Publié le 19 février 2019 à 13h22 - Dernière mise à jour le 28 octobre 2022 à 20h48
«Il est temps de créer un ministère des TPE/PME. Il est temps d’aider nos 3 millions de TPE et PME, soit 99,8 % du nombre total d’entreprises», lance Lionel Canesi, le président du Conseil régional de l’Ordre des experts-comptables (Croec) Marseille-Provence-Alpes-Côte d’Azur à l’occasion de la présentation du baromètre économique de la profession comptable qui laisse apparaître les premiers effets du mouvement des gilets jaunes. «Si on soutient les TPE et PME, poursuit-il, les aide à se développer, il suffit que la moitié d’entre elles embauchent pour régler le problème du chômage dans notre pays car ces entreprises ne délocalisent pas». Le président de l’Ordre était entouré, pour l’occasion, de Sabrina Roubache, élue à la CCIMP, Audrey Lucchinacci, présidente de la fédération Commerce en 13, Sébastien Chaze, directeur régional de l’Adie, Humberto Miranda, vice-président de la CPME et Christian Cortambert, président de Cap au Nord Entreprendre. Tous ont indiqué leurs inquiétudes sur les effets du mouvement des gilets jaunes. Lionel Canesi annoncera également: «J’ai été élu à l’unanimité candidat pour la présidence nationale des experts-comptables par mon syndicat ECF».
«Cela se passe plutôt très bien en matière de prélèvement à la source»
C’est par une bonne nouvelle que Lionel Canesi ouvre son propos: «Cela se passe plutôt très bien en matière de prélèvement à la source». Il se réjouit du travail accompli, tant en amont qu’en aval, par les experts-comptables et de la qualité des échanges avec les services fiscaux et leur réactivité. Il en vient au baromètre économique. Un document qui met en exergue une activité au 4e trimestre qui a augmenté de 1% par rapport au 4e trimestre 2017. Une hausse qui est inférieure à la moyenne nationale (+1,8%). «Il est à noter que les résultats du mois de décembre montrent un net ralentissement de la croissance au niveau national (+0,5%) comme dans la région (+0,6%), notamment lié à la baisse de la consommation des ménages (-1,5% selon l’Insee en décembre 2018), dans un contexte de perturbations sociales liées au mouvement des gilets jaunes», explique Lionel Canesi qui souligne que les départements des Alpes-de-Haute-Provence, du Var et du Vaucluse ont particulièrement été touchés et affichent «de plus faibles augmentations, inférieures aux moyennes régionale et nationale.» Selon lui «ce mouvement met un grain de sable dans un système qui fonctionnait bien puisque nous en sommes au 11e trimestre consécutif de hausse de l’activité». Ainsi, seuls trois des cinq secteurs plus spécifiquement suivis par l’Ordre des experts-comptables affichent une hausse du chiffre d’affaires sur le trimestre. Les TPE-PME du secteur du commerce (+1,8%), des transports et de l’entreposage (+1,6%) et de l’industrie manufacturière (+1,2%) soutiennent la croissance régionale. «Il faut toutefois noter que l’activité des entreprises locales s’affiche en recul sur le mois de décembre pour ces trois secteurs. Les entreprises de la construction voient leur activité repartir à la baisse (-0,8%) après le sursaut du précédent trimestre. C’est également le cas de celles de l’hébergement restauration (-1,6%) qui restaient sur six trimestres consécutifs de hausse». Lionel Canesi se fait à ce propos l’écho de la situation de l’Intercontinental Marseille, un 5 étoiles, «un établissement de ce type a été aussi impacté par le mouvement avec une perte de 150 000 euros de chiffre d’affaires depuis décembre». Et d’insister sur la situation particulièrement grave du commerce avec des pertes de l’ordre de 18% en décembre. Puis de signaler qu’en matière d’investissement la situation reste variable selon le secteur. «Les entreprises de l’industrie manufacturière (+3,3%) et des transports et de l’entreposage (+13,6%) ont accru leur effort en la matière. Elles affichent également des résultats supérieurs à la moyenne nationale de leurs secteurs respectifs. Inversement, les entreprises des secteurs du commerce (-15,6%, de la construction (-13,5%) et de l’hébergement restauration (-3,7%) ont nettement réduit les montants investis. Les entreprises locales de ces trois secteurs affichent néanmoins des résultats supérieurs aux moyennes nationales».
