Publié le 29 janvier 2021 à 9h02 - Dernière mise à jour le 31 octobre 2022 à 12h35
Si proches et pourtant si éloignées… La Corse et Elbe sont deux îles trônant sur les flots de la Méditerranée. De leur passé économique florissant, il ne reste quasiment rien et si les deux voisines continuent de « naviguer » ensemble ce n’est que pour des commodités touristiques. Petit zoom !
Deux rotations maritimes hebdomadaires, de juin à septembre, entre Bastia et Porto-Ferraïo seront assurées par la Corsica Ferries et quelques «mini-croisières» d’une journée à l’occasion… Le tourisme de niche est désormais le seul lien qui vaille entre la Corse et Elbe, la plus grande île de l’archipel toscan (224 km²), à 50 kilomètres à peine de la cité bastiaise.
Les deux territoires tracent leur avenir en se tournant le dos, ou presque, après avoir autrefois, formé une petite communauté de destin économique. Historiquement, c’est autour du fer et de son exploitation que s’est construit ce rapprochement, à partir du 16e siècle. Corse et Elbe, de ce point de vue, avaient des arguments parfaitement complémentaires. Pour bien intégrer la symbiose qu’il existait entre les deux puissances économiques de la Méditerranée, un petit rappel historique n’est jamais de trop.
Une complémentarité naturelle et économique
De part et d’autre du canal de Corse, on se focalise depuis toujours sur des opportunités de développement. «L’île d’Elbe compte trois grands centres miniers, tous situés sur la partie orientale de l’île : Capo Liveri, Rio dell’Elba et Rio Marina. Mais elle ne dispose d’aucune réserve en bois et ne peut pas produire de charbon de bois sur place. La Corse, au contraire, abonde de châtaigniers qui donnent du… charbon de bois mi-doux, que ce soit en Castagniccia, ou dans le Nebbio», analyse Antoine-Marie Graziani, professeur des universités, université de Corse [[ La métallurgie du fer en Corse. Des bas foyers aux hauts fourneaux. XVe -XIXe siècle, ed Piazzola. 2020]]. Il est de notoriété internationale, depuis l’Antiquité, que la ressource à portée de rame est de très bonne qualité. En son temps, Virgile décrivait déjà Elbe comme «riche d’inépuisables mines de fer».
Elbe, le plus grand dépôt géologique de minerai de fer connu dans le monde
La voisine de l’Ile de Beauté avait tout simplement été bénie par les hasards de la géologie. Le plus grand dépôt géologique de minerai de fer connu dans le monde restera celui de Rio Marina sur la côte Est, d’où on extrait de la magnétite et de l’hématite. Au XVIe, ce sont d’abord quelques « fermiers » bastiais qui ont posé les fondamentaux commerciaux en assurant le transport depuis Elbe jusqu’aux forges corses, dont la plupart se situent au sud de Bastia. Une fois le fer travaillé, ils se chargeaient de distribuer celui-ci à des débitants à travers l’île.
Une chose est sûre : cette entreprise était des plus risquée et déjà les « capitalistes bastiais », mais aussi cap corsins, prospéraient au péril de leurs navires et de leurs équipages. Il fallait sans cesse compter avec les « fortunes de mer », les Turcs qui croisaient au large, les installations portuaires défaillantes et les interdictions de naviguer en période d’épidémie… D’ailleurs, on ne compte pas les tonnes de minerai parties à la mer. La cargaison lorsqu’elle arrivait à bon port était ensuite répartie par les muletiers entre les forges de Bastia, de l’Alesani, de Castagniccia ou de l’Orezza. Ce négoce était à l’origine de belles réussites bastiaises. Mais, les success stories ne concernait qu’un nombre restreint d’individus. Le secteur sidérurgique comme le secteur financier était à Bastia une affaire de famille très lucrative. Un peu trop même.
La mondialisation de la Corse fatal au commerce d’Elbe
A partir du XVIIIe, le coût du minerai de fer vendu à la forge était alors jugé «exorbitant», comprenant le prix d’achat à la mine, les frais de transports et les droits de gabelle. Pourtant, jusqu’à la première moitié du XIXe, le minerai d’Elbe était le seul utilisé dans les usines de Corse. C’est à partir de 1850, que les industriels de l’île de beauté ont diversifié leurs sources d’approvisionnement en se tournant vers San Leone en Sardaigne, Bône en Algérie ou Garrucha en Espagne. Peu à peu, les relations économiques entre la Corse et Elbe se sont donc taries et, à la fin de ce siècle, la fermeture progressive des hauts fourneaux lors la grande dépression a terminé d’achever les accords entre les deux perles du bassin méditerranéen. De ce passé commun et florissant, il ne reste guère de choses si ce n’est donc ces modestes voyages touristiques. Mais qui sait ce que l’avenir réserve quand on sait que beaucoup de choses reviennent au goût du jour.
Nathalie ROSSI