Christian Jean, délégué général de l’aumônerie musulmane de France, était présent lors de l’appel du Crif Marseille-Provence pour lutter contre l’antisémitisme. Lorsqu’il a vu les élus du Rassemblement national sur les marches du palais de justice au milieu de tous les politiques, il s’est mis sur le côté. « On ne peut pas tout mélanger ».
« Le loup perd le poil mais il ne perd pas le vice », Christian Jean utilise une métaphore, qu’il a contée à Renaud Muselier lors de la mobilisation. Pas besoin d’une longue explication. Le FN qui s’est mué en RN n’a pas fondamentalement changé selon lui. « L’extrême droite est génétiquement antisémite depuis sa création », cingle-t-il. « Je ne mets pas sur le même plan des gens qui ont tué des Juifs, des Tziganes et l’extrême gauche qui, sous couvert d’humanisme, tient des propos déplacés. Je suis choqué que Serge Klarsfeld (le chasseur de nazis), appelle à voter RN plutôt que le Nouveau front populaire. Il devrait se rappeler que c’est la compromission des industriels juifs de la Sarre qui a en partie entraîné l’accès d’Hitler au pouvoir ».
« La République est devenue une chose privée »
Ces choses dites, Christian Jean essaie d’analyser le regain de racisme en France. Selon le dernier rapport annuel de la commission nationale consultative des droits de l’homme, pour 51 % de Français « on ne se sent plus chez soi en France », 56% estiment qu’il y a trop d’immigrés en France et 23 % que les enfants d’immigrés nés en France ne sont pas vraiment Français. Des chiffres qui ont bondi en un an. Pour le délégué général cela s’explique : « La République est devenue une chose privée. On a une somme de minorités juxtaposées qui font loi. Cette vision minoritariste qui s’impose en France mine l’universalisme de la République. On ne supporte plus celui qui est différent. On ne réfléchit plus, on est dans l’émotion permanente. Ceux qui ne sont pas de votre côté, de votre communauté de pensée sont des salauds ». Cette chute de la tolérance à l’égard des musulmans touche aussi les juifs. 42% des Français jugent que les Français juifs sont plus attachés à Israël qu’à la France.
On est toujours l’immigré de l’autre
Le 13e arrondissement de Marseille est, selon Christian Jean, l’exemple type des tensions qui coexistent. « On a un vote de gauche, un vote social des immigrés lié à la pauvreté et à l’acquisition de droits et un vote d’extrême droite souvent le fait de citoyens de la 2e ou 3e générations qui ne veulent plus que les problèmes inhérents à l’immigration rejaillissent sur eux ». On est en quelque sorte toujours l’immigré du voisin.
Pulsion identitaire
Le RN s’est emparé de cette pulsion identitaire. «La société française est de plus en plus radicale, elle n’a plus d’objectif commun. Nous sommes arrivés à un moment catastrophique où plus personne n’agit en République. Où plus personne ne règle les problèmes des gens », note Christian Jean. «L’offre nationaliste vient proposer une « enclosure », une protection contre tout ce qui s’apparente à une agression. Dans un monde hostile et complexe la doxa nationaliste offre un cadre rassurant. Aussi les pétitions, les manifestations pour dénoncer le programme xénophobe et discriminatoire du Rassemblement ne changent rien. La pulsion identitaire n’obéit à rien de rationnel. Elle est basée sur l’émotion, très difficile à contrer. Ceux qui comptaient sur les débats pour discréditer Jordan Bardella en ont été pour leurs frais. »
Détestation de l’autre
Pour Christian Jean « la détestation de l’autre est liée au refus de sa propre misérable existence liée au pouvoir d’achat, à la jalousie de l’autre. On baigne dans un monde où la distinction entre le bien et le mal n’existe plus. Où il n’y a plus de vérité. Où la violence est légitime. Quand s’ajoute une laïcité d’exclusion et non de rassemblement et une libération de la parole et des thèses racistes sans contre discours, on arrive à cette acmé ».
On n’a pas le droit d’abandonner
Christian jean estime que la France vit dans une sorte de torpeur, « mais elle va se réveiller. Le pays est contestataire mais pas foncièrement raciste ». Les sondages disent le contraire mais il pense que ce ne sera que « passager». « On n’a pas le droit d’abandonner. Il faut redonner du sens, de la confiance, montrer comment on fait nation. En France on bâtit tout sur le mythe de la victoire. On ne mène pas d’expériences hardies car en cas d’échec il faudrait le reconnaître, en tirer un bilan. Alors on ne va pas au bout, on créé des commissions et on enterre les projets. Personne n’arrive plus à modifier la société faute de vision à long terme. Cela explique cette colère ».
« La seule immigration qui n’a pas évolué »
« Le musulman a une capacité d’autoflagellation et de suicide collectif impressionnante. L’immigration musulmane est la seule qui, depuis un demi-siècle, n’a pas évolué, n’a pas eu de progrès social. Elle est restée dans des ghettos. Il n’y a pas eu d’hybridation », constate Christian Jean. « Cette population est restée dans son statut de précarité. Elle n’a pas eu d’intégration sociale et citoyenne car elle n’a pas eu d’intégration économique. Le regroupement familial est arrivé en pleine crise avec un chômage de masse. Faute d’identité sociale, économique voire politique, les populations immigrées se sont forgées une identité religieuse qui a connu un développement dans les années 80 avec le wahabisme et la multiplication des chaînes satellitaires».
Une nécessité de reconnaissance
Parallèlement à cette non intégration économique et sociale, il y a aussi les stigmates de l’immigré qui pèsent selon Christian Jean. « Quand on a une communauté qui n’a pas fait d’effort pour x raisons. Quand on vous dit que vous n’êtes pas vraiment Français à longueur de journée. Qu’à diplôme égal vous avez quatre fois moins de chance d’obtenir un poste. Qu’au bout de 4 générations on vous demande encore de quelle origine vous êtes, cela n’incite pas à avoir les réactions les plus ouvertes et les plus proactives. Un simple exemple, comment reconnaît-on les quartiers sud, des quartiers Nord. Dans les premiers les terrains de foot c’est de la pelouse, au Nord de la terre battue. Ça en dit long. Commençons par de la reconnaissance et on évitera la colère ».
Créer des aumôniers scolaires musulmans
S’il intervient dans les entreprises et les collectivités pour la gestion du fait religieux, Christian Jean veut surtout sauver les jeunes. C’est la mission qu’il s’est définie. « Il faut qu’on mette en place des aumôniers scolaires musulmans pour servir d’interface entre les familles et l’école. Il y en a plus de 1 600 chez les catholiques. Aucun chez les musulmans. Il y a une inculture en matière de religion. Les jeunes s’informent uniquement sur Tik Tok . Résultat certains estiment que la charia est supérieure aux lois de la République. Les jeunes sont formidables seulement il faut les guider pour éviter les dérives ».
Propos recueillis par Joël BARCY