Entretien avec Sophie Joissains, maire d’Aix-en-Provence, sur l’ambitieux plan vélo de la Ville

Aix-en-Provence a un plan de 3 millions d’euros- pour favoriser la pratique du vélo sur son territoire, qu’il soit classique ou électrique. Sophie Joissains, le maire d’Aix-en-Provence rappelle qu’il ne s’agit pas d’un effet de mode mais d’une pratique qui est bonne pour la santé, source d’économie pour l’utilisateur, et salvateur pour la planète. Entretien.

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Sophie Joissains, maire d’Aix-en-Provence © Destimed/RP

Destimed: Sophie Joissains, vous développez sur Aix-en-Provence un plan vélo, s’agit-il d’un véritable enjeu ou d’un effet de mode ?

Sophie Joissains: C’est tout sauf un effet de mode. Le vélo est redevenu un moyen de se déplacer plus qu’un simple loisir. Il peut nous éviter dans certains cas d’avoir recours à la voiture. De nombreux Aixois font aujourd’hui le choix du vélo. Économique, écologique, et bon pour la santé, le vélo ne manque pas d’atouts pour se faire une place en milieu urbain. Notre rôle en tant que collectivité est d’aménager les équipements qui permettent de sécuriser sa pratique afin d’accompagner son développement.

Quelques chiffres suffisent pour saisir les enjeux. Nos moyens de transports sont responsables à 31% des émissions de gaz à effet de serre à 80% des bruits émis dans l’environnement. La commune, en particulier le centre d’Aix-en-Provence, n’échappe pas à ce phénomène. Bien qu’une légère amélioration de la qualité de l’air aixois ait été mesurée, notre ville souffre d’une atmosphère de qualité moyenne dans les hauteurs, dégradée en centre-ville et très mauvaise à proximité des grands axes routiers. En Europe, l’excès de bruit est aujourd’hui considéré comme la principale nuisance environnementale. En France, 25 millions de personnes sont touchées, dont 9 millions soumis à des seuils critiques pour la santé. Des millions d’hectares d’espaces naturels sont affectés par les bruits liés aux activités humaines. On comprend donc qu’il est indispensable d’adopter de nouveaux comportements et de s’approprier de nouvelles habitudes de déplacement.

Concernant Aix, je rappelle que c’est en 2013 que la ville a élaboré et adopté son premier schéma directeur cyclable. Ce document pose les fondements du maillage cyclable envisagé à terme par la ville (réseaux primaire, secondaire, et tertiaire). Le présent Plan vélo reprend et complète les ambitions de ce premier schéma directeur. Le stationnement 250 stationnements pour les vélos, sécurisés et payants, équipés de point de gonflage et de petites réparations, ont été déployés dès 2021 par la Semepa au sein de 4 parkings publics : Rotonde, Pasteur, Carnot, et Rambot. Le coût de l’abonnement, en 2023, est à partir de 3 € par mois. Par ailleurs, un réseau d’abris vélos sécurisés situés à proximité immédiate des gares routières et des pôles d’échanges a été mis en place par la Métropole. Gratuits, ils sont accessibles sur présentation de la carte de transport. 11 « abrivélos » sont ainsi présents sur notre commune, par exemple au P+R Krypton et en gare routière.

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Fête du vélo © ville d’Aix-en-Provence

La zone piétonne d’Aix pourrait être augmentée

Le vélo est donc important, pour être pertinent ne doit-il pas s’inscrire dans une politique globale de mobilité ?

Effectivement, la piétonisation du centre-ville d’Aix-en-Provence, débutée dans les années 1970/1980, est la première étape d’un long processus d’apaisement de notre ville. Ces espaces réservés aux piétons, dans lesquels les cyclistes peuvent circuler au pas, sont aujourd’hui mondialement reconnus pour les bénéfices qu’ils apportent à la qualité de vie dans nos villes. A Aix-en-Provence, on estime que cette disposition évite le passage d’environ 25 000 véhicules par jour dans le centre historique. La zone piétonne d’Aix-en-Provence, d’une superficie de 4,5 Ha, occupe la quasi-totalité des rues du centre-ville. A l’avenir, elle pourrait être augmentée d’environ 2 hectares supplémentaires. En complément de la zone piétonne, une douzaine de kilomètres, répartis entre les trois places, le quartier Mazarin, la Duranne et le centre de Puyricard, sont réglementés en zone de rencontre. La circulation y est limitée à 20km/h, bien que les véhicules motorisés y soient autorisés, piétons et cyclistes sont prioritaires.

