Publié le 20 juin 2013 à 18h30 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 15h38
L’exposition « Digitale Afrique », à découvrir à la Bastide Saint-Joseph à Marseille (14e), recense et promeut des formes originales et plurielles d’art et de création en lien avec le numérique sur le continent africain. Le projet valorise ainsi le travail d’artistes et d’innovateurs qui mènent des révolutions techniques, sociétales et esthétiques. De Dakar à Johannesburg, en passant par Tunis, Lubumbashi et Lagos, l’exposition, à voir jusqu’au 5 juillet, invite à découvrir ce paysage en pleine effervescence illustré par les détournements électroniques, les installations sonores ou vidéo d’Ammar Bourras, Dineo Bopape, Jean Katambayi Mukendi, Marcus Neusletter & Stephen Hobbs, Emeka Ogboh et Haythem Zakarina.
Depuis les premières émergences du paysage numérique africain – au Sénégal à Dakar en 1996 avec le projet Isea/Metissacana et en 2002 avec le premier Forum sur les arts numériques au sein de la Biennale de Dak’Art -, la création artistique, l’innovation, les expérimentations électroniques, les réseaux sociaux et les « nouveaux usages » des technologies se sont considérablement développés. La visibilité des artistes, des innovateurs, des projets collectifs et des initiatives remarquables menées reste cependant insuffisante au niveau du continent comme à l’international, et le partage des expériences et des savoirs embryonnaire. C’est pour remédier à ce constat que le projet « Digitale Afrique » a été imaginé afin de promouvoir la création africaine et faire connaître à un large public les artistes et acteurs africains de l’innovation.
Coproduit par MCD (Musiques et Cultures Digitales), acteur de référence de la scène numérique depuis 2003 (*), et Planète Emergences, association dont la vocation est de construire des projets culturels à la croisée du culturel et du social (**) et dont la programmation a été labellisée dans le cadre de Marseille-Provence 2013, Capitale européenne de la Culture, « Digitale Afrique » s’est fixé plusieurs objectifs. Le projet vise en effet à repérer les principaux acteurs numériques africains (artistes, innovateurs, collectifs, structures festivals), travailler à la structuration d’un réseau, organiser entre les acteurs africains et l’Europe un partage des savoirs et des expériences, présenter à un large public africain et européen un panorama d’expériences, d’œuvres et d’initiatives marquantes développées à partir des technologies numériques et enfin, offrir un regard sensible et critique sur une matière inconnue, à savoir l’appropriation singulière des technologies numériques par le continent africain.
A travers une exposition, une publication, des ateliers et des débats, « Digitale Afrique » croise en effet les regards sur les relations tissées entre l’Afrique et le numérique. L’exposition, à voir jusqu’au 5 juillet à la Bastide Saint-Joseph dans le 14e arrondissement de Marseille (***), invite à découvrir, de Dakar à Johannesburg, en passant par Tunis, Lubumbashi et Lagos, ce paysage en pleine effervescence illustré par les détournements électroniques, les installations sonores ou vidéo d’Ammar Bourras, Dineo Bopape Jean Katambayi Mukendi, Marcus Neusletter & Stephen Hobbs, Emeka Ogboh et Haythem Zakarina.
Une plongée acoustique au cœur de Lagos
Parmi les œuvres présentées, Emeka Ogboh a enregistré les sons de sa ville, Lagos, au Nigeria. Il les a remixés, a créé des paysages sonores et les a diffusés dans des espaces publics internationaux. Il offre ainsi une plongée acoustique dans le chaos de la ville…
Ammar Bourras questionne quant à lui le réel à travers la photographie, la vidéo, le son. « 24°3′55″N-5°3′23″E », titre de l’installation, correspond aux coordonnées GPS du point zéro des essais nucléaires français à In Ekker dans le Sahara algérien. Sur deux écrans, les points de vues et les prises de son se complètent, se contredisent, se mettent en mouvement pour raconter la complexité de la notion de frontière.
Trinty Session, un collectif sud-africain, a pour sa part mené des ateliers à Dakar qui mêlaient outils technologiques et objets usuels pour créer une œuvre dans l’espace public. Une projection restitue ce travail collectif dont les enjeux étaient l’interaction avec le public, la nature de l’espace investi, la pratique de la performance. Il a eu lieu durant le festival Afropixel à Kër Thiossane.
Au Congo, l’approvisionnement électrique reste aléatoire pour la majorité de la population. Les usagers fabriquent eux-mêmes leurs réseaux, ce qui peut s’avérer périlleux. Jean Katambayi Mukendi, né d’une mère travaillant pour une société d’extraction de métal et d’un père électricien, a développé très tôt une passion pour l’électricité et l’exprime dans des œuvres aussi poétiques que didactiques. Le prototype « Simulen » permet de visualiser les chutes de tension. Une esthétique « Do It Yourself » pour une œuvre aux vertus formatrices.
