Publié le 28 juillet 2020 à 10h56 - Dernière mise à jour le 31 octobre 2022 à 11h52
Après avoir relancé la marque «Tann’s », entre 2007 et 2015, l’entrepreneur marseillais Fabrice Raffo a lancé, depuis un an, une nouvelle marque dans le secteur des cartables pour les enfants. Son nom : «Pol Fox», qui entend devenir une référence au niveau régional et national, grâce à un produit « milieu de gamme en termes de prix, haut de gamme en qualité.» Le chef d’entreprise explique pourquoi ce choix d’un nom anglais ? : «Il y a toujours une efficacité marketing de cette langue, avec ces noms courts qui racontent quelque chose, comme avec les super héros. On a choisi un petit renard, qui s’appelle Pol, comme le grand oncle de mon épouse !» Il nous explique pourquoi l’achat du cartable n’a toujours pas l’importance qu’il devrait avoir, et lance déjà la rentrée scolaire une trouvaille « réversible » qui devrait très vite faire parler d’elle. Entretien.
Destimed: Vous vous êtes lancé dans le monde entrepreneurial en reprenant la licence de la marque «Tann’s», que reste-t-il de l’aventure ?
Fabrice Raffo: J’ai repris la marque avec mon associé en 2007, et ce fut une aventure incroyable ! Je suis alors devenu entrepreneur, étant salarié auparavant. C’était une marque de cœur pour moi, et cela a très bien marché. J’ai pu apprendre comment gérer une entreprise, ses secteurs clés, comment faire des cartables, positionner ou repositionner une marque… mais, je n’avais pas appris comment en créer une. En termes marketing, vous ne créez pas une marque comme vous en relancez une. J’ai pu me faire une idée précise du secteur de la bagagerie scolaire en France, dans le monde, sur les créneaux manquants sur le marché. J’ai toujours aimé voir ce qu’il se passe ailleurs. Mon associé étant lui concentré sur les ventes. Quand nous avons revendu Tann’s, en 2015, nous n’avons pas refait du cartable tout de suite, pour repartir sur une aventure de sacs à dos, pas très éloigné. Nous avons créé la marque Kuts. Et, l’année dernière, nous avons eu envie de refaire du cartable. Son modèle économique nous plaît. Travailler sur une saisonnalité forte, c’est très risqué, mais en même temps vous avez des commandes qui sont prises par les vendeurs, donc le business modèle est facile à appréhender, surtout en lancement de marque.
Comment expliquez-vous le succès connu par «Tann’s» dans le domaine de la bagagerie scolaire ?
Derrière Tann’s, il y avait Le Tanneur. Cette grande entreprise dans la bagagerie avait décidé de faire le cuir des petits, car il n’y avait à l’époque que de la toile ou du synthétique pour aller à l’école. Le Tanneur avait décidé de miser sur du produit cuir, c’était du petit Le Tanneur pour les enfants. Ils avaient contracté le nom et c’était devenu : Tann’s. L’image de la marque a été très franco-française, mais le produit a très vite été fabriqué à l’étranger. C’est un cartable, comme tous les vrais cartables, très complexe à fabriquer car il y a plus d’une centaine d’opérations humaines différentes, très difficilement robotisables, avec une part de la main d’œuvre qui reste très importante, et difficilement contractable. Dès 1983-84, Tann’s a d’ailleurs été fabriqué à l’étranger, mais toujours avec un design français. Pour notre marque, Pol Fox, on a gardé cela. En 2006, avec mon associé : Benjamin Prades, un ami rencontré à Grenoble en études de commerce, on a eu cette idée de relancer Tann’s, en reprenant la licence d’exploitation.
Vous aviez aussi récupéré avec «Tann’s» une marque très connue sur le plan publicitaire ?
