Pour le sociologue Jean Viard, la région Sud est formée de 4 populations. En deux générations on est passés de 2 à 5 millions de personnes. « Les arrivants ont été plus nombreux que les gens qui sont là depuis longtemps d’où des problèmes d’identités que les politiques ont été incapables de prendre en compte ».
« On est des Provençaux… »
« Nous, on est Provençaux et on aime l’OM ». Le discours des présidents de Région ou de Département se résume souvent à cela selon Jean Viard. « Les grands élus pensent qu’en nommant l’authenticité de leur tragédie, ils sont légitimes à gouverner. Ils jouent sur un localisme archaïque qui ne correspond pas à la modernité et à la mutation du territoire. La mutation est perçue comme un envahissement car elle n’a pas été accompagnée ».
Complexité culturelle
Bien nommer les choses aide à la compréhension de la région. En deux générations la population de Provence-Alpes-Côte d’Azur a plus que doublé. « On est passés de 2 à 5 millions d’habitants », indique Jean Viard. « On a en fait 4 populations qui cohabitent sur un même territoire. Celles qui sont là depuis des générations, des principautés qui n’ont parfois pas vécues la Révolution ; les Pieds-noirs arrivés après les accords d’Évian ; une vague venue du Nord (près de 2 millions d’habitants) et une autre du Sud (un million de personnes), principalement du Maghreb. Les trois dernières populations sont supérieures en nombre à celles d’origine. Chacune se sent l’ennemie de l’autre et se replie sur elle-même entraînant les votes contestataires vers le Rassemblement national.»
L’exemple du Vaucluse
On ne le mesure pas en parcourant en touriste le Vaucluse et ses charmants villages pourtant le département a connu un triplement de la population dans la même période. Il compte près de 600 000 habitants alors qu’il n’en totalisait que 250 000 dans les années 50. Entre 2015 et 2021 le Vaucluse a intégré 1 200 personnes par an. « Le département a été envahi par des retraités venus du Nord et des immigrés arrivés du Sud de la Méditerranée », souligne Jean Viard qui précise: « On retrouve cette complexité culturelle dont je parlais. Des populations autochtones locales qui ont subi des crises économiques : le départ de l’armée à Apt, le déclin de Carpentras et qui sont confrontés à des retraités venus du Nord du pays avec un fort pouvoir d’achat et des populations immigrées issues du Maghreb. Personne ne trouve vraiment sa place sur le territoire. Les habitants s’ignorent mais se retrouvent sur un vote contestataire et glisse un bulletin RN dans l’urne ».
« Georges Frêche l’avait compris »
Pour Jean Viard, le seul qui ait vraiment pris en compte l’évolution de son territoire c’est le maire de Montpellier, Georges Frêche (décédé en 2010). « Il a construit un projet autour d’une ville nouvelle en prenant en compte la mémoire locale, les gens du Nord et la nouvelle économie touristique et scientifique. Cela a fonctionné. Il avait néanmoins oublié d’intégrer les populations immigrées arabes et il l’a payé par la suite ».
« Pas de leader en Paca»
Dans la Région on n’a pas de leader politique susceptible de montrer le chemin affirme Jean Viard. « Les Muselier, Vassal, Falco, Estrosi, ou encore Vauzelle, Gaudin en leur temps, n’ont jamais eu de discours de rassemblement. Ils n’ont pas montré le chemin. On a tout mis sous le boisseau plutôt que de tenir un discours pertinent sur les 4 communautés évoquées. Un peuple peut avoir diverses origines mais se retrouver sur un projet commun qui est de vivre ici et de réussir cette région. Il faut motiver les gens, leur raconter ce que l’on veut construire, quel futur on veut pour nos enfants. Là on laisse le discours identitaire fleurir. Résultat 30 députés RN sur 42 circonscriptions dans la région. Paca représente à elle seule, plus de 20% des députés de la nation.»
« Pas d’EPA autour d’ITER »
Le sociologue perçoit cette absence de vision dans travers l’exemple flagrant d’Iter à Cadarache. « On a là, le plus grand projet international de réacteur de recherche à fusion nucléaire. On a des milliers d’emplois sur le site. Il est à cheval sur 4 départements mais on a refusé d’intégrer Iter sur cet espace. On aurait dû créer un Établissement public d’aménagement (EPA) pour ériger une zone nouvelle avec habitations et commerces. Là tout l’espace est désorganisé, les gens s’entassent à Manosque et sont dans les bouchons chaque matin pour rejoindre Cadarache. Ce n’est pas comme cela qu’on invite les populations au vivre ensemble ».
Repli identitaire
Jean Viard interroge : « On me dit souvent tu n’es pas d’ici. Mais qui est le plus légitime. Moi qui ai 74 ans et suis arrivé à 3 mois dans la région ou un quadragénaire dont les parents sont Marseillais. J’estime avoir plus vécu que lui sur ce territoire. La légitimité n’est pas liée à la naissance. Si on prend ça en compte on pourra peut-être commencer à se regarder et se parler et ne pas glisser un bulletin dans l’espoir de rejeter l’autre. Je le redis tant que l’on ne tracera pas un chemin, qu’on n’aura pas un projet commun, des leaders politiques capables d’un dépassement, le repli identitaire perdurera voire s’amplifiera au gré des migrations ».
Propos recueillis Par Joël BARCY