Publié le 18 décembre 2020 à 11h57 - Dernière mise à jour le 31 octobre 2022 à 12h21
Avec une première carte de membre signée en 1975, Paul Leccia est aujourd’hui bien plus que le Président du Cercle des Nageurs de Marseille (CNM). Amoureux de son club, son visage s’illumine de bonheur dès qu’il parle de ce lieu incontournable à Marseille. Si la planète sport chante les louanges du CNM pour ses victoires (que ce soit en natation classique ou en water-polo), peu de gens connaissent en revanche l’engagement du Cercle auprès des « minots » de la cité phocéenne ou des sportifs de haut-niveau. Entretien à cœur ouvert avec un véritable «personnage» emblématique qui voit en permanence la piscine à moitié pleine.
Les clubs sportifs français traversent une période délicate. Comment se porte le Cercle des Nageurs ?
Le CNM va bien ! Sur le plan purement sportif, nous sommes très contents de nos résultats. Lors des derniers championnats de France de natation de Saint-Raphaël, nos nageurs ont décroché 7 titres de champion, 7 médailles d’argent, 6 médailles de bronze et 4 sont déjà qualifiés pour les prochains Jeux Olympiques.
Être membre est un engagement particulier, ce n’est pas une démarche marchande
Et concernant les sociétaires ?
Il faut souligner que les membres nous sont restés fidèles malgré cette période délicate sans activité sportive. De rares exceptions ont demandé une diminution de leur cotisation, mais nous n’hésitons pas à leur dire non. Être membre est un engagement particulier, ce n’est pas une démarche marchande, mais une idée que l’on se fait de la fraternité. Nous sommes là pour aider le sport. Nous sommes transparents et les sociétaires savent qu’une partie de leur cotisation est directement allouée au secteur sportif. Nous ne sommes jamais arrivés à scinder ces deux univers. Il existe des gens qui viennent uniquement pour un côté récréatif et ceux qui aiment enchaîner les longueurs.
Vous n’êtes donc pas inquiet outre mesure ?
Je peux affirmer que les choses vont dans le bon sens mais, au Cercle c’est quelque chose d’assez récurrent les épreuves. Il faut se souvenir de l’épisode du toit d’un bassin qui s’était effondré en 1993… Il nous a fallu 10 ans pour tout reconstruire. Nous sommes donc des habitués des périodes catastrophes. A chaque fois, nous nous adaptons.
L’État, les institutions vous ont-ils aidés durant cette période compliquée de confinement ?
Au niveau du club sportif, nous n’avons eu aucune aide ! Après, il y a 48 personnes qui travaillent quotidiennement au CNM. Au niveau de l’entreprise, nous avons mis en place tout ce qui était potentiellement activable. En vérité, nous n’avons pas été vraiment impactés, d’autant que les travaux du restaurant étaient planifiés depuis un moment. Si j’avais l’esprit très mal placé, je dirais même que tout cela tombe plutôt bien. Finalement, c’est au niveau des structures pro que cela était le plus gênant, notamment avec le water-polo où les rencontres continuent de se dérouler à huis clos. D’autant que nous avions créé un cercle des entreprises qui était sur une bonne lancée.
«Des sociétaires, qui sont également des chefs d’entreprise, avaient envie de partager des valeurs»
En quoi consiste ce club des entreprises qui est une forme de diversification économique pour le CNM ?
J’ai vu le Pauc (Pays d’Aix Université Club handball NDLR) qui a mis en place son club des partenaires et j’ai rapidement compris que c’était là une idée formidable. Des sociétaires, qui sont également des chefs d’entreprise, avaient envie de partager des valeurs, des moments ensemble. Très naturellement, ils se sont mis à faire du business au sein de ce réseau CNM. C’est du gagnant/gagnant, car ils ont compris qu’aider le Cercle les aidait au final. Je suis pour le réseau positif.
Combien de membres compte le Cercle des Nageurs ?
Plus de 3 000, mais en réalité nous sommes beaucoup plus à profiter de nos piscines.
On accueille dans nos bassins tous les enfants de la ville de Marseille
Pouvez-vous être un peu plus précis et nous expliquer cette affirmation assez énigmatique ?
