifs avec des cas contacts qui ne sont pas répertoriés alors qu’ils étaient ensemble à la cantine, sans masque… Tout cela cristallise une grande colère, une impression d’être envoyés au front sans une protection de la part des employés.
La fracture entre le ministère et les enseignants semble importante.
VA : Nous sommes face à un ministre qui s’adonne au «prof bashing» depuis son arrivée, qui se permet de qualifier de revalorisation historique quelque chose qui ne touche qu’une minorité. Pour toutes ces raisons, nous nous sommes mobilisés pour faire entendre le ras-le-bol. Nous ne pouvons plus être méprisés de la sorte. Nous aimons notre métier et nous souhaitons le faire de la meilleure façon qu’il soit en étant pris au sérieux. Nous voulons absolument éviter une nouvelle fermeture totale des écoles, mais il faut avoir conscience que dans les circonstances actuelles tout ceci est impossible.
Propos recueillis par Mathieu SELLER