Notre politique de mobilité douce a connu une accélération avec le lancement du plan vélo en 2020. Plusieurs dizaines de kilomètres de voies ont été aménagées pour les cyclistes. Parfois de grands axes, d’autres fois de petites portions de route permettant de supprimer une discontinuité. Notre objectif est,dans un premier temps, de relier le centre-ville d’Aix aux quartiers et villages. Nous y consacrons chaque année d’importants budgets, parfois avec l’aide des subventions de l’Europe sur cette thématique. Cela s’inscrit dans une politique globale de mobilité qui permet de combiner nos modes de déplacements. Cette politique a débuté avec l’aménagement des parc-relais autour de la ville, s’est poursuivie avec la piétonisation du centre historique d’Aix, et l’ouverture de la première ligne Aix’press 100 % électrique qui permet de traverser la ville en desservant les grands quartiers d’habitat, le centre-ville et le campus universitaire sur 7 kilomètres. Une autre ligne devrait prochainement relier le pôle d’activités d’Aix-les Milles. Une politique de mobilité efficace, s’appuie sur un maillage qui combine les modes de déplacements. Les usages ne sont pas opposés, ils se complètent. Et chaque Aixois doit pouvoir se déplacer selon ses besoins, en toute sécurité.

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Le 100e kilomètre ©ville d’Aix-en-Provence

Un budget d’investissement d’environ 3 millions d’euros

Un plan c’est important mais quel budget le soutient ?

Un budget d’investissement d’environ 3 millions d’euros et un budget de fonctionnement d’environ 90 000 € sont votés chaque année. Cet effort financier sera poursuivi jusqu’en 2026 et pourra faire l’objet d’un vote de Plan Pluriannuel d’Investissement (PPI) pour en garantir la pérennité. Les budgets décidés par le Conseil municipal pourront également être renforcés au cours de l’année en fonction des besoins et des disponibilités financières communales. Cet ambitieux plan de financement prend en compte les besoins inhérents au développement des équipements et infrastructures cyclables et de la signalétique, mais également l’entretien, les campagnes de communication et les événements.

Le vélo c’est bien, mais certains quartiers et villages sont relativement éloignés et on ne peut ignorer des dénivelés qui peuvent en refroidir plus d’un. Quelle réponse apportez-vous à cela ?

La réponse existe, elle s’appelle Vélo à Assistance Électrique (VAE). Développé à grande échelle depuis les années 2000, il connaît une croissance considérable et séduit une clientèle complémentaire à celle du vélo classique. Bien qu’il soit toujours nécessaire de pédaler pour avancer, ces dernières générations de vélos, limités à 25 km/h, permettent de réaliser de plus grands parcours en moins de temps et moins d’efforts. A Aix-en-Provence, par exemple, avec ce type de vélo, la très redoutée côte de l’Avenue Philippe Solari avec ses 150 mètres de dénivelé sur 2 kilomètres, devient plus accessible à tous les cyclistes. Puyricard, Luynes, la Duranne, la zone d’activités des Milles comme Les Platanes, l’Arena du Pays d’Aix, le Z5 ou encore le 6MIC sont aujourd’hui à portée de pédales pour chacun d’entre nous.

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©ville d’Aix-en-Provence

Quelles seront, selon vous, les mobilités dans les villes de demain ?

La ville de demain devra être ouverte à tous les usagers et tous les usages. Chacun doit pouvoir être libre de se déplacer comme il l’entend. Les aménagements et adaptations des rues et des routes doivent permettre une circulation apaisée selon les besoins de chacun en réapprenant à partager les espaces de circulation avec les autres usagers, qu’ils soient piétons, cyclistes, mototcyclistes, automobilistes, conducteurs de bus ou de camion.