La fameuse musique de leur pub télé: «T’as ton Tann’s» était très bien faite dans les années 80, pour marquer des générations. Avec les budgets télé qui se sont envolés depuis, on ne peut plus penser à aller dans cette voie. Tout le monde nous disait de repartir en grande distribution, mais on a toujours voulu vendre dans un réseau sélectif. Nous avons eu la chance que ceux qui avait un Tann’s dans les années 80 étaient devenus en âge d’être parents d’enfants qui rentraient en primaire dans les années 2010. Ils arrivaient chez leurs maroquiniers, papetiers, Monoprix, Cultura, la Fnac… et retrouvaient des Tann’s. Le côté madeleine de Proust a joué, il n’y a pas eu besoin de refaire la pub des années 80. On avait parié sur un projet revival, vintage, et ça a marché.
Quels sont les enseignements principaux tirés de cette expérience que vous avez pu tout de suite réinvestir pour la création de votre marque ?
Nous avons surtout appris à nous situer et de quelle meilleure manière rentrer sur un marché avec un produit haut de gamme, avec un réseau de distribution sélectif. On s’est rendu compte que la grande distribution faisait du bas et milieu de gammes en termes de qualité. Alors que les maroquiniers et détaillants font du haut de gamme, à des prix plus ou moins accessibles. On a compris que ce n’était pas possible d’aller avec du haut de gamme en grande distribution, le prix y étant trop élevé pour les parents. On a identifié un secteur milieu de gamme +, avec un prix raisonnable. Le challenge est de garder un haut niveau de qualité, c’est sur ce créneau que nous positionnons Pol Fox.
Comment pourriez-vous justement présenter ce haut niveau de qualité pour un cartable d’enfant ?
Il faut préciser qu’il y a la qualité perçue et la qualité réelle sur un produit. Nous avons décidé de mettre le paquet sur la qualité réelle du produit, celle qui ne se voit pas en termes marketing. On se fichait un peu de la qualité reçue, dans le sens où on s’est dit que cela allait être les parents des enfants qui allaient signifier que notre produit était de qualité. Depuis un an, ils disent que le produit tient remarquablement bien le choc. On a donc voulu parier sur nos clients pour faire connaître notre produit. Il faut savoir que le cartable est le produit qui est le plus sollicité chez les enfants, avec le manteau. Il faut un bon niveau de qualité, sinon, il peut durer seulement 3 ou 4 mois ! Avec nous, les parents ont compris d’entrée qu’il fallait mettre un certain prix pour que cela tienne la route. Pour d’autres, il est souvent nécessaire de racheter un deuxième cartable dès décembre. Mais on ne trouve plus de cartables à la vente dans la grande distribution en décembre ! Ils sont vendus de juillet à septembre, puis sont remplacés par d’autres produits.
Pouvez-vous nous décrire le marché actuel du cartable en France ?
Il y a énormément de monde sur le marché, mais pas beaucoup de marques. La seule véritable marque qui existait, avant notre arrivée, est Tann’s. Une bonne partie des concurrents vient du textile, et dans ce cas le cartable est un accessoire. La majeure partie de l’offre provient de licences de dessins animés ou de films, avec une qualité très souvent amoindrie. Car l’argent que vous allez mettre dans les royalties à devoir payer pour Disney ou Pixar, vous ne pourrez donc pas le mettre dans la qualité du produit. C’est un marché très fourni, très divers, où il n’est pas facile de se positionner comme une vraie marque de bagagerie. On a aussi voulu insister sur plusieurs points : la qualité, différente de celle perçue. L’ergonomie, avec des renforts au niveau du dos aux bons endroits, des mousses au niveau des bretelles toujours aux bons endroits. Avec une manière de l’ouvrir la plus efficace possible. On a décidé d’être au top, sur tous ces aspects.
Qu’en est-il du poids, des autres particularités générales pour un tel produit qui font sa qualité finale ?
Le poids est très important, on a travaillé des renforts pour alléger les produits. Les cartables de 38 cm sont la bonne taille quand les enfants rentrent en CP-CE1. Il fait 600 grammes, est donc très léger. Mais il doit être très costaud ! Sur le côté économique, on ne voulait pas un produit bas de gamme. On est très bien positionné, à 40 € sur un 38 cm, quand les produits haut de gamme font le double, entre 70 et 80 €, et les produits de grandes surfaces sont aux alentours de 20-30 €. On se situe entre les deux, avec la qualité d’un produit haut de gamme. Avec une longue durée de vie, qui est de deux ans, maximum, en moyenne. Un cartable est vite usé, et l’enfant a envie de se faire plaisir avec autre chose, rapidement. La morphologie de l’enfant change, aussi. Le cartable doit s’y adapter. Et l’enfant évolue vraiment en deux ans. C’est pourquoi on part sur un cartable de 35 cm pour les moyennes et grandes sections. Le 38 cm fait les CP-CE1, le 41 cm les CE2-CM1.
