Publié le 12 décembre 2020 à 11h33 - Dernière mise à jour le 31 octobre 2022 à 12h20
Encore insuffisamment connu, le groupe EMTS intervient depuis 25 ans avec ses équipes d’ingénieurs et de techniciens pour remettre au plus vite en sécurité et fonctionnement différents sites touchés à la suite d’un sinistre «majeur» : incendie, explosion, inondation, catastrophe naturelle ou acte de malveillance. Acteur d’opérations menées conjointement avec les Armées françaises sur le sol national comme à l’étranger, la société basée à Saint-Victoret (Bouches-du-Rhône) s’est notamment distinguée avec son opération de dépistage massif de la Covid des marins du porte-avion Charles-de-Gaulle, à Toulon, en avril 2020. Une mission dont l’agilité logistique l’a fait entrer de plain-pied dans la gestion opérationnelle de la crise sanitaire. Entretien avec son président Pierre Alleysson.
Destimed: Pouvez-vous revenir sur le savoir-faire de votre société ?
Pierre Alleysson: Quand un sinistre majeur survient, nous sommes souvent mandatés par les compagnies d’assurance internationales ou directement par de grandes institutions publiques ou privées pour réaliser sur place la première mission de reconnaissance des désordres. Nous sommes engagés pour gérer la post-crise, forcément après l’intervention des forces de sécurité civiles. Nos missions sont multiples et extrêmement variées. Elles concernent n’importe quel site industriel, stratégique, ERP, parfois même en milieu extrême… Nous proposons et mettons en œuvre toutes les mesures d’urgence de mise en sécurité : en termes de confortement, décontamination, démolition technique, reconstruction…. En parallèle nous élaborons les stratégies de redémarrage d’activité du site impacté et nous aidons à les mettre en œuvre. Nous avons la culture de l’urgence et devons être extrêmement mobiles pour être en capacité de nous projeter, partout en France ou à l’international en un temps record.
Les opérations sur le Charles-de-Gaulle et au Liban après les explosions à Beyrouth
Quelle est la principale force à avoir dans votre domaine si spécifique ?
Notre principale force, c’est l’agilité. Nous sommes seulement 30 collaborateurs dans la société, mais très agiles. Nous devons toujours avoir un coup d’avance. La gestion de crise opérationnelle est un combat. Il faut toujours penser à ne pas prendre le premier uppercut qui pourrait vous mettre KO. Car à chaque fois que nous débarquons sur un lieu, c’est la plupart du temps le chaos. Nous devons savoir diagnostiquer, stabiliser et remettre en sécurité dans des délais très courts. Nous collaborons parfois pour cela avec d’autres acteurs publics ou privés. Ce fut le cas en 2020 avec les Forces Armées françaises pour les opérations sur le Charles-de-Gaulle et au Liban. Après les explosions à Beyrouth, nous sommes allés sur place pour mettre en sécurité les bureaux de la compagnie CMA-CGM, en travaillant à la fois aux côtés des parachutistes du génie, des bérets rouges et des bérets verts du génie de la Légion étrangère. Ces situations extrêmes catalysent les relations humaines et vous donnent une énergie extraordinaire. Vous servez ainsi les intérêts de la Nation et de plusieurs populations. La finalité de notre travail, c’est de participer à améliorer la richesse humaine.
Vous êtes sortis de l’ombre avec la réussite de votre opération sur le Charles-de-Gaulle, quel a été le point de départ de cette mission ?
Nous opérons souvent dans l’ombre, cela fait partie de nos engagements : la discrétion et l’efficacité ! En ce moment, trop de personnes se mettent en avant en France sur la gestion de cette crise sanitaire et il nous semble important aujourd’hui de dévoiler notre savoir-faire : celui d’un opérateur privé marseillais capable d’être réactif et ingénieux dans des situations de crises. Concernant le Charles-de-Gaulle, avec l’appui du BMPM (Bataillon de marins-pompiers de Marseille), le challenge était de dépister sur site plusieurs centaines de personnes en trois jours, et de restituer l’ensemble des résultats de tests RT-PCR entre 12 et 24 heures maximum après les prélèvements, alors que le délai moyen d’obtention habituel était de 3 jours. Bien évidement en respectant tous les protocoles médicaux de prélèvements sur site et d’analyses en Laboratoire de Biologie Médicale, seul habilité à analyser les prélèvements RT-PCR. L’histoire a débuté en mars. Je suis appelé par un opérateur d’importance vitale. Il m’apprend qu’il y a une suspicion de cas Covid dans une salle de commandement, et que plus personne ne veut y travailler. Je me dis tout de suite qu’avec l’épidémie, la France va être paralysée sur ces organes fonctionnels, de commandement, et que personne n’est préparé à répondre à cette situation…
Une technique déportée, mobile pour effectuer les tests de dépistage de la Covid…
Quelle a été alors votre idée qui a pu convaincre les Armées ?
