Publié le 13 octobre 2022 à 19h14 - Dernière mise à jour le 11 juin 2023 à 17h59
Guerre en Ukraine, guerre hybride, menace nucléaire, Arménie, manifestations en Iran, crise énergétique… Le président de la République s’est exprimé une heure durant, mercredi soir, sur un monde en crise.
Emmanuel Macron était l’invité mercredi soir de «L’Evénement», la nouvelle émission politique de France2 consacrée aux crises internationales et à la place de la France dans le monde. Cet entretien exclusif avec le président de la République a porté pour l’essentiel sur la guerre en Ukraine et ses conséquences. Si la pénurie de carburant s’est invitée, Emmanuel Macron a insisté sur la gravité de la situation internationale.
« Vladimir Poutine doit cesser cette guerre »
L’entretien du chef de l’État a démarré par la guerre en Ukraine et par une question de la journaliste Caroline Roux, «La Russie est-elle devenue un État terroriste ?» Emmanuel Macron répond qu’il ne veut pas entrer «dans ces qualifications». Moscou, rappelle-t-il: «a mis en danger un peuple, un continent et violé la souveraineté d’un pays». «Moi, poursuit-il, je parle de crimes de guerre qui, aujourd’hui, laissent des traces». Dans ce cadre, indique-t-il :«Nous aidons les Ukrainiens. Nous avons dépêché sur place des magistrats et des gendarmes mais je suis toujours très prudent, c’est la justice internationale qui doit ensuite qualifier les choses.» Pour Emmanuel Macron aujourd’hui «Vladimir Poutine doit cesser cette guerre, respecter l’intégrité territoriale de l’Ukraine et revenir autour de la table des discussions».
«Briser la résistance ukrainienne »
A la suite du pilonnage de missiles russes sur plusieurs grandes villes du pays, dont Kiev, lundi, Emmanuel Macron parle d’«un changement de la nature de cette guerre». Revient alors sur les raisons de cette attaque notamment la destruction partielle, samedi 8 octobre, du pont de Crimée -infrastructure-clé et symbolique reliant, au niveau du détroit de Kertch, la Russie à l’Est de la péninsule ukrainienne annexée en 2014- un pont décidé par Poutine pour rattacher la Crimée à la Russie. Emmanuel Macron rappelle d’abord que «cette attaque n’a pas été revendiquée». Ce qui s’est passé à partir de dimanche soir à lundi, souligne-t-il: «C’est une phase inédite, depuis le début du conflit, de bombardements qui se sont organisés depuis la terre, la mer, les airs, par drone également contre des infrastructures essentielles et contre des civils.» «On a aussi fait sauter ce qui permet d’électrifier, ce qui permet de se chauffer en Ukraine», indique le chef de l’État qui considère que «l’objectif de la Russie, c’est de casser, de briser la résistance ukrainienne.»
Nous ne voulons pas de guerre mondiale
Outre la destruction du pont de Crimée, les contre-offensives ukrainiennes ces dernières semaines avec la reprise de territoires dans le Donbass à l’Est du pays a modifié cette guerre. «Le choix de la Russie a été de mobiliser des jeunes Russes pour aller combattre, d’organiser des référendums qui n’ont aucun statut légal et lancer ces attaques», indique Emmanuel Macron qui ajoute : «Qu’est ce qu’on fait ? Nous, nous soutenons l’Ukraine dans sa résistance sans participer à la guerre parce que nous ne voulons pas de guerre mondiale.»
Pour renforcer cette résistance, Emmanuel annonce que la France livrera à Kiev «des radars et des systèmes avec des missiles anti-aériens dans les prochaines semaines», a assuré le chef de l’État. Ils serviront «en particulier pour les protéger des attaques de drones et des attaques de missiles». La France avait déjà livré des missiles anti-aériens à l’Ukraine depuis le début de l’invasion russe. Emmanuel Macron a également confirmé l’annonce, faite début octobre, de la livraison de six canons d’artillerie Caesar supplémentaires, prélevés sur une commande destinée au Danemark. Ce qui porterait à 24 le nombre de ces canons fournis à l’armée ukrainienne. Le président de la République a par ailleurs répondu aux critiques sur la faible quantité d’armes envoyées par la France en Ukraine, en comparaison à d’autres États «Je suis obligé d’en garder certaines pour nous-mêmes, pour nous protéger ou protéger le flanc Est», a-t-il justifié, rappelant notamment que Paris vient de renforcer l’arsenal posté en Roumanie. «En même temps qu’on aide l’Ukraine sur son sol, nous nous protégeons notre sol national et nous protégeons nos propres emprises critiques et nous aidons nos alliés» .
