Publié le 12 juin 2020 à 21h14 - Dernière mise à jour le 31 octobre 2022 à 11h37
Yvon Berland, dans l’actualité en raison de son maintien dans les 6e et 8e arrondissements de Marseille pour le second tour des élections municipales -le dimanche 28 juin- à la tête de la liste soutenue par le parti LREM, s’exprime longuement et pour la première fois sur les conséquences à tirer de la crise sanitaire et sur ses attentes dans le cadre du «Ségur de la santé». Président honoraire d’Aix-Marseille Université (AMU), professeur émérite des Universités et praticien hospitalier, il a exercé de nombreuses fonctions dans le domaine de la santé.
Destimed: Quel premier bilan tirez-vous de la gestion de la crise du Covid-19, notamment en ce qui concerne la médecine ambulatoire ?
Yvon Berland: La pandémie a mis tous les projecteurs sur notre système de santé, la population a rendu hommage aux soignants tous les soirs à 20 heures et les responsables politiques les ont également salués à chacune de leurs interventions. Le Président de la République souhaite revoir à la hausse le salaire des soignants, et notamment des infirmières et augmenter les moyens humains et matériels à attribuer aux hôpitaux. Avant la pandémie, il faut se souvenir que les soignants des hôpitaux s’étaient déjà fortement mobilisés pour dénoncer la paupérisation du système hospitalier public. Le ministère de la Santé organise en ce moment un «Ségur de la santé» pour répondre aux questions, nombreuses, qui se posent après le Covid. Cette initiative sera bonne à la condition que les mesures proposées soient fortes et envisagent de prendre en compte l’ensemble de l’organisation de l’offre de soins, et pas seulement l’organisation du système hospitalier. Les hôpitaux seront toujours en difficulté si la médecine de famille, ambulatoire, est elle-même en difficulté.
Quelles pistes concrètes pouvez-vous avancer sur le sujet afin d’impulser une meilleure organisation dans l’offre de soins ?
Il faut à la fois agir sur la médecine de ville, sur nos hôpitaux, mais également sur les CHU (Centre Hospitalier Universitaire). La médecine de ville rencontre parfois des difficultés à répondre aux demandes de nos concitoyens. Aussi la population se tourne trop souvent vers les urgences hospitalières pour des affections qui ne nécessitent pas une prise en charge par l’hôpital. Le constat est implacable : les urgences hospitalières n’iront pas bien tant que la prise en charge par la médecine de famille n’ira pas bien ! Pour remédier à cela, on peut envisager notamment deux pistes principales. La première est la nécessité de multiplier les centres de soins pluridisciplinaires, avec une installation dans les territoires qui soit proposée par les ARS (Agences régionales de santé) en fonction de la cartographie de la médecine libérale générale en place. Le salariat, qui est de plus en plus prôné par les jeunes médecins, pourrait être proposé dans ces centres de soin pluridisciplinaires. On le voit à Marseille dans les quartiers les moins favorisés, il y a un manque énorme dans l’offre de soins. Cette crise sanitaire l’a révélé encore plus fortement qu’auparavant. Nous avons identifié dans notre programme de campagne le besoin de créer dans ces quartiers une vingtaine de centres de soins pluridisciplinaires pour pouvoir répondre à la demande.
Qu’en est-il de votre deuxième priorité à suivre pour aller désormais dans la bonne direction ?
L’organisation de l’offre de soins aujourd’hui ne doit pas être pensée, raisonnée, qu’en fonction des médecins. Car de nombreux actes médicaux peuvent être pris en charge par des infirmières, et notamment par des infirmières de pratique avancée. Je connais bien le sujet car j’ai été à l’initiative de la création de ce statut au niveau national. C’est à présent un diplôme reconnu. Il faut former ces infirmières en grand nombre, c’est ce que nous avons fait à AMU (Aix-Marseille Université) afin qu’elles puissent se substituer dans beaucoup d’activités : consultations, prescriptions… aux médecins, toujours en coordination avec eux. Cette organisation permettra un accès plus rapide à un professionnel de santé. Nous avons été les premiers à Marseille à former ces infirmières.
N’existe-t-il pas aussi un problème de médecins de qualité dans les hôpitaux publics ?
Il faut réarmer en médecins et en professionnels de santé les hôpitaux publics. On ne compte plus le nombre de postes vacants dans nos hôpitaux publics. Il faut attirer les jeunes médecins que nous formons dans nos universités vers ces hôpitaux publics. Incontestablement, pour cela, les salaires doivent être revus. J’espère que le Ségur de la santé tiendra compte de cette nécessité. Au niveau de notre métropole, nous avons des hôpitaux à Aix-en-Provence, Salon, Martigues, La Ciotat… ils sont essentiels car permettent d’assurer une offre de soins de proximité. Mais il faut qu’ils soient suffisamment pourvus en médecins et professionnels de santé. On l’a bien vu à l’occasion de cette pandémie, considérer des hôpitaux uniquement du point de vue du bâti n’a aucun sens. Ce ne sont pas les murs qui importent mais les hommes et les femmes qui font la richesse de notre système de santé.
Vous évoquiez le CHU, comment voyez-vous son avenir dans le paysage de l’offre de soins ?