Saviez-vous que l’on accueille dans nos bassins tous les enfants de la ville de Marseille ? Et ils ne sont pas forcément adhérents ! C’est quelque chose qui nous tient tout particulièrement à cœur. Nous avons envie que ces jeunes découvrent notre sport, notre passion. Plus loin encore, c’est une fierté de mettre en sécurité tous ces petits Marseillais quand on sait que la noyade est l’une des premières causes de mortalité infantile dans notre pays. Plus je les vois plonger dans nos piscines, plus je suis heureux. Vous allez me croire candide, mais nous ne faisons pas cela pour repérer nos prochains champions. Après si on a la chance de trouver un Florent Manaudou des Aygalades, ce serait avec grand plaisir. Mais un tel parcours reste rare, car sur 100 gosses, si on en a 3 qui arrivent en élite, on est déjà vraiment chanceux.
Ils viennent donc pour apprendre à nager ?
Tout à fait ! On aurait pu se contenter de les laisser barboter en tenant la margelle. Nous nous sommes donnés comme mission de les sécuriser, de leur apprendre à nager.
«Nous avons le savoir-faire mais le savoir-dire»
Cette facette du Cercle des Nageurs est totalement méconnue du grand public. Comment l’expliquez-vous ?
Vous avez raison et je suis content que nous en parlions ensemble. Je suis certain que nous avons le savoir-faire. Mais le savoir-dire est une autre chose que nous ne maîtrisons pas bien. Pour vous dire, même la municipalité ne savait pas que nous avions mis tout cela en place. Historiquement, c’est Jean Roatta, alors maire des 1-7, qui m’a dit que les enfants de notre secteur passaient plus de temps dans le bus que dans l’eau. Il nous a alors demandé si nous souhaitions ouvrir les portes du CNM.
Les enfants des 1-7 ont donc accès aux bassins.
Pas seulement, puisque l’on a élargi cela à l’ensemble des établissements de Marseille, de la Pointe-Rouge aux Quartiers Nord. Malheureusement, nous ne pouvons pas accueillir autant de petits que nous le souhaiterions et c’est l’Éducation nationale qui désigne les classes. Il ne faut pas oublier que nous n’avons que 8 lignes d’eau par bassin.
«Nous tenons à appliquer une politique de reconversion des sportifs de haut-niveau»
Vous œuvrez également pour l’accompagnement de vos sportifs en portant un soin tout particulier à leur reconversion.
Dans nos disciplines, nous avons la chance de travailler avec des garçons et des filles qui ont, pour la grande majorité, des esprits bien construits. Je pense sincèrement, que ce sont des gens bien. Nous nous devons de les soutenir tout au long de leur passage dans notre structure… Et même après. Nous tenons à appliquer une politique de reconversion des sportifs de haut-niveau, au travers de notre réseau avec les entreprises de la région qui nous accompagnent. N’oubliez que c’est un sport ingrat, car seul le premier est vainqueur alors que les autres travaillent tout autant. C’est pour cette raison que nous devons penser à eux et que nous les guidons également durant leurs études, grâce à des accords avec différents établissements scolaires et universitaires de la ville. Ce suivi du sportif de haut-niveau est tout simplement vital.
Pensez-vous qu’il existe une forme de jalousie au sujet du CNM ?
Je ne sais pas, je ne dirais pas jalousie. Je n’arrive pas à appréhender cette chose. Je suis peut-être idiot de ne pas le voir mais je dois avouer que, lorsque j’écoutais l’ancien président à ce sujet, je me disais qu’il exagérait. Aujourd’hui mon point de vue a un peu changé et il faut bien avouer que c’est peut-être un peu vrai. C’est l’évolution de notre société qui est responsable de cela ! Je ne veux pas faire le vieux couillon, mais nous sommes dans un monde où la jalousie s’est démocratisée.
«Le manque de piscines sur la municipalité n’arrange en rien les choses»
Concrètement, qu’est-ce-qui peut générer ce sentiment ?
Jean Castelli, président délégué, prend la parole : Il faut comprendre que le Cercle des Nageurs a de la chance d’avoir un emplacement de rêve au bord de mer. Il faut reconnaître que nous profitons d’un site exceptionnel, cela peut favoriser une certaine envie. Il y a aussi la cotisation, mais là encore il y a beaucoup de fantasmes. Mais avant tout, nous sommes un club privé. Sur Marseille, il n’y en a pas énormément. Sans oublier que ce manque de piscines sur la municipalité n’arrange en rien les choses. Ajoutez à cela des résultats sportifs de niveau mondial et vous avez là une recette parfaite pour une bonne dose de jalousie.
La réussite attise donc la convoitise
Paul Leccia : On nous dit souvent que l’on tente d’étaler nos résultats. Ne pensez pas que cela est seulement dû à la Bonne-Mère qui veille sur nous. C’est un travail permanent, une remise en cause continuelle pour progresser encore et encore…
Propos recueillis par Fabian FRYDMAN