Un déploiement renforcé aux frontières
Il rappelle que la France est «ce qu’on appelle la nation-Cadre d’une initiative de l’Otan en Roumanie et nous avons déployé dès les premiers jours plusieurs de nos soldats et des équipements très importants à la frontière la plus à l’Est de notre Union Européenne et de l’Otan». Il précise que ce déploiement a été renforcé ces derniers jours «en envoyant des chars Leclerc car l’intensité des bombardements et des combats a changé. Nous devons donc renforcer la posture. C’est ce qu’on fait en Roumanie, en Estonie, et en Lituanie avec des rafales qui sont déployés»
Nous ne sommes pas partie prenante de la guerre
En ce qui concerne le renseignement, le président de la république hésite un instant et dévoile en fournir. «Oui pour qu’il puisse se défendre mais de cela il est bon de ne pas trop parler.» Caroline Roux demande au Président : «Pouvez-vous nous assurer monsieur le Président qu’il n’y a pas un membre de l’Armée française, des forces spéciales engagés en Ukraine et pouvez-vous nous assurer que cette règle est respectée dans les autres pays de l’Otan?» Il répond: «Je ne peux pas ici prendre des engagements pour les autres. Je peux vous dire que nous, nous avons des forces qui sont déployés à la frontière, que nous avons des actions de formation mais que nous ne sommes pas partie prenante de la guerre.»
A propos de la Biélorussie
Emmanuel Macron affirme que «la Biélorussie a été complice depuis le début du conflit» et a permis à la Russie «de masser des soldats et de mener une offensive dès fin février début mars par le Nord et Kiev à presque était pris». C’est la résistance extraordinaire des Ukrainiens, avance le chef de l’État «qui a permis une première contre-offensive de mars à début avril et qui a libéré tout le Nord du pays». Il prévient: «On a là, à nouveau, des forces qui sont massés et donc il faudra être très vigilants. Si Loukachenko décide de s’engager davantage dans cette guerre, il le fera contre l’avis d’une bonne partie de son peuple -On ne peut pas oublier que le peuple a contesté son élection à la tête du pays – et il le fera en prenant la responsabilité qui ne sera pas sans lui poser des problèmes.»
La menace nucléaire ?
A propos des prédictions de Joe Biden sur le risque d’Apocalypse nucléaire, Emmanuel Macron rappelle: «On a vu Vladimir Poutine agiter régulièrement la menace nucléaire». Assure avoir toujours dit la vérité aux Françaises et aux Français. «Ce qui se passe en Ukraine nous touche pour trois raisons principales: La première c’est qu’un pays de notre continent est attaqué et que son intégrité territoriale ses frontières ont été violés par leur voisin; la 2e c’est nos principes qui sont attaqués ce qui fonde notre droit international ce qui justifie encore plus notre solidarité. Il n’y a pas d’ordre international si on laisse le plus fort envahir celui qui est le plus fragile et ne pas respecter les frontières; la 3e c’est que la Russie est ce qu’on appelle un État doté : il a l’arme nucléaire. Nous l’avons aussi ce qui est une force, une protection.» Et précise encore: «On a une doctrine: la dissuasion fonctionne mais ensuite moins on en parle, moins on agite la menace, plus on est crédible.»
Une responsabilité historique de la part de la Russie
La France est membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, la journaliste de France 2 demande alors au Président : «Est-ce qu’une frappe tactique de la Russie serait considéré par la France comme une attaque nucléaire?» La réponse prête à bien des commentaires : «La France a une doctrine qui repose sur les intérêts fondamentaux de la Nation et ils sont définis de manière très claire. Et donc ce n’est pas du tout ça qui serait en cause s’il y avait une attaque balistique nucléaire en Ukraine ou dans la Région. Mais ce serait une responsabilité historique de la part de la Russie.» Ce que l’on doit faire, poursuit-il, c’est que «ce conflit ne s’étende ni géographiquement ni évidemment au reste de l’Europe; ni ne s’étende verticalement par l’emploi d’armes chimique ou nucléaire qui en changerait la nature».
La guerre hybride
Le président de la République a évoqué une «guerre hybride». Caroline Roux est revenue sur plusieurs sabotages qui ont été perpétrés : celui des gazoducs Nord Stream 1 et 2, des câbles sectionnés en Allemagne qui ont provoqué une panne massive sur le réseau ferroviaire et une fuite qui a endommagé un oléoduc qui relie la Russie à la Pologne et l’Allemagne. Emmanuel Macron explique: «Nous sommes dans une guerre hybride, cela veut dire que l’on n’utilise pas simplement des armes et la guerre sur le sol mais que l’on utilise l’arme informationnelle. La Russie le fait en utilisant de la propagande sur les réseaux sociaux, chaînes de propagande que nous avons coupées sur notre sol mais qui continuent encore à trouver des voies pour émettre en payant Spoutnik… ou encore en utilisant l’arme migratoire, le chantage énergétique, l’arme alimentaire, et des attaques sur des éléments de vulnérabilité.»
Pour Emmanuel Macron, la leçon à tirer «à la fois de cette guerre et ce que nous avons vécu avec la crise du Covid et du nouvel ordre de ce monde en crise, c’est un monde où nous devons bâtir d’avantage notre indépendance et où nous devons corriger nos vulnérabilités.»
