Publié le 20 juillet 2017 à 20h57 - Dernière mise à jour le 28 octobre 2022 à 17h18
Accueillir une étape de la tournée mondiale des chœur, orchestre et solistes du Bolchoï, Théâtre académique d’État de Russie, est un événement. En cette ultime semaine festivalière aixoise, le public ne s’y est pas trompé et permettait au Grand Théâtre de Provence d’afficher complet pour une unique représentation concertante du «Eugène Onéguine» de Tchaïkovski. Et à en croire l’ovation debout qui a ponctué la représentation, personne n’a regretté le déplacement. Mais qui mieux que les Russes peuvent donner ses couleurs et son sens à cette musique composée par l’un des leurs ? Dès les premières notes, le directeur musical Tugan Sokhiev fait pleurer les violons installant, comme un fil rouge qui va parcourir la totalité de l’interprétation, une mélancolie aux accents slaves sans pareille. «L’habitude est un don du ciel qui fait office de bonheur… » Tchaïkovski et Chilovski ont conservé dans leur livret cette terrible assertion de Pouchkine. Qu’y a-t-il de pire, en effet, que l’habitude ? Cette phrase, souvent reprise en citation, illustre parfaitement la mélancolie évoquée plus haut. A laquelle il convient d’ajouter passions contrariées, jalousie, drame, sensibilité, solitude, soit le romantisme à la mode Tchaïkovski. A tous les pupitres, les instrumentistes de l’orchestre du Bolchoï font preuve de sensibilité et de précision pour répondre aux sollicitations de leur directeur musical qui voue à cette partition, le premier opéra qu’il ait dirigé, une affection toute particulière. Sans répit, Tugan Sokhiev fait preuve d’une écoute attentive des musiciens, mais aussi des solistes et de leurs respirations pour parfaire l’osmose entre les voix et les instruments. Un travail énorme. Que dire du chœur, sinon qu’ici on est à proximité de la perfection avec la puissance, la limpidité, la couleur et ce son slave à nul autre pareil. Difficile de pointer des faiblesses du côté des solistes. Alors commençons par celui qui nous a laissés sa voix en souvenir, le Lenski de Bogdan Volkov jeune ténor à la voix tendre, puissante et précise, aux demi-teintes éblouissantes, à la ligne de chant parfaite. Son chant d’amour pour Olga avant de se faire tuer en duel, fut un moment d’une émotion rarement atteinte. Il devrait triompher sur les scènes du monde dans les années à venir. Nous avons aussi particulièrement apprécié la mezzo Evgenia Asanova qui a incarné une Olga juvénile à souhait, attendrissante et pétillante ; une jeune femme ouverte à la vie. Somptueuse, aussi, Anna Nechaeva, la soprano qui prêtait ses traits et sa voix à Tatiana. Elle aussi alterne l’émotion au premier acte et la puissance inflexible au dernier avec une voix souple, précise et une réelle incarnation émotionnelle. Igor Golovatenko est un parfait Onéguine, baryton plein d’assurance au volume vocal imposant. Un mot, aussi, sur la basse Ain Anger qui incarne un prince Grémine de belle tenue, Maria Gavrilova (Mme Larina), Svatlana Shilova (Fillipievna), Goderdzi Janelidze (Zaretski/le capitaine) et Stanislav Mostovoy (Monsieur Triquet) complétant de fort belle façon cette distribution très homogène. Un rendez-vous qu’il ne fallait pas manquer. Par bonheur nous avions décidé d’y aller…
Michel EGEA