Comment vos cartables sont-ils testés avant d’apparaître sur le marché ?
Nous testons les prototypes un an avant de lancer les modèles, et ils sont testés par les enfants. Les miens et ceux de ma famille sont très sollicités ! On a aussi pu bénéficier de l’expérience et du recul avec notre ancienne marque. Nos cartables sont conformes à la norme NF et CE. Il y a une résistance à avoir obligatoire pour la poignée, les bretelles, avec 20 kilos de résistance. On a décidé de faire tester tous les matériaux, toutes les coutures, dans des laboratoires. Sur le dessous du cartable, on a choisi de mettre une matière plus coûteuse, mais très costaud : le basket-ball PVC, qu’on retrouve sur les ballons de basket. Vous pouvez la racler par terre, cela mettra un bon bout de temps pour s’user, comme un ballon de basket. Nos matières sont également sans phtalates : des substances pouvant être très nocives. On fait passer les tests à chacun de nos éléments, il est hors de question que nos produits causent des problèmes d’allergies aux enfants. Maintenant, rares sont ceux qui nous demandent toutes ces régularités à devoir respecter…
Comment pouvoir et savoir attirer parents et enfants dans votre secteur ?
Le plus important est que les parents s’emparent du produit. Comme cela avait été le cas pour Tann’s. Pour cela, il faut que le réseau de distribution sache vendre la qualité pour les rassurer. Et il faut miser sur le réseau des maroquiniers, papetiers, détaillants, et sur de grandes enseignes comme Monoprix, Cultura, Sarenza, Spartoo… Avec Pol Fox, nous avons dû davantage travailler le design, pour que les enfants viennent à nous, car on partait d’une feuille blanche. Mais, du même coup, on a pu faire des produits très fun, pour leur donner envie. On n’a pas fait du bling bling. Notre designeuse, Charlotte de Pélissot, est Marseillaise, habite comme moi dans le 12e arrondissement. On a misé avec elle sur ce côté fun, sans que cela soit un produit de type licence. Le critère économique a été compris par les parents. Et les dinosaures, licornes, sur nos cartables, attirent les enfants. Notre mix-produit réside dans cet équilibre-là. Nos protections aux angles ont une efficacité redoutable. Nous avons des réfléchissants sur les 4 côtés. Des poches extérieures pour pouvoir mettre une gourde, du gel hydroalcoolique. Et il existe très peu de sacs qui permettent de mettre une gourde pour aller à l’école ! Dans le même temps, pourtant, il y a, aujourd’hui, de gros problèmes de déshydratation chez les enfants à l’école…
Votre produit a-t-il une particularité qui se détache des autres cartables sur le marché ?
Quand vous vous décidez de lancer une nouvelle marque, il y a l’idée de créer en même temps une chose qui va faire parler de la marque. On a misé sur le côté réversible du cartable. Actuellement, le deux-en-un a le vent en poupe. Comme il est difficile de faire du personnalisable dans notre domaine, nous avons décidé de faire un rabat réversible, sous la forme de deux rabats interchangeables, grâce à un système de double scratch. Le rabat du cartable est composé de deux faces qui se changent, cela n’avait jamais été fait sur un cartable. Cela fait deux cartables complètement différents, et donne l’impression d’en avoir deux ! On le propose sur deux collections. Car le modèle entraîne un surcoût à l’achat de 5 €, soit 39,90 €. Et 5 €, c’est presque le prix de la trousse que nous proposons. Dans l’esprit, le modèle peut faire le CP-CE1 et peut durer deux ans. On a voulu des looks très fun, avec des petits dinosaures, le thème de l’espace, des champions de foot, de l’esprit surf. Avec des trousses qui accompagnent nos 3 tailles de cartables : 35-38-41 cm.