Les ordonnances Debré de 1958 ont créé les CHU, permettant de conventionner un hôpital public avec une université pour en faire un lieu de soin, de formation et de recherche au meilleur niveau. Ils ont été longtemps le vaisseau amiral de la médecine. Aujourd’hui on voit que petit à petit le CHU exerce moins ce rôle, cela fait longtemps que j’interpelle les pouvoirs publics sur cette évolution. Je présidais la commission santé de la Conférences des Présidents des Universités (CPU), et j’ai souvent alerté sur ce sujet. On le voit bien, avec la crise du Covid, nous avons besoin de rassembler une masse critique de professionnels dans une optique pluridisciplinaire au sein de nos CHU pour répondre à des questions complexes de santé. C’est en ce sens que l’Institut hospitalo-universitaire (IHU) Méditerranée Infections à Marseille a été créé à la suite de la commission Marescaux qui s’était réunie en 2008 et à laquelle j’ai participé avec l’objectif justement de faire évoluer nos CHU en se fondant sur les meilleurs standards européens et mondiaux. Je considère qu’il est nécessaire de restructurer les CHU dans cet esprit, par grands domaines de santé, en favorisant la pluridisciplinarité, avec une masse critique suffisamment importante de professionnels permettant d’exercer à la fois le soin, la formation, la recherche, l’innovation.
Les étudiants en médecine paraissent de moins en moins motivés pour incorporer de telles structures, est-ce une réalité ?
Les jeunes médecins sont moins attirés par le CHU que par le passé. Justement parce que le CHU a perdu cette image d’hôpital à la pointe de la médecine et de la recherche mais aussi parce que les conditions d’exercice ne sont plus satisfaisantes. Il y a un grand danger pour la médecine française de voir nos hôpitaux et nos CHU ne plus être attractifs. Le Ségur de la santé doit impérativement considérer ce sujet .
L’IHU du Pr Didier Raoult a été mis en lumière durant la crise, quel avis portez-vous sur une telle structure ?
L’IHU sur les maladies infectieuses dirigé par le Pr. Didier Raoult a été un des 6 IHU retenus par un jury international en 2010 dans le cadre du programme investissement d’avenir (PIA) lancé à la suite de la commission Marescaux. C’est le seul IHU en France sur les maladies infectieuses. On voit l’intérêt de telles structures rassemblant une masse critique d’acteurs aux compétences multiples pour permettre le soin, l’enseignement, la recherche et l’innovation. Au-delà de la personnalité du Professeur Raoult, on peut considérer qu’il était normal dans le cadre de la crise sanitaire du Covid 19 que cet IHU joue un rôle moteur. Il a été créé pour cela. Ceci étant, à Marseille notamment, de nombreux services du CHU, et notamment en réanimation, ont pris en charge des patients atteints du Covid. Durant cette période, de nombreux moyens humains et logistiques ont été apportés à ces services. La crainte que l’on peut avoir, c’est qu’une fois passé ce cet épisode épidémique, ces moyens ne soient plus au rendez-vous.
Les médecins généralistes ont été peu entendus alors qu’ils ont été en première ligne durant la crise, comme l’expliquez-vous ?
On a peu vu la médecine libérale privée durant les débats sur les chaînes et autres médias durant cette crise, c’est vrai. Pourtant à Marseille des établissements privés ont joué un rôle majeur, aussi, et cela a été peu perçu. Un autre enjeu de cette crise doit donc être de mieux établir le lien entre les établissements publics et privés. C’est un sujet majeur qui doit être abordé dans le Ségur de la santé. Il ne doit plus y avoir de mur entre les deux, et cet épisode doit nous inciter à penser une meilleure relation entre le public et le privé. Cette relation doit également pouvoir exister dans la formation des jeunes médecins et des ponts doivent aussi être mis en place s’agissant de la recherche. On ne doit pas avoir d’un côté le public, et de l’autre le privé. On voit bien que l’hôpital ne peut fonctionner que si la médecine ambulatoire en amont fonctionne bien. Chacun travaille trop de son côté, et le lien entre les deux n’est pas assez organisé. La santé est un vrai sujet d’État, un sujet régalien, et on l’a bien vu. Il faut investir et mieux coordonner les acteurs. Cette crise doit nous obliger à mieux réfléchir sur cette coordination, et les collectivités locales doivent jouer pleinement leur rôle à cet égard.
Propos recueillis par Bruno ANGELICA
Yvon Berland Yvon Berland est professeur des universités-praticien hospitalier. Chef de service, chef de pôle, médecin coordinateur d’un Centre d’Investigation Clinique. Président d’un Centre de recherche en biologie et en santé publique. Auteur de plus de 200 publications. Doyen de la faculté de médecine. Président de l’Université d’Aix Marseille (de 2012 à 2019), de la commission santé de la Conférence des Présidents d’Université (CPU), du Conseil d’administration de l’École des Hautes études en santé publique (EHESP). Président durant 15 ans de l’Observatoire national de la démographie des professions de santé. Co-président des États généraux de la santé en 2009. Rédacteur à la demande de plusieurs ministres d’une dizaine de rapports sur la santé. |