Publié le 7 juillet 2017 à 20h39 - Dernière mise à jour le 29 octobre 2022 à 13h46
Ils sonnent bien, dans la fosse du Théâtre de l’Archevêché, les instruments d’époque de l’orchestre Le Cercle de l’Harmonie. Une couleur très particulière, de la rondeur et de la chaleur, du velours dans les cordes, sous la direction de Jérémie Rhorer qui n’a plus à confirmer l’intérêt de ses lectures de Mozart. C’est donc sur scène que l’on attendait ce «Don Giovanni», nouvelle production avec le retour de Jean-François Sivadier, le metteur en scène qui, six ans plus tôt, ici même, nous avait fait pleurer avec la mort de sa Traviata/Natalie Dessay. Cette dernière, presque aussitôt après, tirait le rideau sur sa carrière lyrique, tout du moins en ce qui concerne l’Opéra. Comme on ne change pas un Sivadier qui gagne, nous avons encore eu droit à du théâtre dans le théâtre. Devant un mur (de Berlin ?) où Liberta est écrit en lettres de sang, le seul «t» étant une croix christique, la scène et ses coulisses s’exposent et tout va se dérouler à vue. Ici pas de palais, pas de jardin, pas de campagne : Sivadier suggère et chacun se fait son cinéma. D’ailleurs, en parlant de film, son Don Giovanni perruqué de la première partie a de faux airs du Wolfie de Milos Forman et sa statue du commandeur ressemble comme deux gouttes d’eau à celle de maître Yoda lorsqu’il porte la capuche de son manteau… Dans ce contexte, dont les éléments accumulés font parfois un peu fouillis, Sivadier place l’action sans la dénaturer. Mieux, même, il éclaire des situations, équipant Dona Elvira d’une charmante suivante qui, dès les premières apparitions de sa maîtresse sur scène, suscitera les envies du mâle. Fort appréciés, entre autres, le décompte du catalogue rythmé par l’éclairage de superbes ampoules colorées en verre de Murano à chaque « mille e tre » prononcé par Leporello et la scène du commandeur dont Jean-François Sivadier se sort avec intelligence, laissant sur scène, quasiment nu, un Don Giovanni/Jésus Christ fantomatique qui viendra encore perturber les vivants.
Ce Don Giovanni, c’est Philippe Sly. Le baryton canadien est habité par le rôle ; omniprésent, il court, tourne, danse, vibrionne en cherchant sa nouvelle conquête comme une abeille s’active autour d’un pistil odoriférant au cœur duquel elle va puiser du suc. Une activité effrénée qui sert le propos du metteur en scène parfois au détriment de la voix, cette voix qu’il perdra en deuxième partie de la représentation, nous dira-t-on officiellement à l’issue. Là est le problème : Sivadier en demande un peu trop à ses chanteurs qui s’investissent fort, physiquement, dans leur travail et ont du mal à poser leurs voix lorsque arrivent les arias. Chez les femmes, c’est la Zerlina de Julie Fuchs qui emporte nos suffrages. Voix limpide, précise, elle fait preuve d’une belle projection et impose son chant tout comme son personnage tour à tour simple et complexe. Isabel Leonard, Elvira et Eleonora Buratto, Anna, puisent dans leurs réserves pour oublier le bric à brac environnant et livrer leurs airs de façon correcte. Appréciés, le Leporello de Nahuel di Pierro, droit dans son jeu et droit dans son chant franc et précis et le commandeur surpuissant de David Leigh. Krzysztof Baczyck, Masetto et Pavol Breslik, Ottavio ne nous ont pas fait un gros effet. Bref, si la jeunesse a de la force, elle a aussi des faiblesses ; nous en avons eu confirmation jeudi soir à l’Archevêché.
Michel EGEA
Les 8, 10, 13, 15, 17, 19 et 21 juillet à 21h30 au Théâtre de l’Archevêché. Réservations à La Boutique du Festival, Palais de l’Ancien Archevêché, Tél. 08 20 922 923 (12 cts/mn) festival-aix.com