Publié le 6 novembre 2018 à 19h31 - Dernière mise à jour le 28 octobre 2022 à 19h09
Actrice ratée, Mina a placé tous ses espoirs dans la réussite de son fils : c’est l’œuvre d’une vie, pour laquelle elle sacrifie tout. Elle ne manque pas d’ambition pour lui, le futur Romain Gary à qui elle répète : «Tu seras un héros, ambassadeur de France, tu seras Victor Hugo, tu seras prix Nobel !». L’enfant, devenu adulte, n’aura de cesse d’offrir à sa mère ce qu’elle a rêvé pour lui : «Ma mère avait besoin de merveilleux», confie-t-il. Toute sa vie, il se consacrera pleinement à la réalisation du dessein maternel et il tiendra toutes ses promesses : il sera héros de guerre, ambassadeur de France et Prix Goncourt deux fois… L’adaptation du roman de Romain Gary, proposée par la compagnie Des Ils et Des Elles, que nous pourrons voir à Port-Saint-Louis-du-Rhône le 16 novembre se concentre sur la relation hors norme de la mère et du fils. Un amour inconditionnel et passionné. «Avec l’amour maternel, la vie vous fait à l’aube qu’elle ne tient jamais. Chaque fois qu’une femme vous prend dans ses bras, ce ne sont plus que des condoléances. On revient toujours gueuler sur la tombe de sa mère comme un chien abandonné… », écrit Gary. Cette partie de sa confession structure le récit, limpide, qui oscille entre humour (les premières tentatives de Mina pour faire de son fils un artiste), tendresse et gravité et se révèle très théâtral. Les intentions de toute l’équipe de « La promesse de l’aube » dans cette adaptation de Cyril Brisse sont précises et tiennent dans une passion pour la scène. « Nous aimons le théâtre. Nous aimons jouer. Nous aimons raconter, partager » nous précise-t-on ». « Nous aimons les histoires qui nous font rire, celles qui nous émeuvent, celles qui nous font pleurer. Nous aimons les histoires qui parlent de cette drôle de souche à partir de laquelle nous nous construisons, par excès, par défaut, de travers, en vrac : l’amour. « La promesse de l’aube « est une double promesse : promesse que fait la vie au narrateur à travers une mère passionnée ; promesse qu’il fait tacitement à cette mère d’accomplir tout ce qu’elle attend de lui dans l’ordre de l’héroïsme et de la réalisation de soi-même. Nous sommes convaincus qu’une langue comme celle de Romain Gary peut s’écouter, se savourer partout. Nous avons désiré nous emparer de l’écriture romanesque exceptionnelle de Romain Gary, de son histoire extraordinaire, hors-normes et la transmettre au public par le théâtre. Donner à voir, entendre, ressentir, l’intensité d’une langue forte, singulière. Partager, avec les moyens de la scène, un thème universel, celui de la relation mère-fils. Jouer de l’humour, de l’extravagance, de l’émotion avec nuance, pour rester au plus près de la matière. Volontairement continuer de travailler sur du théâtre-récit, qui implique une sincérité absolue et une distance inhérente à la forme. Monter, Montrer, donner corps à ce texte, incarner -, et partager ce qui nous a traversé et bouleversé si fort, à la lecture. » Et d’ajouter : « Raconter l’incroyable force que peut donner un amour maternel sans mesure … et un amour réciproque. Rire des excès, connaître les « pièges » d’une telle relation, les rendre théâtraux. Rarement la piété filiale s’est exprimée avec plus de tendresse, de sensibilité, et cependant de clairvoyance et d’humour que dans La promesse de l’aube. Et bien sûr, « jouer » la chute romanesque de l’histoire, grandiose, réinventée par Gary lui-même dans ce récit autobiographique, comme un ultime hommage à sa mère : un mensonge magnifique. » Choisissant alors une forme épurée, car « elle laisse toute la place à l’imaginaire, au voyage dans l’intime » la Compagnie privilégie la « simplicité du jeu, la sincérité, et la proximité avec le public » voulant faire surgir émotion, nuance, densité, tendresse amusée et l’humour de Gary qui est un humour bienveillant, fait de connivence, et celui sa mère, jugé « fantasque, extravagant et sensible. » Et de conclure : « nous racontons l’histoire simplement, sans effets, dans une alternance d’adresse directe, de théâtre-récit et de scènes dialoguées. La langue de Gary, le découpage du texte, les acteurs avant tout ». Pari réussi. La scénographie reste légère, astucieuse et déliée. Le travail de création lumière recrée des temps et des lieux différents. La bande son est actionnée depuis le plateau, une touche de l’intérieur qui accompagne et ne supplante pas. Et qui, elle aussi, participe aux mises en jeu du souvenir. Tout dans cette adaptation respire la perfection, la rigueur, la force, portée en cela par le jeu lumineux des deux comédiens. Stéphane Hervé dans la peau de Gary joue sobre, vrai, juste. Sous les traits de Mina, l’actrice Céline Dupuis possède la fougue et la flamme nécessaires au rôle en lui apportant une touche de folie burlesque. Jamais ils ne forcent le trait, ni n’affadissent l’aspect dramatique et burlesque du récit. On se promène dans tous les extraits du roman choisis pour réaliser la pièce dans un monde qui à la fois s’écroule, puis renaît et dans la perfection de la langue de Gary sans que l’on assiste à une lecture déguisée, mais à du vrai théâtre. Lumières, accessoires, décors soignés, il en résulte un beau moment artistique qui donne envie de relire « La promesse de l’aube » bien sûr mais aussi tout Gary.
Jean-Rémi BARLAND
«La promesse de l’aube» de Romain Gary – Mise en scène et adaptation : Cyril Brisse avec: Céline Dupuis & Stéphane Hervé Compagnie Des ils et des elles en coproduction avec la compagnie Franche Connexion à l’Espace Gérard Philipe de Port-Saint-Louis-du-Rhône. Le vendredi 16 novembre à 20h30. Réservations au 04 42 48 52 31.