Publié le 27 juin 2023 à 19h37 - Dernière mise à jour le 3 août 2023 à 21h17
Ancien ambassadeur de France et porte-parole du Quai d’Orsay et ancien Directeur général de l’AViTem, Bernard Valero, comme tout diplomate à une parole mesurée… Sauf quand il s’agit de parler du dérèglement climatique. Sur ce sujet, le Haut diplomate sort de sa réserve.
Dans un entretien accordé à neede.Generations, Bernard Valero exprime, avec force, son inquiétude quant au manque d’engagement et les incohérences des États méditerranéens face à cette menace pour le vivant et pour l’Humanité. Il développe des pistes de coopération dans ce domaine, notamment par le biais de la diplomatie, pour amorcer enfin des actions collectives réussies. Il parle de l’importance du projet neede. sur ce sujet, et dit toute sa foi dans la jeunesse à porter le combat de la transition écologique.
Réalisé par Dinesh Teeluck & Lucile Cognet, Anna Rigondaud, Ombeline Pascal, Nathan Graille -neede.Generations – Étudiants en Master «Information Scientifique et Médiation en Environnement» Aix Marseille Université (AMU)-
Neede.Generations: 1- La situation mondiale se tend sur de nombreux sujets. Or, nous avons une impression d’impuissance du corps diplomatique face à ces phénomènes. Quel est le rôle de la diplomatie de nos jours ?
Bernard Valero: Je ne voudrais pas céder à un vieux réflexe corporatiste, mais le rôle de la diplomatie me semble aujourd’hui plus indispensable que jamais. Le Monde en effet est en train de vivre un moment de bascule : retour des logiques de puissance impérialiste comme l’invasion de l’Ukraine par la Russie, montée des menaces globales parmi lesquelles le dérèglement climatique et la destruction accélérée de l’environnement, grandes manœuvres géopolitiques qui commencent à prendre corps autour du contrôle des ressources qui vont devenir de plus en plus nécessaires à notre survie collective : l’eau, les terres agricoles, les métaux rares, les ressources biologiques, les sources d’énergie, alors que les énergies fossiles sont déjà engagées vers leur extinction.
Dans ce contexte, la seule alternative face au recours à la force est la diplomatie. C’est ce que fait la France par exemple en «réarmant» son outil diplomatique, dont je rappelle qu’il est le 3e au monde après les États-Unis et la Chine, et en pratiquant de plus en plus une «diplomatie de haute intensité». Il s’agit de promouvoir nos intérêts nationaux, de renforcer la construction européenne et pour agir afin que le champ de l’international ne soit pas soumis à la loi du plus fort ou à la règle du tous contre tous. Vous le voyez, plus que jamais la diplomatie est en première ligne et a un rôle crucial à jouer.
2- La France a pourtant acté, l’année dernière, la suppression du corps diplomatique…
Oui, c’est exact, et cela n’a pas été à mon avis la meilleure idée de l’année. En revanche, ce qui n’a pas été supprimé, ce sont les métiers de la diplomatie qui ne cessent de gagner en technicité et en diversité.
« Les COP se suivent et, hélas, se ressemblent. Au-delà des discours et déclarations d’intention, force est de constater que les actes peinent à suivre.»
3- Les scientifiques, des experts, de même que des ONG et acteurs de terrain nous alertent depuis des décennies sur le changement climatique, son impact sur la biodiversité, sur l’Humanité… Or, nous avons l’impression que les États n’arrivent toujours pas à parler le même langage et avoir une ambition commune sur le sujet. Que les intérêts particuliers de chaque pays, prennent le pas sur l’intérêt collectif. Que vous évoque ce constat par rapport à votre longue et riche expérience dans ce domaine ?
Je partage ce triste constat… Les COP se suivent et, hélas, se ressemblent. Au-delà des discours et déclarations d’intention, force est de constater que les actes peinent à suivre. Ce constat est d’autant plus préoccupant lorsque l’on regarde la Méditerranée où aucune politique environnementale et climatique digne de ce nom, c’est-à-dire a la hauteur des enjeux, n’est menée par les «copropriétaires» de la Méditerranée. C’est la raison pour laquelle je plaide pour un changement profond de méthode, qui nous permettrait enfin d’avancer. Il s’agit d’une méthode somme toute de bon sens :
-Construire un «triangle magique » qui consisterait à faire, enfin, travailler ensemble les États, les collectivités territoriales et les sociétés civiles de l’espace méditerranéen.
