La comète Pons-Brooks ou comète du diable est observable tout le mois d’avril, en direction de l’ouest, en début de nuit. Découverte à Marseille en 1812 par Jean-Louis Pons, elle revient nous rendre visite tous les 71 ans.
C’est une comète périodique, comme la célèbre comète de Halley que l’on revoit tous les 76 ans. Des jumelles permettent de la voir comme une petite boule floue mais elle se rapproche du Soleil et sera peut-être visible à l’œil nu à la fin du mois car elle passera au plus près de notre étoile le 21 avril 2024. Elle devrait alors perdre davantage de matière et arborer une queue plus proéminente et plus lumineuse, d’autant qu’elle se rapprochera alors de la Terre dont elle sera au plus près le 2 juin 2024.
Qu’est-ce qu’une comète ?
Une comète est une boule de glace et de poussières de quelques kilomètres de diamètre, en orbite autour du Soleil. Lorsqu’elle s’approche de ce dernier, la glace fond et les matériaux libérés se répandent dans l’espace en formant une queue. La comète peut alors perdre jusqu’à plusieurs tonnes de glace par seconde, l’eau passant directement de l’état solide à l’état de vapeur par sublimation. La queue a généralement deux composantes : une queue bleutée, qui correspond aux gaz s’échappant de la comète rendus lumineux parce qu’ils sont électrisés par la lumière du Soleil (il s’agit principalement de monoxyde de carbone, CO) et une queue blanchâtre qui correspond aux poussières éclairées par le Soleil. Celles-ci ont tendance à suivre l’orbite de la comète et forment une queue légèrement courbe alors que la queue de gaz est bien droite et dirigée à l’opposé du Soleil, car les particules électriques chargées qui constituent le vent solaire entraînent le gaz électrisé dans leur mouvement. Les queues de comète s’étendent souvent sur des centaines de milliers de kilomètres, surpassant la distance de la Terre à la Lune.
On estime que le noyau de la comète Pons-Brooks a une trentaine de kilomètres de diamètre, elle est donc plus grosse que la comète de Halley qui fait une quinzaine de kilomètres dans sa plus grande dimension. Des éjections de matière observées à la fin de l’année 2023 ont formé deux pointes s’échappant du noyau, formant deux cornes qui lui ont valu d’être baptisée « comète du diable ».
Quel nom donne-t-on à une comète ?
L’usage veut qu’une comète soit baptisée du nom de la personne qui l’a découverte. Plusieurs noms sont associés lorsqu’il y a quasi-simultanéité. On est même allé jusqu’à trois noms associés (maximum fixé par l’Union Astronomique Internationale) pour des découvertes indépendantes de la même comète, à quelques jours d’intervalle : c’est le cas de la comète 1975 h, baptisée Kobayashi-Berger-Milon ; le premier l’a découverte au Japon et les deux autres aux États-Unis, respectivement 2 jours et 4 jours plus tard. Une comète périodique, comme Halley, conserve bien entendu le nom précédent lorsqu’on la voit réapparaître. Bien que Jean-Louis Pons ait découvert 37 comètes, il n’y en a que huit qui portent son nom, dont trois en association avec un autre astronome. En effet, beaucoup ont été rebaptisées du nom de celui qui a fait par la suite les calculs de l’orbite. C’est le cas par exemple de la comète découverte par Pons en 1818 dont l’astronome allemand Encke démontre ensuite qu’elle revient tous les 3 ans et 4 mois et qu’elle a été déjà observée par Méchain en 1786, par Caroline Herschel en 1795 et par Pons lui-même en 1805. Encke prédit même, avec succès, sa position pour son retour en 1822 et la comète est rebaptisée comète Encke, mais Encke lui-même en parlait toujours comme « la comète de Pons ».
Quant à la comète Pons-Brooks, découverte par Pons le 12 juillet 1812 depuis l’observatoire des Accoules à Marseille, elle va s’appeler comète Pons jusqu’à ce que l’astronome américain William Robert Brooks l’observe à nouveau, le 2 septembre 1883. Les calculs montrent alors qu’il s’agit bien de la même comète qui revient tous les 71 ans et on associe dès lors le nom de Brooks à celui de Pons. Elle a été observée lors du passage suivant, en 1954, et elle revient à nouveau cette année.
Qui était Jean-Louis Pons ?
