Publié le 25 septembre 2014 à 9h44 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 18h11
Isabelle Reiher, directrice depuis quatre ans du Centre International de Recherche sur le Verre et les Arts plastiques (Cirva) à Marseille, attend des réponses à ses appels à projets pour des résidences d’artistes en 2015 dans ce lieu d’excellence. Centre d’art national et centre de recherche depuis 1983, le Cirva, qui vient de fêter ses 30 ans dont 27 à la Joliette, est «le seul lieu d’expérimentation sur le verre ou les artistes peuvent prendre leur temps, voire perdre du temps», indique-t-elle. Elle invite les artistes, architectes et designers, confirmés ou plus jeunes, à répondre à ses appels à projets pour des résidences. Elle souhaite que les candidats n’aient jamais travaillé le verre pour imaginer de nouvelles approches de ce matériau avec les quatre techniciens verriers et souffleurs. Son œil s’illumine en annonçant l’arrivée prochaine en résidence de l’artiste amérindien internationalement reconnu Jimmie Durham. Il n’a jamais travaillé le verre. «On se lance dans le vide», dit-elle. Entretien.
Pourquoi le Cirva ? Le Cirva se positionne comme un espace pour les créateurs, les artistes d’art contemporain et les designers . C’est un lieu pour l’art plus qu’un lieu de production verrière. Bien sûr, on est centré sur le matériau verre mais, d’abord et avant tout, c’est une institution qui a été soutenue depuis maintenant 30 ans par le ministère de la Culture et ensuite par la ville de Marseille et les deux autres collectivités que sont le Conseil Régional Paca et le Conseil général des Bouches-du-Rhône. Le Cirva, lieu de soutien à la création artistique a été créé dans les années 80 comme le CIPM (Centre International de Poésie de Marseille) ou le FRAC (Fonds Régional d’Art Contemporain). Historiquement il est né d’une initiative personnelle de Jean Biaggini, alors directeur de l’École d’art d’Aix-en-Provence. Travaillant lui-même la céramique, il était très intéressé par les techniques et les matériaux. Il avait alors proposé au ministère de la Culture et à la ville d’Aix d’ouvrir un atelier en achetant un four installé dans son école avec comme perspective d’octroyer aux artistes la possibilité de travailler ce matériau avec des techniciens spécialistes du verre. Le Cirva était né. Il fonctionne un peu, à une moindre échelle, comme la manufacture de Sèvres pour la céramique (que supervise Françoise Guichon devenue conservateur général du patrimoine après avoir porté le Cirva à son niveau d’excellence de 1985 à 2010 à Marseille, ndlr). Le Centre a démarré progressivement, tranquillement et s’est imposé comme un vrai Centre d’art autonome. Avec l’aide de l’État et de la Ville de Marseille il s’est déplacé dans une ancienne manufacture de vêtements à La Joliette, dans cette ville qui n’est pas un lieu de production verrière historique contrairement à l’Est de la France qui a une vraie production avec toute la vallée de Meizenthal (maison du verre et du cristal) et de Baccara (cristal). Qu’est-ce que le Cirva apporte de plus aux artistes ? Le fait que l’on soit accompagné par les collectivités et l’État pour faire de la recherche et donc que l’on puisse donner aux créateurs du temps et de la perte de temps. Le créateur peut expérimenter. On fait plein d’essais, on jette, on recommence, parce que justement c’est notre mission. Et aucun atelier en Europe ou en France ne peut se permettre cela parce que la plupart des ateliers sont seuls avec des fonds privés et ont besoin de rentabilité. Certains accueillent des créateurs à côté de leur production commerciale mais ils leur disent on peut faire cela, précisément cela et on a juste 15 jours à vous accorder. Tandis que nous, nous disons aux créateurs nous vous invitons et vous avez du temps. Au bout d’un moment ça s’arrête. Près de 200 artistes sont venus en résidence. Quels sont vos critères de sélection? Une résidence au CIRVA c’est un temps très long de recherche sur un matériau que l’artiste ne connait pas. Le premier critère de sélection c’est que l’artiste ne soit pas un « spécialiste » du verre. Ce qui intéresse le Centre c’est de pouvoir développer des projets avec des artistes qui sont un peu vierges dans ce