-Privilégier les actions concrètes sur le dernier kilomètre de la transition.
-Intensifier le travail de sensibilisation à ce qui se passe en Méditerranée et concentrer l’effort collectif sur la priorité environnementale et climatique.
« (… ) Le dérèglement climatique doit devenir une priorité. (… ) Cela passe par une concertation internationale, du moins européenne ou méditerranéenne. »
4- Justement, les Accords de Paris ont été célébrés pour ce qu’ils sont : une avancée «théorique» incroyable dans le domaine de la coopération internationale sur l’environnement. De nombreux dirigeants politiques ont pris des engagements forts lors de ces accords, pour ensuite ne pas les appliquer et aussi repousser leurs objectifs initiaux…
Vous avez raison, on signe un parchemin, on fait la photo et de beaux discours avant de se dépêcher de rentrer chez soi et de passer à autre chose. Ce disant, il ne s’agit pas de nier ou méconnaître l’importance de ces sommets et accords internationaux. Mais force est de constater que le compte n’y est pas, que les températures continuent de croître, que les feux de forêts gagnent chaque été en intensité dramatique, que la ressource en eau se fait de plus en plus rare, que la Méditerranée devient une poubelle à plastiques, etc. Comme je le disais précédemment, il faut agir autrement, sur le terrain, collectivement et beaucoup plus vite.
5- Ne conviendrez-vous pas que ce sujet majeur pour l’Humanité doit devenir la pierre angulaire de la diplomatie mondiale ?
Oui, le dérèglement climatique et ses conséquences doivent devenir une priorité. La mobilisation contre le plastique, la défense de la biodiversité, la maîtrise de l’eau, le développement urbain durable, la protection contre le sur-tourisme, la nature en ville, parmi bien d’autres chantiers à mener, sont également indispensables. Sur le sujet qui nous occupe, la Méditerranée, c’est une coopération euro-méditerranéenne qui me semblerait nécessaire. Elle existe, mais elle apparaît encore trop fragmentée et, malheureusement, trop souvent encore handicapée par les crises et conflits qui percutent sans cesse l’espace méditerranéen sur tous ses rivages.
« (…) Prenez un par un les pays méditerranéens et dites-moi ce qu’ils font vraiment pour faire face à ces terribles défis.»
6- Le dérèglement climatique a de forts impacts sur la Méditerranée, qui s’accentueront, provoquant de nombreux bouleversements dans les années à venir. Raréfaction des ressources, commerce international, crises migratoires, guerres. Quelle est votre analyse de la situation ?
Je ne suis pas scientifique, mais il ne faut pas être grand clerc pour concevoir de l’inquiétude face à ce qui se passe aujourd’hui sur le champ climatique et environnemental en Méditerranée. Ce regard est d’autant plus pessimiste qu’en contrepoint je ne décèle pas vraiment chez les pays riverains de la Méditerranée un réel et sincère engagement à apporter les réponses appropriées. À part une toute petite poignée de pays, dont la France, je tiens à le souligner, qui commencent à prendre conscience de ce qui se passe et essayent de réagir. Prenez un par un les pays méditerranéens et dites-moi ce qu’ils font vraiment pour faire face a ces terribles défis. Je crains que nous n’arrivions très vite à un constat consternant.
7- Une coopération commune avec l’ensemble des pays de la Méditerranée sera nécessaire pour agir. Mais est-ce possible ?
Elle est nécessaire, elle est possible, elle est urgente. Pour la mettre en œuvre, il faut de la lucidité, du courage et de la volonté.
« neede. peut être le « navire amiral » d’une grande ambition française et méditerranéenne pour une transition écologique réussie.»
8- Comment faire pour rendre cela possible ?
Bonne question ! L’Europe a un rôle majeur à jouer et la masse critique pour le faire. Encore faut-il qu’entre les politiques de voisinage Est et Sud, elle revienne progressivement à un équilibre que l’invasion russe de l’Ukraine a affecté. Pays européen et méditerranéen par excellence, la France à un rôle particulier à jouer dans cette perspective. Ceci posé, nous ne devons pas pour autant ignorer la part de responsabilité qui incombe aussi aux autres pays du sud de la Méditerranée. Ceci dit, je suis convaincu que le projet que porte neede. fait grandement partie de la solution. Car il offre de formidables champs d’espoirs par son ambition et ses perspectives nouvelles. Sa pluridisciplinarité, que ce soit en termes de sensibilisation, d’accompagnement, de recherche, mais surtout de coopération internationale, est également un atout indéniable. Ce projet est essentiel et doit aboutir. Dans l’intérêt de tous… Il peut être le «navire amiral» d’une grande ambition française et méditerranéenne pour une transition écologique réussie.