Pour parler de votre réseau de distribution, lequel privilégiez-vous ?
Nous avons eu un rendez-vous avec Monoprix, il y a un mois. Eux savent vraiment vendre de la qualité, on les voudrait. On fait partie de leur short-list pour la rentrée prochaine. Leurs magasins exposent dès juin les cartables dans les rayons, et certains partent très vite. Les parents qui s’y déplacent savent qu’il faut mettre un certain prix. Alors que d’autres privilégient la licence, plus vendeuse. On aimerait aussi être chez Cultura. On est dans l’attente d’un rendez-vous. Le gros de notre clientèle se compose des maroquiniers et détaillants. Des métiers qui sont devenus difficiles, mais ceux qui restent sont ceux qui savent apporter du conseil. Nous avons 200 points de vente en France pour nous distribuer. Sur le site : pol-fox.fr, s’affiche la liste complète dans la rubrique des points de vente. Nous avons aussi les sites marchands, à l’image de : mesbagages, Sarenza, Spartoo, Edisac… Il faut avoir les deux réseaux : des magasins et de la vente en ligne. Il est important d’être multicanal. Les parents dénichent de plus en plus des cartables sur Internet, puis vont les voir en vrai. Enfin nous n’avions pas prévu de faire un site internet marchand dès cette année, mais, avec la Covid, on s’est décidés, et les ventes y sont bonnes.
Vous fabriquez vos produits à l’étranger, pourquoi ne pas faire du «made in France» ?
C’est un type de produit qui est très compliqué à fabriquer en France. Car il nécessite trop d’étapes, trop de main d’œuvre. J’en avais parlé avec le directeur de la marque : «le Slip français» à Marseille. Il m’avait dit que mon produit n’était pas fabricable en France, tout de suite, pour ces raisons, étant un assemblage de produits semi-finis. Alors qu’un slip, c’est du maillage, et pour un jean, il y a peu de coutures, ce peut donc être possible de faire du made in France. Pas simple, mais possible ! Quand vous fabriquez en France, vous sacrifiez un des éléments de la chaîne de valeurs, et c’est notamment la distribution. Pour comprendre : quand vous faites un slip made in France, il ne pourra pas se distribuer chez un détaillant multi marques, car sinon vous ne pourrez pas lui donner de la rentabilité. Dans ce cas, vous privilégiez dans la chaîne de valeurs la fabrication à la distribution. Pour notre cas, on pourrait faire du Pol Fox 100 % fabriqué en France, mais 100 % sur internet pour cela. Et si vous enlevez la rentrée des classes aux maroquiniers, vous faites perdre à cette profession au minimum 15 % à 20 % de son chiffre d’affaires annuel. Les maroquiniers sont assez fragilisés comme cela. C’est un choix économique que nous assumons.
Pourquoi l’acte d’achat du cartable scolaire a toujours aussi peu d’importance sur le plan médiatique en France ?
Tout d’abord, dans l’achat des fournitures scolaires, il y a le côté très rationnel de la papeterie qui domine chez les parents. Avec, à côté, deux éléments coups de cœurs pour les enfants : l’agenda-cahier de texte et le cartable. Parents, vous laissez souvent choisir votre enfant pour ces deux objets, et c’est pourquoi le principe de la licence marche si bien. Vous allez du même coup moins regarder sur la qualité, mais sur ce qui va plaire aux enfants. Dans le même temps, les médias, la presse en général, ne font des articles et reportages sur le thème que le jour de la rentrée, ou quelques jours avant… quand c’est le marronnier. Personne n’en parle pas avant, comme de son importance, de ses spécificités. Alors qu’il faudrait en parler dès juin ! On ne creuse pas sur le produit. On a voulu de notre côté se poser toutes les bonnes questions, comme sur la solidité des coutures. On est sur la qualité réelle, pas perçue. On a décidé de beaucoup travailler sur l’invisible, peu sur le marketing, car on sait que cela va payer.
Propos recueillis par Bruno ANGELICA