domaine et vont avoir des idées nouvelles. Nous partons du postulat que c’est la rencontre entre l’artiste et l’artisan qui va faire émerger les possibilités. Donc que l’artiste arrive ici sans aucune connaissance ne nous gêne absolument pas, au contraire. C’est à la fois un premier critère et une première explication du fonctionnement des résidences qui durent en général deux ans, jamais moins. Quand un artiste arrive ici, comme il ne connait pas, il a besoin d’un temps d’observation et de découverte. En général les premiers essais qu’il réalise ne sont jamais très intéressants. Ce sont souvent des choses qui vont partir à la poubelle. On construit une relation avec l’artiste et on fait en général plusieurs projets. On ne s’en tient pas à un seul projet. C’est pourquoi dans la collection vous avez par exemple plusieurs pièces de Giuseppe Penone… C’est l’enrichissement de la collection. Lorsqu’un artiste est invité à venir travailler, j’ai en tête que le Cirva conservera une ou plusieurs pièces et cela fait partie du contrat que l’on a avec lui. Il peut arriver que le travail n’aboutisse pas. Nous avons ainsi parmi les œuvres, 40 pièces de Bob Wilson pour une installation qui n’a jamais eu lieu. Le deuxième critère de choix ? L’enrichissement de la collection est important comme critère. C’est-à-dire que le choix de l’artiste va, un petit peu, être déterminé par ce qu’il se propose de réaliser, par souci de notre part d’enrichir cette collection, pour la compléter la rendre plus cohérente ou plus éclectique. Ensuite, j’ai des critères qui sont un peu nouveau pour le Cirva. J’ai à la fois l’objectif de poursuivre le travail avec des artistes très confirmés pour donner du rayonnement au Centre et asseoir sa «renommée» et aussi, parallèlement, j’ai ouvert à la beaucoup plus jeune création. Pour cela j’ai fait un appel à projet qui me permet de réunir un jury et d’être ainsi vraiment dans la découverte. C’est-à-dire que même si moi je me déplace beaucoup pour voir de l’art et essayer de découvrir par moi-même, on ne connait jamais qu’une toute petite portion des artistes. L’appel à projets permet à de jeunes artistes de postuler (date limite de dépôt des projets pour 2015 : 31 octobre 2014, ndlr). Je dis jeune parce qu’en général ce sont les jeunes qui postulent. Il est très rare que des artistes très confirmés ou avec une très longue carrière postulent à ce genre d’appel à projets. Mais ils en ont la possibilité. Comment est formulé cet appel à projet, sur un thème ? Ce n’est jamais sur un thème parce que justement je pense que ce serait un peu limité. On a envie d’être surpris donc ce n’est pas du tout sur un thème mais plutôt sur la base générale du travail de l’artiste. Ce qui m’intéresse tout autant c’est d’avoir un dossier complet sur l’artiste sur tout ce qu’il a fait auparavant, parce que cela me permet de me projeter et au jury que je réunis d’anticiper certaines possibilités d’œuvres et aussi sur la base d’un début de projet, d’intention de projet. Je ne demande pas un projet complétement ficelé parce que, comme je l’expliquais tout à l’heure, quand un artiste postule avec un projet bien déterminé ce n’est jamais cela qui est réalisé. L’appel à projet du Cirva ouvre la porte à une résidence ? Le Cirva ouvre la porte vers la possibilité de venir faire une résidence de recherche dans ce Centre d’art. Il faut que l’artiste donne des pistes. Il doit donner ses intentions de recherche mais aussi un dossier complet sur ses réalisations antérieures. Vous avez dit qu’une résidence durait deux ans, comment peuvent vivre les artistes? La résidence n’est pas de deux années pleines mais des moments de résidence qui sont coupés en fonction de l’emploi du temps de l’artiste et de l’emploi du temps de l’atelier. Lorsqu’il vient ici c’est en général pour une semaine de travail et ensuite les semaines se succèdent sur un calendrier que l’on détermine ensemble. On lui paie son voyage, il a un studio où il peut loger qui est au sein du Centre et on lui donne tous les moyens de production. Il n’a pas de bourse en plus parce qu’on n’a pas du tout d’argent pour donner des bourses, mais on met tous nos moyens de production à la disposition de l’artiste qui vient vivre à Marseille. Le