J’ai tout de suite pensé à une solution de projection inversée, c’est-à-dire qu’au lieu de déplacer des centaines de personnes d’un tel lieu stratégique vers un laboratoire afin d’effectuer des tests individuels, avec en plus le risque d’une plus grande contamination, j’ai proposé une technique déportée, mobile. Avec cette technique, c’est notre société qui se déplace pour intervenir. Une solution que nos équipes maitrisent pour gérer d’autres crises. Je décide pour cela de transformer nos laboratoires de terrain qui permettent habituellement d’évaluer les risques d’hygiène, de santé et contamination. Je motive mes équipes pour vite proposer une solution de dépistage massif, de manière organisée et structurée sur le plan opérationnel et totalement confidentiel. C’est une obligation dans une telle situation.
Quelle a été votre solution pour pouvoir mener les tests de dépistage de la manière la plus rapide possible et la plus confidentielle ?
Une des clefs était de trouver des plateaux techniques d’analyses robustes au niveau national et en capacité d’analyser en RT-PCR ces nombreux prélèvements. Notre système de santé en France ne permet pas qu’un opérateur privé, comme nous, puisse réaliser de manière mobile les analyses RT-PCR. Même les labos de biologie médicale ne sont pas autorisés à faire de la biologie médicale mobile en France… Cela me semble véritablement être une aberration en termes de gestion de crise, car il fallait déployer sur zone et très rapidement ces dispositifs privés ou publics.
L’anticipation est le nerf de la guerre
Avec du recul, comment votre méthode a-t-elle pu être gagnante à l’arrivée ?
J’ai vite compris que le nerf de la guerre était l’anticipation. En mars, j’avais déjà demandé au Groupe de laboratoires d’être déjà prêt en nous réservant de la «bande passante» pour pouvoir traiter entre 200 et 700 prélèvements d’échantillons par jour. Nous sommes parvenus à dépister 1 000 personnes en une journée, avec la restitution des résultats de manière confidentielle en 24 heures. Pour tout vous dire, encore aujourd’hui, je trouve cela incroyable ! Nous sommes dans l’anticipation, nous avions tout envisagé un mois et demi avant, en préparant nos équipes, en modifiant nos véhicules laboratoire, en réservant des ressources dans les labos, en organisant de manière optimale toute la logistique pour pouvoir acheminer au bon endroit dans les meilleurs délais les échantillons sécurisés. La vie de notre entreprise est une grande aventure. Notre ADN peut se résumer en trois mots : servir, sécuriser, stabiliser. Nous avons, je pense, réussi à concilier les trois lors de cette opération.
Quels ont été les premiers sites que vous avez pu tester de cette manière au début de la crise sanitaire ?
Nous nous étions préparés dans l’ombre, pendant un mois. Et début avril, quand j’ai annoncé aux autorités régionales de santé que nous étions prêts pour commencer, nous avons pu dépister, en dix jours, 3 000 personnes en Ehpad. Comme à Digne, en étant appelés le vendredi soir pour partir dès le samedi matin avec nos labos mobiles de prélèvement. Nous avons commencé notre mission : faire du dépistage massif avec l’aide du personnel médical sur place, collecter, sécuriser l’information et la restituer dans un cadre totalement réglementaire par rapport au code de la santé publique. L’ARS régionale a pu constater notre rigueur, et notre professionnalisme en tant que nouvel opérateur dans ce métier que nous avons créé et imaginé.
On sent que l’opération réussie sur le Charles-de-Gaulle est une grande satisfaction personnelle, le confirmez-vous ?
Je peux vous le confirmer. J’ai étudié pendant cinq ans à la faculté d’Aix-Marseille, à Luminy, en spécialité Microbiochimie, avant de continuer mon parcours à l’Institut des Hautes-Études de Défense Nationale. Je suis également officier de la réserve citoyenne de la Gendarmerie Nationale pour mon expertise en gestion technique post sinistre. Pour la première fois dans ma vie professionnelle se constitue un lien tangible entre la Microbiologie et la Défense ! Le groupe EMTS est ainsi devenu l’opérateur privé de cette opération dans la plus grande discrétion grâce à l’intelligence du service de santé des Armées. Cherchez l’opérateur en France ou en Europe capable de se lancer dans une telle aventure, du jour « pour » le lendemain ? Vous ne le trouverez pas.