9- Alors que les responsabilités et les conséquences climatiques ne sont pas réparties également sur le pourtour méditerranéen, la transition de ce territoire ne peut-elle pas représenter une opportunité pour la construction d’une nouvelle relation partenariale égalitaire ?
Les Méditerranéens ont déjà en commun une triste égalité, qui ignore les frontières et qui les menace tous, c’est leur vulnérabilité partagée face au réchauffement climatique. Que vous soyez Libyen ou Albanais, Libanais ou Espagnol, il n’y a guère de différence. Dès lors, la transition sur cet espace doit être le fruit d’une volonté et d’une action, communes et partagées. On est tous dans le même bateau, faisons en sorte de ramer au même rythme, dans le même sens et avec la même intensité.
10- Certes… Mais le «prix à payer» ne sera pas le même entre les pays riches et les pays pauvres…
Cette question est sur la table depuis déjà un certain temps. À ce sujet, je m’étonne toujours que lorsque l’on parle de pays riches on se réfère systématiquement aux Européens et aux Nord-Américains. On ne parle pas souvent, par exemple, des grands pays producteurs de pétrole qui ont amassé depuis des décennies des ressources financières colossales, ou de la Chine, qui vise à devenir la première puissance économique mondiale et qui confond encore trop souvent coopérations et prédation.
Cela étant rappelé, votre question soulève les redéfinitions des relations Nord-Sud, un enjeu crucial sur lequel la France s’est mobilisée en accueillant à Paris, les 22 et 23 juin, un sommet international pour avancer vers un nouveau pacte financier mondial. Ce n’est pas gagné, mais c’est un pas important et s’il a été rendu possible, c’est grâce aux efforts que mène la diplomatie française depuis des années.
11- La diplomatie, à ce titre, a un rôle crucial à jouer. Quels moyens effectifs pourraient être mis en œuvre pour avoir une coopération commune ?
Il faut parler à tout le monde, comprendre l’autre, convaincre, essayer inlassablement de faire bouger les lignes.
12- Concrètement cela se traduirait comment ?
Eh bien cela pourrait s’incarner dans des projets très concrets qui auraient la vertu de pouvoir mobiliser les Méditerranéens et de déboucher sur des résultats visibles, capables à leur tour d’enclencher d’autres dynamiques. Puisque l’on est dans le concret, il y a un projet auquel je suis très attaché, c’est la construction d’une ceinture verte tout autour de la Méditerranée, à l’image de la muraille verte au Sahel, qui court de Djibouti à la Mauritanie et qui progresse, parfois laborieusement mais qui avance. Cette ceinture verte aurait un impact environnemental et climatique positif, mettrait en connexion les territoires de la Méditerranée et pourrait progresser de manière visible par les populations. Projet compliqué et complexe me direz-vous, et vous aurez raison. Mais si les Africains du Sahel sont capables de faire avancer leur muraille verte, je ne vois pas pourquoi les Méditerranéens ne seraient pas capables d’en faire autant.
13- Il existe aujourd’hui une «diplomatie climatique». Quel est son sens ? Son efficacité ?
La diplomatie climatique, mais aussi environnementale, existe bel et bien. En soi c’est déjà une très bonne chose car elle traduit une prise de conscience, mais aussi des actions qui sont menées. Il faut aller plus loin, plus vite et faire de ces questions des priorités sur l’agenda international. De ma modeste et petite fenêtre, j’observe qu’un pays comme le nôtre est en train d’adapter rapidement son outil diplomatique à ces nouvelles urgences et priorités. C’est la raison pour laquelle je crois en la diplomatie climatique. De toute façon, nous n’avons pas le choix, et cette diplomatie climatique n’a d’autre choix que d’être efficace et de réussir sinon…
Il faut aussi souligner que nous disposons d’un acteur qui est l’Union pour la Méditerranée (UpM). Il faut le mobiliser sur cette urgence, en lui donnant les moyens et la capacité politique de faire avancer les choses. Gardons toutefois à l’esprit que si l’on s’en tient au seul niveau intergouvernemental, nous nous heurterons à des angles morts. C’est la raison pour laquelle l’intergouvernemental doit être vitaminé et fécondé par l’inestimable valeur ajoutée des territoires et des sociétés civiles. C’est mon fameux «triangle magique».