Cirva garde en général une pièce réalisée pour sa collection et laisse à l’artiste le reste des pièces qui sont sa propriété et il peut les vendre par l’intermédiaire de sa galerie et s’en sortir financièrement. De nombreuses expositions présentent des pièces de vos collections. Avez-vous l’intention de faire une exposition de tout ce qui a été réalisé au Cirva ? Dans une seule et même exposition ? Non. Par époque, par année par thème ? Déjà l’ensemble de la collection n’est pas d’égale qualité et extrêmement hétéroclite. Il y a des œuvres d’art, des œuvres de design, des choses que les artistes ont réfuté et je n’ai jamais eu l’intention de faire une exposition de l’ensemble de la collection parce que nous n’avons pas de lieu d’exposition. Mais le Centre est invité à venir présenter des pièces dans des expositions en dialogue avec les institutions ou musées qui nous invitent. Le public ne vous connait pas. Vous vivez cachés ou seulement dans la discrétion? Vivre caché, pas du tout. Je suis au Cirva depuis 4 ans et c’est vrai que le Centre a été une institution assez discrète. Mais, depuis mon arrivée, j’essaie de l’ouvrir, pour des visites sur rendez-vous, de façon très régulière deux fois par semaine. J’ai organisé des portes ouvertes aussi deux fois par an dans le cadre du Printemps de l’art contemporain au mois de mai et dans le cadre des journées européennes des métiers d’art (27 au 29 mars 2015). Et puis nous participons à des expositions faute de pouvoir faire une exposition par nous-mêmes avec nos faibles moyens, sans régisseur ni lieu permanent. Il est très important pour moi que cette collection ne soit pas enfermée dans les réserves mais qu’elle soit montrée. Quel a été votre parcours professionnel? J’ai fait des études d’histoire de l’art, à Paris, il y a une petite vingtaine d’année. J’ai d’abord été une avocate québécoise, un premier métier (sourire devant la surprise de son interlocuteur). J’ai abandonné cette profession au Canada pour venir à Paris faire des études d’histoire de l’art. Comme premières fonctions dans le domaine de l’art en France, je me suis occupée d’art contemporain pour le Conseil régional Paca. Ensuite, je suis partie en Bourgogne et j’ai été directrice adjointe du Parc Saint-Léger qui est un centre d’art axé sur la jeune création d’une manière générale. C’est-à-dire contemporaine, mais pas du tout centrée sur un matériau ou une forme d’art précise. C’est un lieu où l’on avait des expositions mais également des résidences d’artistes et un programme de résidence hors les murs. Et ensuite Le Cirva. Qui avez-vous actuellement comme artiste en résidence ? Delphine Coindet, sculpteur en partenariat avec le Credac à Ivry-sur-Seine pour une exposition qui aura lieu en avril 2015. On va bientôt démarrer une résidence avec Jimmie Durham, artiste amérindien de grande renommée internationale, qui a accepté de venir réaliser des pièces. C’est vraiment l’inconnu, on ne sait pas encore ce que l’on va faire; on se lance dans le vide avec lui et je pense que ça va être très très bien… (Mondialement connu pour ses œuvres ses installations, sa poésie et ses livres, ce plasticien est aussi un ancien dirigeant politique du Mouvement pour la reconnaissance des droits des Indiens d’Amérique (American Indian Movement, AIM), ndlr). Nous avons aussi deux designers de Normal Studio en résidence qui travaillent ensemble depuis une dizaine d’année : Eloi Chafaï et Jean-François Dingjan sur un projet de luminaire. Avec des designers, nous essayons de travailler sur une petite édition d’objets et la plupart du temps des galeries les coéditent. Normal Studio travaille avec la galerie parisienne de design Ymer & Malta. Autre designer, David Dubois, qui travaille avec la galerie parisienne Créo avec laquelle nous avons un projet de coédition. Il s’agit aussi de luminaires. En moyenne nous réalisons une dizaine de pièces pour les designers parce qu’on est une petite équipe, 8 personnes en tout dont 4 techniciens verriers et on n’a pas les capacités de grosses éditions. J’aimerais beaucoup de le Cirva puisse s’étoffer un peu en moyens de production et en technicité. On a de très bons outils mais une équipe en nombre insuffisant malheureusement. Outre Huguette