Le Groupe a pris des risques humains et financiers
Avez-vous pris des risques sur le plan financier pour mener une telle opération, puis les autres ?
Le risque fait partie intégrante de notre ADN d’entrepreneur et pour gérer cette opération, nous avons embauché tout de suite une personne car nous avions un manque de compétence en biologie médicale. Le Groupe a pris des risques humains et financiers : nous avons en effet investi plus de 200 000 € en deux mois. J’ai toujours constaté que les efforts et l’anticipation payaient. Rendez-vous compte, nous venons avec l’aide d’infirmières qualifiées de réaliser des tests à 600 personnes dépistées en 3 heures pour le Groupe Costa Croisières, qui est venu vers nous afin de relancer ses activités en France. La clé de la réussite de notre Groupe est d’aller à contre-courant de ce que l’on a l’habitude de faire dans ce pays : à savoir subir les crises et ne pas se servir de nos retours d’expérience. Or, il faut faire tout l’inverse. Personne ou presque en France ne comprend la stratégie impulsée en matière de tests face au Covid. Aujourd’hui, le process d’un test antigénique ne dure qu’une demi-heure. Le gouvernement souhaite qu’il soit pratiqué par le plus grand nombre. Cela peut marcher pour des cas individuels, mais pour des entreprises, des institutions, seule une organisation professionnelle, mobile et rigoureuse apporte de vraies solutions dans ce contexte.
D’où votre association avec l’entreprise Kiloutou pour aller dépister les salariés dans des sites là-encore stratégiques, dans tout le pays. Comment se passe le partenariat ?
En effet, nous avons décidé avec Kiloutou de créer une force de frappe au niveau national dans ce sens car nous partageons la même analyse et les mêmes valeurs. Elle nous permet de mener plusieurs opérations en même temps sur l’ensemble du territoire. Nous nous sommes engagés dans cette démarche avec la création des modules mobiles de détection inspirés de notre retour d’expérience. Ainsi nous pouvons, ensemble, avoir la maîtrise totale du process. L’idée est de pouvoir proposer notre modèle à grande échelle sur des sites stratégiques afin que nous puissions aller dépister sur place et donner rapidement les résultats au médecin référent. Faire des dépistages une fois par semaine dans ce genre de sites, c’est déjà très bien, car on rassure et on maintient un apaisement social en essayant au plus vite d’isoler les cas positifs. Nous avons de nombreuses sollicitations ces dernières semaines et notamment sur Paris. C’est enthousiasmant de partir d’une impulsion régionale et de gagner ensuite la capitale pour montrer notre savoir-faire. Mais sincèrement, je pense qu’on aurait pu aller plus vite, et qu’on a perdu au moins 6 mois… »
Propos recueillis par Bruno ANGELICA
[(Zoom sur
Ne plus opposer le public et le privé, mais les associer
Tout au long de l’entretien, Pierre Alleysson a voulu insister sur une évidence pour lui, à savoir demander à l’avenir aux collectivités et dirigeants politiques de faciliter les échanges opérationnels entre acteurs publics et entreprises privées dans le but de gagner en qualité et efficacité pour le bien des citoyens. «La crise sanitaire que l’on vit prouve davantage qu’on ne doit plus opposer tout le temps les acteurs publics et privés», explique-t-il, «l’efficience et le pragmatisme doivent apporter des solutions. Le politique doit être là pour pousser ce pragmatisme. Il ne doit pas être là pour compliquer la tâche. Il faut maintenant savoir agir en faisant confiance à une organisation scientifique associée au pragmatisme militaire.»
Tunisie, haute-montagne, Charles-de-Gaulle, Tempête Alex, Liban…
L’année a été très chargée en événements pour le Groupe EMTS. Il s’est d’abord rendu en Tunisie pour mettre en sécurité une usine électronique d’un groupe français à la suite d’un incendie. Il s’est ensuite déplacé à Superdévoluy (Hautes-Alpes) en février pour une opération de remise en sécurité, sur dix jours, d’un grand restaurant situé à 1 800 mètres d’altitude. En avril, la société a ainsi mené le dépistage massif sur le Charles-de-Gaulle à Toulon. Avant de rejoindre Beyrouth au Liban pour mettre en sécurité les bureaux de la compagnie CMA-CGM. En cette fin d’année, EMTS est présente à la gare maritime de Marseille pour dépister les passagers de la compagnie Costa. Comme à Saint-Martin-Vésubie (Alpes-Maritimes) après le passage de la Tempête Alex pour des ouvrages impactés.
B.A.)]