« Raq[s] » invite le public à danser avec le mouvement élégant de particules colorées. Cette installation interactive est l’œuvre de l’artiste tunisien Haythem Zakaria. Inspiré par la pensée soufie, il crée des dispositifs génératifs en temps réel.
La relation consumériste occidentale aux nouvelles technologies remise en question
La vidéo « Under all means necessary » part d’un mouvement de tête de négation énergique. Il se transforme, se brouille, sons et images parasités, dédoublés, projetés. Elle nous fait traverser une succession de phases émotionnelles avant de nous remettre gentiment à notre place de spectateur. Cette vidéo est l’œuvre de la Sud-Africaine Dineo Seshee Bopape, diplômée du Durban Institute of Technology et de la Columbia University. Elle crée des installations low-tech à partir d’objets du quotidien qui évoquent les sphères intimes des individus, leurs rapports, ce qui les conditionne, ce qui les construit, leurs particularités, leurs émotions.
Mais la création numérique ne se limite à la sphère artistique. « Nous n’attendrons personne. Nous ferons ce dont l’Afrique a besoin. Nous considérons les défis comme des opportunités à relever et l’innovation comme un moyen de nourrir la créativité africaine. Nous n’aurons de cesse d’améliorer les choses, que ce soit un tout petit peu ou beaucoup », proclame ainsi le Manifeste des Maker Faire, un réseau d’innovateurs africains. L’exposition se conclut donc par un focus sur les réseaux de l’innovation africaine : Innovation for People, Innov’Africa, Maker Faire et Carrefour des Possibles.
« Digitale Afrique » invite ainsi à penser les relations de l’Afrique à l’innovation et, par effet de retour, à questionner la relation consumériste occidentale aux nouvelles technologies. Pour compléter ce panorama artistique, une sélection de documentaires examine ainsi les problématiques de l’exploitation des minéraux essentiels aux nouvelles technologies comme le coltan.
Car si l’Afrique reste la zone la moins équipée de la planète, elle est paradoxalement au cœur de la révolution numérique. C’est en effet elle qui possède les précieux minerais entrant dans la fabrication des téléphones, ordinateurs portables, consoles de jeux et dans la majorité des produits de l’industrie électronique. Les principaux minerais concernés sont la cassitérite (minerai d’étain), le coltan (pour colombo-tantalite, un minerai mixte de tantale et niobium et qui permet d’obtenir le fameux tantale), la wolframite (minerai de tungstène) et l’or. L’étain sert à fabriquer des soudures pour des circuits imprimés électroniques ; le tantale, des condensateurs, minuscules pièces servant à stocker l’électricité ; le tungstène fournit la fonction de vibration des téléphones portables ; et l’or est employé comme revêtement des fils électriques.
« Du sang dans nos portables »
Ainsi, par le fait de la mondialisation numérique, des enfants meurent dans les mines d’Afrique afin que d’autres, en Occident, puissent s’amuser sur leurs consoles de jeu. Le coltan, un minerai très rare, composant désormais indispensable dans la fabrication des appareils électroniques, tels que les consoles ou les téléphones portables. Or, il ne se trouve qu’en Afrique et en Australie, mais en 2005 l’ONU et plusieurs grandes firmes (Sony, Motorola, Samsung, Nokia) ont décrété un embargo sur le coltan en provenance d’Afrique, car il est soupçonné d’alimenter des guerres civiles. Dans le documentaire de Patrick Forestier, « Du sang dans nos portables », l’enquête démarre chez les seigneurs de la guerre qui exploitent ces mines. Elle se poursuit avec ceux qui transportent le précieux minerai à dos d’homme et le revendent à des intermédiaires africains pour 70 € le kilo. Le coltan se négociera ensuite dix fois plus cher chez des négociants européens, avant d’être réexporté vers les usines chinoises qui fabriquent la moitié des téléphones portables occidentaux.
John Lasker propose lui focus sur la guerre de la playstation, « Inside Africa’s PlayStation War ». Le documentaire revient sur le Noël de l’an 2000 quand Sony a dû affronter des millions de consommateurs dont les enfants étaient furieux parce qu’une pénurie mondiale de tantale l’a empêché de fabriquer sa plate-forme de jeu vidéo PlayStation 2 en quantité suffisante. Cette crise a fait monter le prix du coltan jusqu’à 800 dollars la livre. Avec une telle valeur, ce précieux coltan fait l’objet de toutes les convoitises, et qui dit « convoitise », dit souvent « pillage ». C’est la guerre au Kivu, dans l’Est de la République démocratique du Congo, la grande oubliée des médias qui aurait près de 6 millions de victimes.
S.P.
(*) www.digitalmcd.com
(**) www.planetemergences.org
(***) « Digitale Afrique » à la Bastide Saint-Joseph, 72, rue Paul Coxe, Marseille (14e). Du mardi au samedi, de 12h à 17h, nocturne le jeudi jusqu’à 20h.