Publié le 9 juillet 2014 à 18h55 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 17h55
«Trauernacht», dans la langue de Goethe : «nuit de deuil». Un spectacle de festival, une forme musicale hors normes, de celles dont on peut tout attendre. Après le «Winterreise» éblouissant signé par le trio Goerne, Kentridge et Hinterhaüser, cette «nuit de deuil» est née du désir de la scénographe Katie Mitchell suivie dans son idée par Bernard Foccroulle, le directeur du Festival mais aussi par Raphaël Pichon à la direction musicale. Pichon, il y a quelques mois, avait séduit les mélomanes à la tête de son ensemble Pygmalion, en la cathédrale Saint-Sauveur où il donnait des œuvres de Schubert à l’invitation du Festival de Pâques. Et pour «le» Festival d’été c’est Bach qui revient hanter les nuits du jeune musicien. Nous l’avons rencontré à deux jours de la première de «Trauernacht». Entretien.
Comment avez-vous travaillé pour sélectionner les œuvres composant ce programme?
En fait, Katie Mitchell et moi-même avons fait une sélection chacun de notre côté. Puis nous avons passé une semaine ensemble à la fin de l’année dernière pour confronter nos choix. Nous nous sommes mis devant une feuille blanche et, au terme d’échanges, d’allers et retours nous avons composé un programme tout à fait différent de ce que nous avions imaginé l’un et l’autre (sourire).
Qu’est-ce qui a guidé vos choix ?
L’équilibre musical, l’architecture de l’ensemble, les tonalités. On ne pouvait pas passer à côté des instruments qui, chez Bach, symbolisent la mort : le hautbois, la viole de gambe, la flûte à bec… Puis il fallait qu’il y ait une cohérence de l’ensemble, sans pour autant oublier la part théâtrale. Nous avons travaillé sur une centaine de cantates, où le thème funèbre est présent, pour retenir une vingtaine d’extraits. Les extraits permettent de construire l’architecture et le rythme du spectacle plus facilement.
Et pour les transitions entre les extraits, comment faites-vous ?
En fait nous avons choisi un choral pour orgue qui, dit-on, a été composé par Bach sur son lit de mort. Des extraits de cette pièce servent de liant entre les cantates et ce choral est donné dans sa totalité à la fin du spectacle.
C’est une forme très particulière pour les instrumentistes et solistes vocaux de l’Académie, non ?
Particulière, mais très intéressante, et pour les musiciens, et pour les chanteurs. Les instrumentistes sont de grands étudiants ou en fin d’études. Il y a plusieurs nationalités réunies dans cet orchestre et le challenge a été de se connaître très rapidement et de former un son.
Pour les voix, ce fut autre chose. A la base, ce sont des solistes mais nous leur demandons aussi d’être en mesure de composer un chœur. C’est vrai que le recrutement s’est fait avec des personnes qui acceptaient cette dualité. Mais nous avons beaucoup travaillé la cohésion d’ensemble, l’écoute de l’autre, le partage. C’était très intéressant. Et nous aurions aimé avoir plus de trois semaines de répétitions en commun…
Vous dirigez le chœur Pygmalion régulièrement, que vous apporte cette nouvelle expérience ?
Énormément de choses. D’abord la rencontre avec Katie Mitchell ; on en fait peu comme ça dans sa vie. Puis la confrontation à de nouvelles difficultés liées à la découverte d’autres personnalités, à la création d’une forme artistique différente, hybride, a été très riche pour moi. On apprend beaucoup de chose sur soi dans ces moments-là. C’est un projet exaltant.
Être programmé au Festival d’Aix-en-Provence cela vous fait quoi ?
C’est un honneur, une grande chance, mais aussi un peu plus de pression.
Mais je suis très excité et heureux de diriger ce spectacle composé de musiques de celui qui occupe mon esprit depuis toujours, Jean-Sébastien Bach.
Quel est le propos de Katie Mitchell sur cette production ?
C’est un travail scénique très personnel. En fait elle sait que la musique de Bach n’a pas besoin de la scène pour s’épanouir. Alors elle invente un langage théâtral pour créer les conditions d’écoute optimales sur le thème de la mort qui nous touche tous de plus ou moins près. Alors la musique peut nous aider, elle peut aussi nous faire mal, et, au bout, elle nous fait nous poser des questions.
Vous reviendrez à Aix-en-Provence ?
Oui, bien sûr. L’hiver prochain je suis avec Pygmalion au Grand Théâtre de Provence pour un programme Bach et, dans deux ans, Bernard Foccroulle m’a demandé de revenir au Festival. Et j’ai accepté avec grand plaisir.
Propos recueillis par Michel EGEA
Pratique. «Trauernacht», six représentations au théâtre du Jeu de Paume du 11 au 21 juillet. Renseignements et réservations : La Boutique du Festival, place des Martyrs de la Résistance, 13100 Aix-en-Provence.
Tél. 0820 922 923. Site : Festival d’Aix