Publié le 19 juillet 2016 à 20h01 - Dernière mise à jour le 28 octobre 2022 à 15h30
Poursuivant son exploration du royaume musical de Rameau, après « Dardanus » qui a fait se pâmer les baroqueux et les amoureux de productions originales à Bordeaux et Versailles, après « Hippolyte et Aricie » qui a soulevé l’enthousiasme collectif à Beaune, après «Castor et Pollux» dont l’enregistrement (Harmonia Mundi) est à écouter en boucle tant il est parfait, c’est «Zoroastre» que Raphaël Pichon, Pygmalion et un casting d’excellents solistes viennent de proposer coup sur coup à Montpellier, Beaune et, lundi, au Festival d’Aix-en-Provence devant une salle du Grand Théâtre de Provence archicomble et comblée au final. Preuve, d’une part, que la musique baroque est appréciée et d’autre part qu’elle l’est encore plus lorsqu’elle est servie comme elle le fut lundi.
Le succès obtenu à Aix-en-Provence vient légitimement récompenser le travail du jeune directeur musical qui, jusqu’à la dernière minute ou presque, a mis en ordre une partition qui lui arrivait par petits bouts. Car il y a quelques semaines, Raphaël Pichon a été obligé de distribuer le travail d’écriture d’une partie du matériel à plusieurs personnes, lui-même se chargeant, le soir venu, de vérifier la «production» quotidienne qui lui parvenait et de construire son conducteur. Ceux qui connaissent la musique évalueront l’ampleur de la tâche et la performance. Mais ça, c’est la petite histoire, les coulisses… Le public, lui, ne doit rien savoir, étant simplement convié à prendre du plaisir, un maximum de plaisir ; ce qui fut le cas, lundi soir, au Grand Théâtre de Provence.
A la tête de l’ensemble Pygmalion, chœur et orchestre, Raphaël Pichon a proposé une interprétation dynamique, voire étincelante, de «Zoroastre», partition «revisitée» puisque sur la base de la version de 1756, ont été rajoutés éléments essentiels de la version de 1749. Profitant des qualités vocales du chœur et de la grande technique des instrumentistes, à tous les pupitres, Pichon offre une vision rajeunie et dépoussiérée de la tragédie de Rameau, trouvant le son idéal pour donner sa dimension maçonnique à l’œuvre avec le triomphe ultime du bien face au mal. Comme toujours chez Raphaël Pichon, la direction ne laisse rien au hasard, tout est méticuleusement fouillé et travaillé pour arriver au bijou final finement ciselé. A ses côtés, c’est une véritable «troupe» de solistes, tout au moins dans l’esprit, qui œuvre pour le bien commun. A commencer par Reinoud Van Mechelen, dans le rôle-titre, voix limpide, belle ligne de chant baroque, il s’impose sans problème. Pour l’une des meilleures voix de basse du moment, celle de Nicolas Courjal, c’était une grande première. Ce spécialiste du XIXe abordait un répertoire jusqu’alors inconnu de ses cordes vocales, pour chanter le rôle d’Abramane. Il s’en sort parfaitement, adoptant le phrasé si particulier sans grande difficulté et plongeant avec élégance dans les graves pour donner toute sa dimension au grand prêtre qui incarne le mal. Omniprésent aux 4e et 5e actes, Nicolas Courjal a conquis, dès cette première, quelques lettres de noblesse vocale chez les baroqueux. Emmanuelle de Negri met la puissance et la justesse de son timbre, ainsi que son jeu, au service d’une Erenice jalouse et rageuse alors que Katherine Watson est une Amelite élégante et en même temps fragile, donnant l’impression d’être sur un fil pour finalement s’avérer être solide dans le chant, assurée et délicate. Un quatuor de grande classe idéalement épaulé par Christian Immier, Lea Desandre, Virgile Ancely et Etienne Bazola, ces deux derniers extraits à la demande d’un chœur dont on ne dira jamais assez combien il excelle dans ce répertoire. Après Bach, magnifié la veille en la Cathédrale Saint Sauveur, Raphaël Pichon et les siens ont à nouveau chanté et gagné à Aix-en-Provence. Et l’on se dit qu’en 2018, «La Flûte enchantée» avec eux peut être un grand moment… Wait and see !
Michel EGEA