Publié le 16 juillet 2016 à 21h01 - Dernière mise à jour le 28 octobre 2022 à 15h29
Un a un, Peter Sellars a récupéré tous les composants de la tragédie grecque. Coryphée, récitante, acteurs, masques : rien ne manque et surtout pas l’assemblée des citoyens que nous sommes, assis dans nos fauteuils. Au programme, l’histoire d’Œdipe contée par sa fille Antigone; Œdipe Roi et Œdipe à Colone par le truchement de l’œuvre éponyme, «Oedipus Rex» de Stravinsky, à laquelle le metteur en scène a eu l’idée, et le génie, d’adjoindre la «Symphonie de Psaumes» du même compositeur pour accompagner la fin de vie du légendaire héros de la dynastie des Labdacides… C’est ce spectacle hors du commun dont la première était donnée vendredi soir au Grand Théâtre de Provence. Non sans que fut respectée une minute de silence et de recueillement après que le directeur du Festival, Bernard Foccroulle, ait indiqué que la «Symphonie de Psaumes» avait été composée à Nice par Igor Stravinsky. «Ce spectacle nous semble particulièrement porteur de sens dans le contexte actuel, poursuivait Bernard Foccroulle. «Les derniers mots d’Œdipe, rapportés par Antigone, nous rappellent qu’ un seul mot nous délivre de tout le poids et de toutes les peines d’une vie. C’est le mot Amour.» Un contexte cruel qui alourdissait quelque peu l’atmosphère et allait donner encore plus de force à ces deux œuvres au sein desquelles ceux et celles qui le désiraient pouvaient aller chercher, et certainement trouver, des connexions avec la réalité immédiate, mais aussi une once de paix intérieure. Sur scène, devant le grand cyclo blanc, des trônes africains aussi superbes les uns que les autres et signés Elias Sime, tout comme les masques qui, les uns après les autres, vont trouver leur place sur scène. Seule en scène, Antigone va dévoiler aux citoyens la teneur de la tragédie. C’est la comédienne Pauline Cheviller qui l’incarne à la perfection. D’une voix neutre, mais sensible et émouvante, sans effets superfétatoires, elle installe l’assemblée en position de vivre le drame. Sur scène, les protagonistes sont en place. Le chœur peut lancer ses premiers cris déchirants : les hommes meurent de la peste et demandent à leur roi, Œdipe, de les sauver. Mais si l’hellène coryphée comptait 14 membres, celui présent sur la scène du GTP en réunissait presque dix fois plus. Uniquement des hommes, pour cette première partie, ceux de l’Orphei Drangär d’Uppsala en Suède. Chœur puissant, monumental, en parfaite adéquation avec le Philharmonia orchestra qui n’est pas au repos dans la fosse sous la direction électrisée et électrisante d’Esa-Pekka Salonen. Un chœur dont la puissance vocale est accentuée par la gestuelle permanente qui accompagne et appuie son chant. Tout le travail de Peter Sellars, ou presque, réside dans cette «chorégraphie» du chœur, le metteur en scène refusant une quelconque implication «explicative» de l’oratorio, laissant toute sa place à la musique de Stravinsky. Peu de déplacements pour les interprètes qui, tour à tour, quittent leur trône pour chanter. Seul Créon sera gratifié d’un passage dans la salle d’où il lancera ses imprécations à l’endroit d’Œdipe. Créon, mais aussi Tirésias et le messager, c’est Sir Willard White toujours aussi impressionnant et puissant dans les graves. Le rôle-titre est, quant à lui, assumé par Joseph Kaiser, fort ténor habitué aux rôles lourds qui trouvera sa voix après quelques hésitations liminaires. A ses côtés, Violeta Urmana sera une Jocaste exceptionnelle, donnant toute sa dimension vocale et dramatique à ce rôle de femme-mère. Josua Stewart incarnant quant à lui le berger et la danseuse Laurel Jenkins, Ismène. Cette dernière aura l’occasion de mettre son art en avant au cours de la «Symphonie de Psaume» où les chœurs de femmes Gustav Sjokvist Chamber Choir et Sofia Vokalensemble rejoindront leurs collègues masculins. Ici aussi, un belle masse chorale bien préparée par Folke Alin, le chef de chœur, pour accompagner les derniers moments et le départ surnaturel d’Œdipe sur une musique sublimée par Esa-Pekka Salonen. Standing ovation, au final, pour ce grand spectacle festivalier qui devrait voyager un peu partout dans le monde et qui ne sera donné qu’une seule fois encore à Aix-en-Provence, ce dimanche 17 juillet à 20 heures au Grand Théâtre de Provence.
Michel EGEA