Dans ce cadre nous allons généraliser les cédez-le-passage pour les cyclistes aux feux tricolores (dits « panneaux M12 »). Ils autorisent un ou plusieurs mouvements directionnels pour les cyclistes dans les carrefours à feux, lorsque le feu est au rouge pour les véhicules. L’avantage est la sécurisation du déplacement des vélos en dissociant leur démarrage de celui des véhicules, cela permet de fluidifier leur circulation. L’objectif est de permettre à tous les usagers de partager la route. Ces panneaux sont installés progressivement sur tous les carrefours à feux de la commune qui offrent des conditions de sécurité et de visibilité suffisantes pour autoriser ces mouvements. Nous généralisons aussi les sas vélo qui autorise les cyclistes à s’arrêter devant les autres véhicules immobilisés au feu rouge. Il leur permet ainsi d’être plus visibles des automobilistes, leur sert pour tourner à gauche en toute sécurité et démarrer au feu vert dans de meilleures conditions. C’est un espace strictement réservé aux cyclistes, situé entre le feu tricolore et la ligne pointillée devant laquelle doivent s’arrêter les voitures. Il s’agit d’un aménagement cyclable que l’on reconnaît à ses deux lignes pointillées blanches entre lesquelles se trouve un logo vélo

Au-delà de la pratique du vélo sur le territoire de la municipalité y-a-t-il une réflexion pour favoriser le cyclotourisme ?

La ville soutient la mise en œuvre de la Véloroute 64, dite « V64 », sur son territoire. Ce futur itinéraire cyclable touristique d’intérêt national a vocation à relier Marseille à Grenoble en passant par notre commune. La véloroute privilégie des aménagements de type piste cyclable, voie verte ou route à faible circulation. Le tracé précis de la V64 est en cours de définition, en concertation avec les communes avoisinantes, la Métropole, le Département, et la Région. Par la suite, un jalonnement de l’itinéraire sera mis en place avec une signalétique repérable, voire un balisage spécifique commun à l’ensemble de la véloroute.

Propos recueillis par Michel CAIRE

Un enjeu de santé publique

Santé Publique France estime qu’annuellement en France, 48 000 décès sont directement liés aux émissions de particules fines dans l’atmosphère. Les particules fines sont identifiées pour leur effets nocifs sur l’apparition de l’asthme et de pathologies cardio-vasculaires. Contrairement à une automobile thermique, l’usage d’un vélo n’émet pas de gaz à effet de serre, et est même bénéfique pour la santé de ses utilisateurs. Les personnes utilisant régulièrement un vélo pour se rendre sur leur lieu de travail réduisent de près de 50% les risques de cancers ou d’accident cardiaque, par rapport à ceux n’utilisant que leur voiture. L’utilisation d’un vélo expose moins à la pollution atmosphérique que de se déplacer en voiture. De plus, les personnes utilisant régulièrement un vélo pour se rendre sur leurs lieux de travail réduisent de près de 50% les risques de cancers ou d’accident cardiaque par rapport à ceux d’entre nous qui n’utilisent que leurs voitures pour cela. De plus, pédaler rend heureux. Faire du vélo permet de libérer des endorphines (appelées aussi «hormones du bonheur», qui diminuent le stress et la douleur) et de la dopamine (hormone du plaisir). Malgré ça, en France en 2020, nous étions 21% à utiliser exclusivement nos voitures pour nous rendre sur notre lieu de travail pourtant situé en moyenne à moins de 7 km de notre domicile, soit l’équivalent d’un trajet de moins de 30 minutes à vélo.

Un choix économique

En plus de présenter de nombreux avantages pour la santé et pour le climat, le vélo est aussi économique. Il est le transport mécanisé le plus abordable. Selon l’Agence de l’Environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), à l’année, le coût d’une voiture particulière s’élève à 6 000 euros en moyenne, soit 500 euros par mois. Le coût d’une voiture est plus de 10 fois supérieur à celui de l’utilisation des transports en commun, qui s’élève en moyenne en France à 40 euros par mois. A l’achat, en 2022, un vélo neuf coûte en moyenne en France 900 euros (tous modèles confondus), 2 000 euros pour un vélo électrique. A l’utilisation, le vélo est également bien sûr moins cher qu’une voiture. Pour un trajet de 10km par jour, on estime le coût des dépenses à environ 100 euros par an pour un vélo, 1 000 pour une voiture.

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