Publié le 20 janvier 2021 à 14h22 - Dernière mise à jour le 29 novembre 2022 à 12h29
En fin d’après-midi, à partir de 17h30 -heure française-, débutera comme tous les 4 ans sur les marches du Capitole, face aux pelouses du National Mall à Washington la traditionnelle cérémonie d’investiture du Président américain. Celle de ce mercredi 20 janvier 2021 – la 59e de l’histoire des États-Unis – restera quoi qu’il arrive déjà dans l’histoire en raison de l’absence de l’ancien président, Donald Trump, et de la foule sur la grande esplanade fermée au public en raison de la crise sanitaire. Yannick Mireur, politologue spécialiste des États-Unis, fondateur de la revue « Politique américaine », docteur en relations internationales apporte quelque éclairage… Entretien.
Quelle ambiance faut-il attendre lors de cette cérémonie d’investiture, particulière et unique, à différents titres ?
C’est toujours difficile à dire, car on a vu que tout était possible, y compris les débordements lors des événements du 6 janvier au Capitole même si, en raison des conditions sanitaires, il n’y aura pas de foule sur le Mall. L’investiture se déroulera forcément sous haute sécurité notamment à la suite des manquements de toutes les forces de sécurité pour empêcher ce qui s’est produit le 6 janvier. La Maison Blanche n’avait pas pris les mesures d’anticipation qu’elle aurait dû prendre et les bonnes instructions nécessaires vis-à-vis des organes fédéraux compétents, notamment auprès du ministère de l’Intérieur. Désormais, il y a une mobilisation pour pouvoir faire face à ces débordements mais, ces derniers peuvent avoir lieu. La cérémonie se déroulera donc sous tension et marquera une investiture comme on a rarement vue en temps de paix. Elle se déroulera dans une atmosphère de guerre civile sourde, même si les gens qui s’étaient mobilisés au Capitole sont une stricte minorité, il faut aussi le rappeler. Après, pour résumer, tout est possible dans un pays où règne quand même la liberté du port d’armes… C’est là le risque, qui explique que les choses peuvent devenir dangereuses.
Est-ce une bonne chose que Donald Trump n’assiste pas à la cérémonie, de manière volontaire, faut-il le rappeler ?
Ce n’est pas une bonne solution, l’idéal aurait été qu’il mette fin à tout cela. Sa responsabilité est colossale ne pas avoir mis un terme à ces rumeurs de fraude qui pèsent sur le débat public aux États-Unis. Un climat qui pèse sur le jeu institutionnel classique et entretient cette défiance. Ne pas se rendre à la cérémonie de passation est tout à fait contraire aux règles et au comportement fondamental du processus institutionnel du Pays. Sur un point de vue moral, cela est tout aussi condamnable, car le 20 janvier aux États-Unis est un moment très particulier où la nation américaine se rassemble avec un processus pacifique de passation du pouvoir. Donc remettre en cause cela, de manière très proactive en ne voulant pas s’y rendre lui-même, est scandaleux, unique. Je le répète : sa responsabilité est colossale, car il sait parfaitement ce qu’il fait.
«Trump a flatté un fond anti-institutionnel, voire anticonstitutionnel»
Les Démocrates et le nouveau président Joe Biden ont pourtant dit que son absence était plutôt une bonne chose, qu’en pensez-vous?
Cette position est venue en réaction à l’annonce de Trump qui spécifiait qu’il ne s’y rendrait pas. Joe Biden a ensuite acté cette décision, en disant : «Il a déclaré qu’il ne viendrait pas, donc voilà un point où nous sommes au moins d’accord !» C’est Trump qui est à l’origine de tout cela, et jamais les Démocrates ne l’auraient exclu de l’investiture. Car cela est tout à fait contraire à l’esprit politique qu’ils espèrent au plus vite restaurer dans le Pays. L’attitude de Trump est absolument condamnable, indéfendable. Il en porte l’entière responsabilité et on peut dire que cette attitude est à l’opposé de la façon dont l’histoire démocratique s’est toujours déroulée, à l’exception de la Guerre de Sécession, parce qu’il y avait eu des oppositions idéologiques fortes. Mais, si je remonte à une bonne centaine d’années, voire même 150 ans, il n’y a rien eu de plus grave aux États-Unis. Depuis plusieurs années, Trump a flatté un fond anti-institutionnel, voire anticonstitutionnel. Il l’a caressé dans le sens du poil pour ressusciter cet esprit frontiste, anti-État, une veine toujours présente aux États-Unis, un pays immense et fédéré, différent de chez nous. Donc il a clairement suscité par des allusions parfois sans détours cet esprit un peu conspirationniste, il faut bien le dire. Mais dans un pays où les gens sont armés, et au regard des drames passés pour cette raison, c’est très dangereux. Et on ne peut pas dire qu’il soit naïf sur le coup en agissant ainsi.