Vladimir Poutine
Emmanuel Macron avoue avoir été en contact avec Vladimir Poutine: «Il y a quelques semaines pour permettre de protéger la centrale de Zaporijia qui se trouve dans la zone de conflits. Depuis le début la France s’engage pour éviter que cette guerre ne se double d’une guerre nucléaire civile. Les Russes mettent en danger la sûreté de cette centrale en empêchant les personnes qui y travaillent de s’y rendre et en coupant certaines alimentations avec le risque qu’un incident nucléaire grave se produise et contamine les personne qui y vivent et toute la région. Il faut hiérarchiser les choses. Nous avons obtenu cette mission de l’agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) des gens sont à l’intérieur».
Un dialogue nécessaire
Le président de la République estime que ce dialogue reste nécessaire dans l’espoir d’un retour de la paix. «A un moment donné, j’espère le plus tôt possible, il faudra que toutes les parties prenantes reviennent à une table de discussions», estime Emmanuel Macron. Des négociations exclues par la Russie, mais aussi par l’Ukraine. «Négocier, ça ne veut pas dire renoncer», a lancé le chef de l’État à l’adresse des Ukrainiens, fixant comme objectif «le respect de l’intégrité territoriale de l’Ukraine». Il a souligné que Kiev souhaitait retrouver «les frontières de 1991», incluant l’intégralité du Donbass et la Crimée, et pas simplement un retour à la situation à la veille de l’invasion du mois de février.
Un soutien aux manifestants en Iran
Toujours concernant l’international, Emmanuel Macron est revenu sur les mouvements de contestation qui touche l’Iran et la répression subie par les manifestants. «De manière très claire, la France condamne les répressions aujourd’hui menées par le régime iranien et nous nous tenons aux côtés de ces femmes» qui manifestent depuis septembre après la mort de la jeune Mahsa Amini, a affirmé Emmanuel Macron. Il a déclaré son «admiration pour ces femmes, pour ces jeunes parce que ce sont les femmes qui ont commencé avec courage à tomber le voile et à aller devant les armes». La France ne peut pas intervenir en leur faveur, indique-t-il mais «aujourd’hui, ce qui se passe en Iran, il faut le défendre, le dire, le soutenir. Nous ne pouvons pas nous y substituer.»
Ne pas lâcher» l’Arménie
Emmanuel Macron a également été interrogé sur les nouveaux affrontements meurtriers, en septembre, à la frontière entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. «Nous ne lâcherons pas les Arméniennes et les Arméniens», a-t-il assuré, se félicitant d’avoir participé à des négociations entre les dirigeants des deux pays à Prague. Il a accusé la Russie, dont les soldats déployés sur place n’ont rien empêché, d’œuvrer contre l’Arménie : «Elle a manifestement joué le jeu de l’Azerbaïdjan, avec une complicité turque», estime le chef de l’État. «Ce qui se passe là, c’est une manœuvre de déstabilisation de la Russie qui, dans le Caucase, cherche à créer le désordre pour tous nous affaiblir et nous diviser». Le fait que plusieurs pays de l’UE achètent du gaz à l’Azerbaïdjan ne change rien au soutien apporté à l’Arménie, a assuré Emmanuel Macron : «Nos valeurs, nos principes, ne s’achètent pas ni à coups de gaz, ni à coups de pétrole».
Carburants: retour à la normale «dans le courant» de la semaine prochaine
Le président de la République ne pouvait pas éluder la question sur les blocages de raffineries en France qui empêchent l’approvisionnement de bon nombre de stations-service depuis quelques jours. Face à cette pénurie de carburants, le chef de l’État lance un appel à la «responsabilité» des syndicats et des entreprises.
Les stations-service pourront à nouveau répondre à la demande de carburants «dans le courant de la semaine qui vient», a estimé Emmanuel Macron, au lendemain de l’annonce par le gouvernement de la réquisition d’employés pour rouvrir certains dépôts bloqués par une grève. Il dit avoir «une pensée pour l’ensemble de nos compatriotes qui font des queues au milieu de la nuit pour trouver de l’essence».
Emmanuel macron a critiqué l’attitude des syndicats à l’origine du mouvement social. «Que la CGT permette au pays de fonctionner», a-t-il répondu à l’annonce du dépôt par cette dernière d’un recours en justice contre les réquisitions. «Je suis pour la négociation, pas pour le blocage.»
Emmanuel Macron a lancé «un appel à la responsabilité» à la fois «aux salariés et aux syndicats qui les représentent» mais aussi «aux dirigeants de ces entreprises», dont il a rappelé qu’elles avaient fait des profits très élevés à la faveur de la crise énergétique. «On n’arrive pas à ces situations quand il n’y a qu’un côté. C’est important que la direction se remette autour de la table», tout comme les syndicats.
Patricia MAILLÉ-CAIRE