«Nous sommes malheureusement sûrs que des commerçants ne s’en sortiront pas»
Audrey Lucchinacci déplore pour sa part : «Nous sommes malheureusement sûrs que des commerçants ne s’en sortiront pas. Noël, les soldes sont deux temps forts dans l’année d’un commerce, qui se sont traduits par des échecs. L’alimentation s’en sort à peu près mais c’est une catastrophe pour le prêt-à-porter, la parfumerie et la bijouterie. La moitié de mes adhérents mettent leur personnel au chômage partiel et reviennent à la vente». «Est-ce que l’on mesure que le commerce de proximité c’est de l’emploi, c’est de la vie dans les centres-villes, c’est du lien social?», s’insurge-t-elle. Christian Cortambert signale «des entreprises qui souffrent et ne savent pas toujours vers qui se tourner». Sébastien Chaze évoque un transporteur, une dizaine de salariés aujourd’hui, que l’Adie a soutenu lors de ses débuts: «Il a eu affaire à la hausse des carburants, aux perturbations, aux heures supplémentaires que ce mouvement a entraîné. Aujourd’hui, pour faire face, il travaille de 4 heures du matin à 22 heures mais il a perdu 25% de ses entrées et c’est dur. Nous allons voir si nous pouvons l’aider». Sabrina Roubache tient à féliciter, comme avant elle Audrey Lucchinacci, «le travail accompli par les experts-comptables». Rappelle qu’au départ la colère des gilets jaunes était légitime. «Mais, ajoute-t-elle, le mouvement est devenu de plus en plus dur. Il va produire des licenciements qui entraîneront une autre vague de colère. Il est tant de revenir aux fondamentaux, de mesurer à quel point nous sommes dans un pays extraordinaire, un des plus redistributifs». Pour Lionel Canesi : «Il est urgent que ce mouvement s’arrête même si nous avons tous en nous quelque chose d’un gilet jaune. Le mouvement ne mesure pas qu’il embête ceux qui souffrent, comme c’est le cas pour la plupart des gilets jaunes et, en mettant en difficulté des entreprises, ils mettent à mal leur propre avenir».
«Combien de personnes sont en capacité de payer 2 000€ par jour de frais d’hospitalisation?»
Dominique Clément, le directeur de l’Urssaf Provence-Alpes-Côte d’Azur invite à comparer avec ce qui se passe dans les autres pays: «cela permet de voir à quel point notre système de protection sociale est excellent. On dit que les impôts coûtent chers, mais combien de personnes sont en capacité de payer 2 000 euros par jour de frais d’hospitalisation?». Puis d’en venir à son tour aux effets du mouvement des gilets jaunes: «Nous avons eu 1 400 demandes de délais que nous avons toutes accordées et nous sommes conscients que nous n’avons pour l’instant que l’écume de la vague et que les grandes difficultés sont à venir. En Avignon, il y a eu des pertes de chiffre d’affaires de 40 à 50%». Et il invite les entreprises confrontées à des problèmes «à avoir confiance dans l’administration et à nous solliciter le plus tôt possible.» Pour Humerto Miranda force est de constater que «le monde a changé et ce changement se fait au forceps. Et le rôle de l’expert-comptable aussi a changé, il est celui qui a une vision à 360 degrés. Il peut ainsi nous apporter des réponses pertinentes afin de nous permettre de définir l’axe stratégique qui doit permettre de nous développer.» Colette Weizman, expert-comptable, est également présidente de Chambre au tribunal de Commerce. Selon elle: «C’est maintenant que nous allons commencer à voir arriver les entreprises en difficulté». Elle en profite pour plaider: «Il faudrait au moins un stage avec des experts-comptables et que l’Urssaf et les Impôts soient informés de la création d’une entreprise car dans 90% des dossiers de redressement judiciaire que nous voyons arriver au Tribunal on note l’absence d’un expert-comptable». Dominique Clément acquiesce: «Lorsque je rencontre des entreprises qui n’en ont pas, qui ne sont pas membres d’une organisation professionnelle je sais que, dans 8 cas sur 10, elles vont connaître des problèmes. Et ces entreprises orphelines sont 35 000 en France, 2 à 3 000 dans notre Région». Un banquier indique que son Établissement a mis en place des mesures d’accompagnement, des reports d’échéance. Une intervention qui fait réagir Audrey Lucchinacci: «C’est peut-être vrai pour votre banque, pas pour toutes loin s’en faut. Si vous voulez vous viendrez voir mes commerçants. Lorsque nous sommes en difficulté les banques nous imposent des frais supplémentaires. L’Urssaf fait de vrais efforts, la banque non.»
Michel CAIRE