Publié le 5 janvier 2022 à 7h30 - Dernière mise à jour le 4 novembre 2022 à 11h35
Yves Delafon est Président du réseau Africalink – Cofondateur et administrateur du Groupe Banque pour le Commerce et l’Industrie (BCI). Il évoque l’urgence d’établir de nouveaux liens avec l’Afrique, un continent dans lequel il voit «le prochain moteur du développement économique mondial». Entretien.
Destimed: Comment peut-on échanger avec l’Afrique en cette année 2022?
Yves Delafon: Il faut d’abord savoir que l’Afrique n’a pas besoin de nous, c’est nous qui avons besoin d’elle, et cela en bien des manières, pour répondre, ensemble, notamment aux enjeux auxquels nous sommes confrontés dont en premier lieu le réchauffement climatique. Le continent africain est le prochain moteur du développement économique mondial. Le chemin n’est pas toujours simple mais son émergence permet de reconstruire un avenir commun entre l’Afrique et nous Européens, Français et bien sûr, habitants de ce territoire. Mais attention, il y a urgence, l’Afrique a plusieurs soupirants : les États-Unis, la Chine, l’Inde, la Turquie… alors que nous, nous n’avons qu’une seule Afrique.
«Le développement ne peut être qu’endogène»
Dans ce cadre, comment opérer ?
Il est plus que temps de regarder différemment nos relations avec l’Afrique. Il faut bien être conscient que l’on ne va pas aller apprendre à ce continent à se développer, le développement ne peut être qu’endogène. Nos partenaires du Sud ont les marchés, la connaissance et la maîtrise de ceux-ci, la culture, la résilience, la capacité d’entreprendre; c’est à dire 90% des clés de la réussite. Nous, nous avons une antériorité et des expertises -qui nous donnent une crédibilité et des réseaux- mais, surtout, nous disposons d’accès aux financements indispensables. Il ne pourra y avoir de développement durable sans un tissu dense et diversifié de PME. Les partenariats entre PME africaines et européennes sont le moyen, pour les uns d’accélérer leur croissance, pour les autres d’assurer leur développement et leur présence à long terme. Ceci nécessite une relation nouvelle, ouverte, curieuse, décomplexée, et une certaine…humilité.
«400 millions d’utilisateurs d’applications mobiles de paiements»
A propos de relation nouvelle, d’humilité, sommes-nous confrontés à des a priori?
Les idées reçues, les vieilles grilles de lecture ont la vie dure en France… Elles empêchent de voir les révolutions à l’œuvre sur le continent africain. Il suffit de se rendre sur place pour mesurer l’ampleur des changements, en particulier dans les secteurs des nouvelles technologies. Au Kenya plus de 80% de la population achète et vend à partir d’une application mobile, alors que moins de 20% disposent d’un compte bancaire. Le continent africain représente près de 50% des utilisateurs mondiaux de paiement mobile.
«combien notre individualisme est dangereux»
Nous devons être donc attentifs aux changements, apprendre de nouvelles pratiques, mais n’y a t-il que sur le plan économique que nous devons apprendre de l’Afrique?
Nous avons à apprendre de l’Afrique sur le plan humain. Les liens au sein de la famille, des communautés, sont profonds et intègrent chacun, en privilégiant l’ensemble à l’individu. Et nous avons pu constater lors de cette crise Covid l’importance de ces liens, et combien notre individualisme est dangereux, combien il nous isole et nous fragilise. Quelle leçon devons nous tirer de l’indignation profonde des Africains, et c’est une constante du continent, devant notre façon de considérer et de traiter la vieillesse ?
«Marseille, première ville africaine d’Europe, première ville européenne d’Afrique»
Quelle place peut tenir Marseille dans ces nouvelles relations auxquelles vous aspirez?
Marseille a des atouts à mettre en avant pour être le hub entre l’Europe et l’Afrique. C’est la première ville africaine d’Europe, la première ville européenne d’Afrique. Sa position géographique comme son histoire en font une terre d’accueil. La première ville de France a été créée par des Grecs venus d’Asie Mineure, sa population est largement cosmopolite. Cela devrait inviter certains à réfléchir. L’Afrique, je l’ai déjà dit, est une part essentielle de notre avenir. Elle prend enfin une trajectoire qui va lui permettre de prendre la place qui lui revient. Marseille est aussi en mutation profonde, après des décennies de somnolence organisée par des corporatismes, de tout ordre, qui ont tenu cette ville à l’écart de la France. Mais la sociologie de la ville bouge, de nouveaux acteurs apparaissent sur la scène économique comme politique qui comprennent la vocation du territoire. Et un président de la République qui reconnaît le passé et veut construire l’avenir dans un partenariat gagnant-gagnant avec l’Afrique. Depuis le sommet de Ouagadougou, en 2017, ce dernier laboure inlassablement en ce sens ce qui a abouti au Sommet hors normes que nous avons connu à Montpellier avec cet échange direct, sans tabou, avec la jeunesse africaine. Un Président qui mesure aussi l’importance de notre territoire métropolitain pour écrire de nouvelles pages, mutuellement fructueuses, du livre euro-africain.
Propos recueillis par Michel CAIRE