Le déraillement des grands partis politiques
Ce décalage de plusieurs semaines entre l’élection et l’investiture a-t-il joué de très mauvais tours à la démocratie américaine si malmenée par Trump ?
Clairement, en effet, et qui plus est avec la personnalité de Trump qui n’a pas d’équivalent dans l’histoire américaine depuis au moins la première moitié du XIXe siècle. Un personnage qui, encore une fois, est plus un symptôme qu’une cause, et qui marque le déraillement des grands partis politiques, comme on peut le voir aussi en Europe avec l’essoufflement du pacte social qui a longtemps duré, avec une perte de repères et une perte de capacité des grands partis à pouvoir fournir un projet national. On l’a bien vu chez nous aussi avec l’avènement d’Emmanuel Macron. Compte tenu de cela, évidemment les défauts du fonctionnement institutionnel américain avec cette vacance de trois mois produit des effets qui sont encore plus importants. Or c’est un héritage historique qui est instauré depuis longtemps. Ce sont des règles institutionnelles qui n’ont jamais été modifiées et qui apparaissent aujourd’hui décalées. Encore une fois, cette absence de bonne volonté et d’unité nationale et démocratique pour organiser cette transition est historique. Cela fait partie des toilettages qu’il faudrait mettre en place aux États-Unis, à la manière des députés de la Chambre des représentants qui ont des mandats de 2 ans (contre 6 au Sénat), et qui sont, du même coup, tout le temps en campagne et toujours sous la pression et l’influence des lobbyings, notamment. Cela fait partie de l’une des particularités incompréhensibles du système américain.
«La destitution rendrait Trump inéligible»
Qu’en est-il de la destitution possible de Trump, servirait-elle encore ou plus à rien aujourd’hui, car arrivant trop tardivement ?
Il appartient à la Chambre des représentants une fois qu’elle a voté la destitution, comme c’est le cas maintenant, de transmettre sa résolution au Sénat pour un vote accompagné d’une instruction, on appelle cela un procès, s’il devait y en avoir un. Avec l’entrée en scène du nouveau Sénat, qui sera désormais à 50-50 entre républicains et démocrates, la question est de savoir s’il se dégagera une majorité des 2/3 au Sénat pour approuver la résolution ? Dans ce cas, la destitution se fera après le 20 janvier, et elle rendrait Trump inéligible pour tout office public aux États-Unis et en particulier pour la présidence en 2024.
Il y a donc toujours l’opportunité de voir Trump interdit de pouvoir un jour se représenter à la présidence ?
C’est tout l’enjeu, et l’occasion pour le président du groupe Parti républicain au Sénat, qui a avalé des couleuvres et des chapeaux pendant 4 ans, lors de son dernier mandat, de pouvoir écarter l’hypothèque Trump définitivement de la recomposition de son parti pour les années qui viennent. Et un Trump potentiellement candidat ou non, cela pèsera sur la politique américaine ! Ce pourrait être le dernier service que le président du Parti républicain aura à rendre pour son camp, traversé par différents courants et qui doit se recomposer. Donc la stratégie politique derrière est de pouvoir lever l’hypothèque Trump pour que le Parti républicain puisse se recomposer. Pour arriver à cette fin et faire tomber Trump, il faudra convaincre 17 voix républicaines.
«L’absolue priorité est la réponse à la pandémie du Covid»
Quelles sont enfin les deux ou trois grands dossiers prioritaires pour Joe Biden en ce début de mandat ?
L’absolue priorité est la réponse à la pandémie du Covid, pour que l’État fédéral joue le rôle qu’il n’a pas joué sous l’administration Trump. C’est-à-dire avoir un effet de coordination et de mobilisation de moyens en appui des villes et des États fédéraux pour mener à la fois une réponse sanitaire, le dépistage, les vaccinations, et pouvoir endiguer le mieux possible la circulation du virus. La deuxième priorité est la mise en œuvre du plan de relance et son adoption par la Chambre. Un plan de l’ordre quasiment de 2 000 milliards de dollars, pour une relance économique avec les mesures d’amortissement de la crise pour les plus vulnérables et des investissements publics, notamment dans les infrastructures qui est un vieux sujet de la politique américaine, que Trump avait promis de prendre à bras le corps et qu’il n’a pas du tout fait ! Et là encore, comme il pourrait être capable de le faire pour la destitution de Trump, Biden pourrait trouver des alliés républicains au Sénat afin de mener à bien le projet. Enfin la troisième priorité concernent les affaires internationales afin de reprendre la coopération avec les alliés européens, asiatiques, australiens, sur deux sujets clés qui sont la Chine et le climat.
Propos recueillis par Bruno ANGELICA