Jean-Louis Pons est né le 24 décembre 1761 à La Piarre, petit hameau à quelques kilomètres de Serres, dans les Hautes Alpes. Issu d’un milieu modeste, il est le dixième enfant d’une fratrie de onze. Sa famille l’envoie à Marseille pour apprendre à lire et à écrire. Il trouve un travail de concierge en 1789 à l’observatoire de Marseille, alors situé au quartier des Accoules. Il s’intéresse à l’astronomie et bénéficie de l’enseignement des directeurs successifs : Guillaume de Saint Jacques de Sylvabelle, jusqu’en 1801, et Jacques-Joseph Thulis, de 1801 à 1810. Jean-Louis Pons construit sa première lunette astronomique en 1801, il en polit lui-même les lentilles et découvre sa première comète le 11 juillet 1801, trois jours à peine après achevé sa lunette. Il va en découvrir 37 au cours de sa vie, un record qui n’a jamais été battu depuis et ne sera sans doute jamais battu.
Ses découvertes l’amènent à être nommé directeur adjoint de l’observatoire de Marseille par un décret impérial de 1813. Après avoir découvert 23 comètes à Marseille, il poursuit sa carrière en Italie où il est nommé astronome royal de Marie-Louise de Bourbon en 1819, pour diriger l’observatoire de Marlia, près de Lucques. Il y découvre 7 comètes dont une le soir même de son arrivée ! Enfin, en 1825, Léopold II, grand-duc de Toscane, offre la direction de l’observatoire de Florence à Jean-Louis Pons. Il y découvre là encore 7 comètes, dont la dernière en 1827. Sa vue est altérée par une maladie et il meurt à Florence le 14 octobre 1831, à l’âge de 70 ans.
L’astuce de Pons
Pour avoir découvert autant de comètes, Jean-Louis Pons avait certainement une vue exceptionnelle. Mais il avait aussi inventé un système astucieux qui lui permettait de faire un balayage du ciel systématique et rigoureux. Il avait pour cela mis au point un dispositif mécanique avec des encoches tous les 3 degrés sur le cercle de déclinaison de sa lunette astronomique. Celle-ci avait un champ de vue d’environ 4,5 degrés, soit 9 fois le diamètre apparent de la Lune, Pons pouvait balayer le ciel d’est en ouest en faisant tourner la lunette autour d’un axe parallèle à l’axe de rotation de la Terre puis incliner l’instrument de 3 degrés en passant à l’encoche suivante sur le cercle de déclinaison. Grâce au grand champ de vue de son instrument, le balayage suivant recouvrait légèrement le précédent et, progressivement, il pouvait ainsi balayer l’ensemble du ciel. Cette méthode, alliée à une très bonne connaissance du ciel, lui permettait de repérer à coup sûr l’apparition de tout objet nouveau un peu flou dans le champ de vision, il lui suffisait ensuite de vérifier que l’objet s’était légèrement déplacé dans le champ d’un jour à l’autre, par rapport aux étoiles fixes, afin de s’assurer qu’il s’agissait bien d’une comète et pas d’une nébuleuse ordinaire.
Comment observer la comète Pons-Brooks
La comète est observable avec des jumelles, même de petit diamètre, dès la tombée de la nuit, en direction de l’ouest, à partir de 21 h (heure d’été). Par chance il y a deux astres brillants qui permettent de la localiser en ce début avril car elle passe à côté d’eux : l’étoile Hamal, la plus brillante de la constellation du Bélier, et la planète Jupiter qui est l’astre le plus brillant en ce moment vers l’ouest, bien visible dans les lueurs du couchant avant mêm que la nuit tombe. Le 1er avril la comète sera juste à gauche de l’étoile Hamal. Le 10 avril on la verra juste en-dessous du fin croissant de Lune qui sera alors à droite de Jupiter. Le rapprochement de ces trois astres permettra aux astronomes amateurs bien équipés de faire un très beau cliché, d’autant que la partie à l’ombre du disque lunaire sera alors éclairée par la lumière que lui renvoie la Terre, offrant le spectacle de la lumière cendrée. Le 20 avril, la veille de son passage au plus près du Soleil, la comète sera proche de deux étoiles de la constellation du Taureau situées 5 degrés au-dessus de l’étoile Menkar, la plus brillante de la constellation de la Baleine.
Michel MARCELIN – Directeur de recherche émérite CNRS au LAM – Secrétaire de l’Académie des Sciences, Lettres et Arts de Marseille.