« (…) Une antenne méditerranéenne du Quai d’Orsay serait un signal fort d’engagement.»
14- Les principales institutions méditerranéennes se trouvent à Paris. Ce triangle magique ne nécessiterait-il pas d’installer une Capitale de la Méditerranée, à Marseille à l’instar de l’Europe (Strasbourg et Bruxelles) qui regrouperait les acteurs et ainsi faciliter les prises de décisions et les actions à mener ?
Il y a une idée que je caresse depuis un certain temps, c’est celle de la localisation à Marseille d’une antenne méditerranéenne du Quai d’Orsay. Ce serait un signal fort d’engagement, ce serait techniquement possible, prenez par exemple une ville comme Nantes qui accueille depuis des années plusieurs services du ministère des Affaires étrangères, ce serait une initiative qui conforterait le statut de Marseille, deuxième ville de France, capitale de la Région sud et capitale méditerranéenne; ce serait enfin une démarche qui répondrait aux attentes des nombreux acteurs méditerranéens de la cité phocéenne. Faisons prospérer cette idée, ce serait déjà un grand pas.
«Je crois en la diplomatie climatique, qui n’a d’autres choix que d’être efficace et de réussir. »
15- Le processus diplomatie, c’est le temps long. Or, nous faisons aujourd’hui face à une urgence d’action sur les questions du climat. Comment faire en sorte que ce processus s’adapte à l’urgence ?
Les diplomates sont armés pour l’urgence et les crises. Celles-ci sont leur lot quotidien, partout dans le monde. La vie internationale est constamment rythmée par les crises. Donc, les diplomates savent faire. Pour sa part, le temps long est celui de la persuasion, de la négociation, de la cristallisation de la solution, de son adoption et de sa mise en œuvre. Ce sont sur ces segments qu’il faut agir. Les diplomates seront d’autant plus enclins à hâter le pas que le cap leur aura été clairement indiqué et que d’autres acteurs les accompagneront. À cet égard, compte tenu de la place et du rôle qu’ils occupent et qu’ils jouent, les médias et les réseaux sociaux peuvent être de formidables accélérateurs de maïeutique.
« Sans les jeunes, on ira moins vite et moins loin. (…) Surtout ne restez pas spectateurs ou commentateurs du monde dans lequel vous allez vivre. Agissez pour le rendre meilleur. »
16- Une diplomatie qui écoute, qui porte les aspirations de la jeunesse et qui soit au service des futures générations. Utopie ou réelle nécessité ?
Vous savez, je nourris un grand respect pour Pierre Rabhi, un grand humaniste qui, malheureusement, nous a quittés il y a un peu plus d’un an. Il avait coutume de dire : «Les utopies d’aujourd’hui sont les solutions de demain». Je suis convaincu qu’il faut non seulement écouter la jeunesse et porter ses aspirations mais aussi, avec la jeunesse, porter et réussir la transition. Sans les jeunes, on ira moins vite et moins loin.
17 – Il y a donc toujours des motifs d’espoir pour nous ?
Bien sûr, non seulement des motifs d’espoir mais surtout de nombreuses raisons de se mobiliser. Les jeunes font partie des solutions, c’est une évidence. Surtout ne restez pas spectateurs ou commentateurs du monde dans lequel vous allez vivre. Agissez pour le rendre meilleur.
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À propos de Bernard Valero
Ancien Ambassadeur de France auprès du Royaume de Belgique et porte-parole du Quai d’Orsay, Bernard Valero est un grand serviteur de la République, avec une très longue et riche carrière au sein de la diplomatie Française. Il y a exercé de nombreuses fonctions, dans différentes villes dans le monde: Dublin, La Havane, Québec, Madrid, Washington, Barcelone. Il a, par ailleurs, été Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire à Skopje, avant d’exercer les fonctions de Directeur général de l’AViTem (Agence des villes et territoires méditerranéens durables). Il a successivement été fait Chevalier de la Légion d’Honneur, Officier de l’Ordre national du Mérite, Chevalier des Palmes académique. Il est également Grand officier de l’Ordre d’Isabelle la Catholique (Espagne).)]