Publié le 14 mars 2015 à 20h28 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 18h43
Vingt-cinq listes se disputent mardi les voix de 5,88 millions d’électeurs israéliens après la dissolution du précédent gouvernement. Le sort électoral du Premier ministre sortant, Benyamin Netanyahou, est au centre de toutes les spéculations alors qu’aux préoccupations sécuritaires des partisans de ce dernier s’affrontent les problématiques sociétales et économiques portées par le bloc de centre gauche.
Le vent qui souffle, inlassablement, sur la politique israélienne est-il en train de tourner ? A quelques heures d’un scrutin âprement disputé qui vise à renouveler, avec deux ans d’avance, les membres de la Knesset (le Parlement israélien), le premier à se poser la question doit être, sans conteste, Benyamin Netanyahou lui-même. Le Premier ministre sortant, chef incontesté du Likoud (droite), s’il dit ne pas «regretter ces élections» qu’il a lui-même convoquées de manière anticipée après la dissolution du précédent gouvernement de coalition, n’imaginait certainement pas devoir mener une si rude bataille pour son quatrième mandat. Ce qui apparaissait, il y a quelques semaines encore, comme «une simple formalité», a viré au référendum «pour ou contre Bibi» (le surnom de Netanyahou). Il faut dire que l’homme, qui a fait de la sécurité d’Israël sa raison de gouverner, n’œuvre pas dans la dentelle. Jamais. Et encore moins quand il se sent attaqué. Et cette fois, c’est quasiment simultanément sur tous les fronts qu’il aura eu à parer les coups.
Installée dans son canapé, une tasse de thé à la main, Rachel ne rate aucune miette du très populaire JT d’Aroutz 2, alors qu’à l’écran s’enchaînent les reportages relayant les accusations portées par l’ancien intendant de la maison Netanyahou. Après le scandale du «bootlegate» (Sarah Netanyahou, l’épouse du Premier ministre, est soupçonnée d’avoir empoché l’argent public des bouteilles consignées de sa résidence), les révélations du dénommé Menny Naftali sur l’explosion des dépenses du couple en frais de représentation ainsi que sur leur présumée propension à faire payer certaines dépenses par leurs employés sans les rembourser font désordre. La première salve est tirée sans que le chef du gouvernement, qui se contente de crier au complot, ne semble prendre la mesure du risque électoral qu’il encourt.
Le logement au cœur de la campagne
Obnubilé par le discours sur la menace d’un Iran nucléaire qu’il va prononcer quelques jours plus tard au Congrès des États-Unis (en embarquant pour l’occasion 75 journalistes dans l’avion qui s’envole de l’aéroport Ben Gourion vers la capitale fédérale américaine) à l’invitation des Républicains et surtout, au nez et à la barbe de Barack Obama, ce vieux routard de la politique israélienne ne voit pas l’intérêt de ses compatriotes se positionner, doucement mais sûrement, sur les questions sociales et sociétales, avec en tête des préoccupations des jeunes et des familles, la difficulté d’accès au logement.
Fin février, quand la seconde chaîne israélienne (toujours elle) organise le premier débat électoral que le pays a connu depuis la fin des années 90, les deux poids lourds de cette élection, Isaac Herzog, chef de file de l’Union sioniste (coalition de centre-gauche composée du Parti travailliste d’Herzog et de la liste Hatnuah de l’ex-Likoud Tzipi Livni) et Benyamin Netanyahou, déclinent l’invitation. Les huit partis en présence avaient alors débattu longuement des questions économiques, voyant même émerger comme probable «faiseur de roi» Moshé Kahlon et son parti Koulanou, qui a fait du logement son unique thème de campagne. Il est bien dommage cependant que l’électeur lambda n’ait pu voir s’affronter ces deux hommes que tout oppose, du style à l’idéologie, car ils sont certainement la clef du scrutin de mardi.
Herzog et Livni reprennent la main
Selon les derniers sondages, et contre toute attente, la coalition du très sage Herzog, dont on moque le manque de charisme, le comparant tantôt à «un comptable», tantôt à un «collégien de bonne famille» (un collégien de 54 ans !) devancerait en effet de quatre sièges l’incontournable formation du très bouillonnant Premier ministre. Une remontée dans la dernière ligne droite qui, si elle ne certifie nullement la victoire de l’improbable duo qu’il forme avec la «Dame de fer» israélienne, ancienne ministre des Affaires étrangères et ancienne ministre de la Justice, Tzipi Livni, tant la politique israélienne est volatile et le système, complexe, montre bien toutefois qu’une brèche s’est ouverte dans un match que l’on donnait plié d’avance. Et le principal responsable de cet inattendu coup de théâtre en est certainement Netanyahou en personne. Car si sa personnalité divise, on l’adore ou on le déteste, sa méthode est cette fois contestée même parmi ses propres supporters.
Si beaucoup d’Israéliens, par exemple, le rejoignent sur ses positions fermes affichées sur la question iranienne, une grande majorité lui reproche, en revanche, une erreur de style et de calendrier. «Se fâcher avec notre principal et généreux allié (les Etats-Unis, Ndrl), à ce moment de notre histoire, n’est pas très opportun», souligne Ori, un jeune homme de 26 ans qui a quitté la ferme familiale pour gagner Tel Aviv où il cherche un emploi. Et sur ce dossier épineux, les critiques n’émanent pas que de la jeunesse. A voir Meir Dagan, ancien chef du Mossad «au couteau entre les dents» comme le qualifie la presse israélienne, se faire ovationner, la semaine dernière place Rabin par une foule essentiellement de gauche, après un discours ouvertement anti-Netanyahou, il apparaît impossible de ne pas s’interroger sur l’étendue du rejet qui vise le Premier ministre sortant.
Sans connaître le souffle du mouvement de 2011, la révolte des tentes a repris possession du très huppé Boulevard Rothschild à Tel Aviv et 72% des sondés en appellent, aujourd’hui, à un «changement de politique» en Israël. Pourtant, à la notable exception du parti Meretz (le parti sioniste le plus à gauche de l’échiquier politique), plus personne ne semble vouloir évoquer le mot «paix», l’Union sioniste d’Herzog et Livni martelant simplement sa volonté de reprendre les négociations avec les Palestiniens. Après une première partie de campagne essentiellement menée sur le net, Bibi est donc remonté sur le ring, multipliant les meetings et déplacements. Habitué des tours de force et des coups d’éclat, groggy mais encore loin de vouloir jeter l’éponge, il pourrait bien transformer en réalité la blague qui circule ces jours-ci à Tel Aviv : «A la fin, c’est toujours Netanyahou qui gagne!»
Paule COURNET
Selon un des derniers sondages (13 mars) mené pour la radio publique et le journal Yediot Aharonot ainsi que pour le Jerusalem Post et le Maariv, l’Union sioniste de Herzog et Livni arriverait en tête avec 25 sièges devant le Likoud de Netanyahou (21). Yesh Atid de Yair Lapid et la liste arabe unifiée (pour la première fois les partis arabes ont présenté une liste commune) recueilleraient 13 mandats chacun. Naftali Bennett et son parti le Bayt Hayehudi récolteraient 11 sièges, Koulanou de Moshé Khalon 10, le Shas 7, le Judaïsme unifié de la Torah 6, Meretz 5, tout comme le Yahad de Yishaï, alors que le parti d’Avigdor Lieberman, ministre des Affaires étrangères sortant, Israël Beïtenou, s’affiche comme le grand perdant de ce scrutin avec seulement 4 mandats.