Espinat (secrétariat général), Cécile Cappelle (communication), Christelle Notelet (coordinatrice d’atelier), et les souffleurs techniciens verriers David Veis, Raphael Veloso et Fernando Torre, qui réalisent les pièces des artistes, nous avons une spécialiste de la pâte de verre, Valérie Olléon. Elle travaille actuellement sur des pièces de lego en verre pour Lieven de Boeck en résidence depuis 2012. Architecte, il réalise au CIRVA un « cabinet d’archives » avec des éléments de pâte de verre reproduisant des lego pour des constructions idéales. Des travaux exposés en partie jusqu’au 11 octobre à la Maison Grégoire à Bruxelles. Les artistes récupèrent-ils leurs moules réalisés au Cirva? En général les moules sont conservés au Centre. Dans les contrats, on fait en sorte que le retirage d’une pièce soit l’exclusivité du Cirva. Quelle est votre place dans le nouvel espace culturel de la Joliette ? On a créé depuis deux ans maintenant un groupe de travail qui s’appelle le pôle Joliette-J4 qui regroupe le MuCEM, la Villa Méditerranée, le Musée Regards de Provence, le FRAC et le Cirva. Tous les 5, nous travaillons depuis 2 ans à être en dialogue constant pour nous connaître, nous tenir au courant de nos activités respectives. Les lieux qui sont ouverts au public ont décidé de faire une politique tarifaire un peu harmonisée, de faire une journée ou une nocturne qui soit la même. Le Cirva s’inscrit dans ce groupe de travail pour proposer des visites au public qui se rend au MuCEM. On se connait vraiment bien et on travaille constamment ensemble. On va sortir un dépliant qui va diffuser d’ici une semaine les programmations de chaque lieu pour les trimestres à venir. A l’initiative de la Ville et de Sébastien Cavallier directeur de l’action culturelle, un groupe de travail se réunit plutôt sur l’art contemporain. On y réfléchit à une sorte d’après Marseille 2013 comment faire perdurer la dynamique art contemporain après l’année Capitale. Pour l’instant je n’ai pas grand-chose à en dire mais l’idée c’est d’essayer de valoriser cet aspect résidence que la ville de Marseille offre. C’est un très beau cadre pour accueillir les artistes en résidence et l’on essaie de faire en sorte que les différentes structures d’art contemporain puissent travailler ensemble en collaboration. Si j’invite un artiste à venir travailler au Cirva, les pièces qu’il réalise seraient montrées au FRAC dans le cadre d’une expo, le MuCEM fera peut-être une série de conférences… chacun apporterait un élément pour ce développement. Vos liens privés avec le MuCEM où votre mari est conservateur, facilitent-ils les contacts ? De toutes façons on se connait tous. C’est le domaine de la Culture. Si Jean-Roch Bouiller qui est conservateur pour l’art contemporain au MuCEM n’était pas mon mari, je pense que j’aurai quand même fait la démarche de me rendre au MuCEM et j’espère que le MUCEM aurait été réceptif. Le Cirva existe depuis 30 ans et il est très impliqué dans l’art contemporain. Avant même que Jean-Roch Bouiller soit dans l’art contemporain à Marseille, j’y étais et j’avais déjà un réseau. Mais je pense que de bien se connaître ça facilite… Il est question que le MAC s’installe à la Vieille Charité. Qu’en pensez-vous ? D’un point de vue purement logistique, purement architectural, c’est une mauvaise idée parce que je ne vois pas comment cet ensemble là pourrait l’accueillir sans d’énormes travaux. Ensuite que le MAC déménage au centre-ville, je pense que c’est certainement une bonne idée parce qu’il souffre d’un certain isolement (à Bonneveine, ndlr). Mais je ne suis pas certaine que cela règle les questions politiques. S’il y avait une véritable politique pour l’art contemporain l’endroit où est situé son Musée pourrait être amélioré… Le MAC a quand même eu un vrai succès dans les années 90. Alors pourquoi ne pas le déménager pour le rapprocher de la Belle de Mai et du pôle Joliette-J4 pour une dynamique. Mais la Vieille charité n’est pas un lieu pour l’art contemporain. On a parlé du J1, lieu bien positionné avec de grands espaces mais qui nécessite de grands travaux, il a aussi été question de l’installer à La Friche… Je n’ai pas d’autres idées de lieu. Propos recueillis par Antoine Lazerges info: Cirva.fr